« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
Prenant une grande inspiration, Elsa ouvrit la portière et descendit du véhicule qui venait de la déposer à Storybrooke. Lorsque ses pieds foulèrent le sol et que, un claquement de coffre plus tard, elle se retrouva toute seule face à la petite bâtisse qui servait de magasin familial… Elle eut une étrange impression de déjà-vu mais aussi de nouveauté. L’enseigne n’avait pas changée, les boutiques alentour non plus, seuls les volets du premier étage avaient troqué leur blanc dépareillé pour un joli bleu ciel. Elle prit le temps d’observer la devanture mignonne, parcourue de tout un tas de sensations agréables qui firent vibrer son ventre et flageoler ses jambes. Elle était de retour à la maison, celle de son enfance et pas la nouvelle de ses parents au Texas. Celle qui lui avait fabriqué des centaines de souvenirs et où elle se sentait chez elle. Celle qui, en cette heure bien matinale, n’était pas encore complètement ouverte.
Relevant le sac aux imprimés militaires sur son épaule, la blonde se décida à pousser la porte et fit tinter la petite clochette annonciatrice d’un client. L’odeur de lessive et d’adoucissant empli ses poumons, lui provoquant un sourire infiniment doux tandis qu’elle balayait rapidement les rayonnages : ils avaient changé l’organisation intérieure mais elle reconnaissait encore suffisamment les lieux pour reconnaître les vieilles affiches aux murs et les dessins au crayon gras qui avaient marqués l’un des piliers plusieurs décennies avant. Elle fit quelques pas en direction de la caisse, ses rangers résonnant dans le silence à peine perturbé d’une musique liée à la radio posée sur le comptoir. Lorsqu’elle fut à sa hauteur, elle augmenta un peu le volume et fredonna les paroles de 1000 Nights, une nouveauté qu’elle avait pu découvrir durant le trajet jusqu’ici.
Elle entendit un remue-ménage provenir de l’arrière boutique et, soudain, la voix d’Ophelia résonna avec toute la gentillesse brute de décoffrage qu’elle était :
« Bien évidemment que je vais aller voir qui c’est, un client reste un… OH GRAND DIEU ! »
Face au visage souriant d’Elsa, elle porta la main sur sa poitrine comme pour retenir son cœur de surgir de sa poitrine et poussa une exclamation joyeuse. Passé les premières secondes de choc, durant lesquelles la jeune femme agita sa main pour la saluer poliment, Ophelia contourna le comptoir et vint la soulever dans ses bras en la serrant de toutes ses forces !
« Oh lalalalala !!! Tu es de retour, enfin !! Mais pourquoi tu ne nous as pas prévenu ? On serait venu te chercher à l’aéroport, ou ailleurs ! Comment tu vas ? T’as l’air toute maigrichonne, tu mangeais correctement au moins ? MATHIAS, DÉPÊCHES-TOI DE VENIR ICI TOUT DE SUITE ! Il était au courant que tu rentrais ? »
L’afflux de questions et de paroles fit bourdonner les oreilles de la blonde mais elle ne tenta pas d’apaiser le caractère expansif d’Ophelia, sachant pertinemment que cela ne servirait absolument à rien. Cette grande dame était le synonyme même du bruit, même si elle devait reconnaître que retrouver sa belle-sœur mis un certain baume au cœur rassurant dans celui d’Elsa. Elle avait beaucoup hésité avant de revenir ici, ne sachant pas ce qu’elle allait retrouver… Elle ne doutait pas des siens mais la peur l’avait saisie en se rappelant qu’elle était partie quasiment du jour au lendemain, débauchée par l’US Army pour rejoindre lElmendorf Air Force Base, près d’Anchorage en Alaska. Là-bas, elle avait pris place à bord de F-15 dans l’unité 3rd Wing et servi son pays dans la défense aérospatiale du territoire nord. Autant dire, un dépaysement quasi total.
Et aujourd’hui, elle retrouvait la douce chaleur du Maine et les bras de son frère, Mathias, qui déposa un long baiser sur son front en refusant de la relâcher. Les effusions affectives n’étaient pas spécialement la tasse de thé des Laufeysen, mais Ophelia avait su leur montrer qu’un peu de contact humain pouvait résoudre bien des problèmes ! Visiblement, ils étaient heureux de la retrouver et Elsa se rendit compte à quel point ils avaient pu lui manquer pendant ces longs mois à l’autre bout du pays… Elle essuya rapidement une larme qui pointait au bord de ses paupières et accepta bien volontiers de les suivre à l’arrière de la friperie, là où toute sa vie avait commencé.
« Combien de temps tu restes ? » Demanda Mathias, en déposant le sac militaire sur le lit de l’ancienne chambre de sa sœur.
Tout était encore exactement comme elle l’avait laissé… Elle fit courir ses doigts sur le rebord de fenêtre qui donnait sur la rue, avant de tourner le visage vers lui en remarquant qu’il attendait une réponse.
« Quelques semaines, après je suis de nouveau réquisitionnée. Normalement, mon programme se termine l’été prochain. D’ici là… Je suis en permission à Storybrooke. »
Il eut l’air à la fois soulagé et peiné d’apprendre qu’elle restait mais repartait, pourtant il ne dit rien. Ce n’était pas dans leurs mœurs de se montrer trop expressif. Elle revint à hauteur d’Ophelia qui venait lui rapporter des serviettes propres et du linge de lit comme si elle était une invitée de marque !
« Tiens, si tu as besoin de quoi que ce soit tu me le dis ! Les placards n’ont pas trop bougés et on a pas touché à ta salle de bain, juste du ménage de temps en temps. Tu as besoin de quelque chose ma douceur ? »
« Non, merci Phia… » Elle marqua une pause. « Vous savez, je ne veux pas vous déranger, je peux aussi prendre une chambre à l’hôtel si vous voulez rester tranquilles… »
« Taratata ! Ne dis pas de bêtises, cette maison est aussi la tienne ! »
Elsa lança un regard mi-désespéré, mi-interrogateur à son frère. Il haussa simplement les épaules.
« Elle a raison. Elias a gardé aussi sa chambre ici et Markus revient de temps en temps dormir quand il a le temps. C’est normal que tu puisses revenir quand tu es là, c’est fait pour ça une maison, non ? »
« Voilà ! Aucune raison de t’inquiéter, quand on cuisine déjà pour deux on peut cuisiner pour trois ! »
« Je vous aiderait à la friperie en échange. » Déclara-t-elle, sans leur laisser vraiment le moyen de refuser. « Et j’aiderai pour les courses et les frais. Si ça vous va, alors je resterai ici. »
Ils échangèrent un regard et finirent par hocher la tête, visiblement trop ravis qu’elle reste avec eux pour lui refuser cette aide plus que bienvenue ! Elsa put enfin souffler un peu et se détendre, se massant la nuque où la chaine supportant ses plaques d’identification commençait à la marquer de son contact. Ophelia prétexta un coup de fil à donner à Alexander, l’un des autres frères d’Elsa, pour disparaitre de la pièce et l’empêcher de changer d’avis. Celle-ci se pencha sur son sac et l’ouvrit d’un geste un peu sec, avant de relever la tête vers Mathias qui n’avait pas encore bougé de sa chambre. A son haussement de sourcil, il se contenta de se reprendre et de faire quelques pas en direction de la porte.
« Repose-toi, on est en bas si tu as besoin de nous. »
Juste avant de disparaître lui-aussi, il lui lança d’un ton étrangement doux :
« C’est bien que tu sois de retour, Elsa. Tu as l’air d’aller mieux. »
La blonde fixa un moment la porte désormais close, écoutant le bruit de ses pas descendre l’escaliers et s’évanouir dans les profondeurs de la bâtisse… Puis elle se laissa tomber sur le lit et poussa un soupir douloureux. Aller mieux ? Aller mieux… Si seulement elle allait mieux ! Quelques minutes à Storybrooke avaient suffit à lui rappeler pourquoi elle aimait tellement cette ville, mais aussi pourquoi elle l’avait fuit. Tournant la tête vers son bureau d’étudiante, elle avait directement remarqué la présence de son vieux carnet et son contenu lui donna rapidement la nausée. Rien n’avait bougé. Rien n’avait changé. On l’avait attendu, figé dans un temps infini, en espérant la voir reprendre pied et relever la tête.
C’était ce qu’elle avait fait en un sens : elle s’était élevé plus haut encore que les nuages afin d’observer le monde sous ses pieds et découvrir un nouvel angle de vue. Elle avait affronté des militaires en treillis qui criaient plus fort qu’une alarme, subit des entraînements à toute heure du jour et de la nuit pour se maintenir en forme, travaillé son mental et forgé son caractère stratégique pour ne plus jamais se laisser marcher sur les pieds par qui que ce soit. Elle avait retenu l’ordre et la discipline, libéré son esprit des entraves qu’elle s’était forgée au fil des ans et désormais… Elsa escomptait bien garder sa vie en main et la maintenir. Puisque Theodore n’avait pas jugé bon d’y rester, elle ferait sans lui. Elle en était capable, il le fallait !
D’agacement, elle se releva d’un bond et saisit le calepin pour le jeter dans la poubelle. Theo était une histoire ancienne ! Hors de question que son fantôme ne vienne de nouveau la hanter et ne fasse ressurgir tout ce qu’elle avait enfouis très très loin… Une vague de tristesse l’envahie pourtant soudainement et, tournant les talons, la jeune femme se dépêcha de filer sous la douche pour tenter d’oublier tous ses souvenirs menaçant de ressurgir.
Elsa dormit un peu, même si elle était peu habituée à ne rien faire en pleine journée, partagea un bon repas avec son frère et sa belle-sœur, puis décida qu’elle en avait assez de juste rester sur son lit à tenter de lire quinze fois la même page de son roman… Sa tenue militaire troquée contre quelque chose d’aussi basique qu’un jeans et un pull en laine légère aux imprimés marins sur son débardeur, elle dévala les escaliers en manquant de peu la porte qui menait à la cuisine.
« Tu vas quelque part ? » S’enquit Mathias, penché sur des papiers administratifs.
« Je sors, je t’appelle quand je rentre mais ne m’attendez pas pour manger ! »
« Et je peux savoir où tu vas ? »
Son regard inquisiteur la fit rire, avant qu’elle ne réajuste son sac à bandoulière.
« Bah tiens… Tu connaîtrais pas un café ou un endroit sympa où passer l’après-midi ? Je sais qu’il y a Granny mais peut-être que tu as une bonne adresse ? »
« Le Fantasia ! » Intervint Ophelia, qui revenait de la boutique. « C’est pas très très loin, attends je te donne l’adresse… »
Elsa prit le papier qu’elle lui griffonna, entra l’adresse sur son téléphone – qui n’avait plus que 20% de batterie, déjà – et les remercia tous les deux avant de filer. Elle avait besoin d’air, de beaucoup, beaucoup d’air ! Quand on passait ses journées sur une base, même avec les températures de l’Alaska, on avait du mal à ne pas tourner en rond une fois enfermée comme des gens normaux. Une vie si rythmée que se retrouver soudain complètement libre déstabilisait la jeune femme. Elle qui pensait se réhabituer très vite à tout ça avait encore quelques efforts à faire, même si elle n’était rentrée que le matin ! S’aventurant dans les rues du centre ville, elle se rendit rapidement compte que son qui-vive n’avait pas lieu d’être : de ce qu’elle savait, Theodore avait quitté la ville après leur rupture et il y avait peu de chances qu’il soit revenu… Elle ne risquait donc pas de le croiser.
Elle flâna un peu, passant commander un ordinateur digne de ce nom qu’elle laisserait chez son frère pendant son absence. Les communications extérieures étant réglementées sur la base, le monde d’internet lui avait cruellement manqué et elle était impatiente de pouvoir s’y plonger de nouveau ! Se remettre à jour et profiter de son temps libre pour rattraper son retard un peu partout… Elle passa ensuite rendre visite à Alexander, qui la serra dans ses grands bras de nounours avant de s’excuser de l’avoir saluée avec son tablier de boucher ! Elle papota en sa compagnie un long moment, jusqu’à tirer un peu sur la fin d’après-midi et le laisser terminer de s’occuper de son commerce. Elle dut lui promettre de venir manger chez lui rapidement, sinon il débarquait avec son hachoir à la friperie !
L’esprit rassasié de la compagnie des siens, Elsa fini par se souvenir qu’Ophelia lui avait parlé d’un salon de thé et tâta ses poches à la recherche de l’adresse. Retrouvant le bout de papier, la jeune femme plissa les yeux pour tenter de se repérer et fini par découvrir la petite boutique sous le soleil de fin de journée. Poussant la porte, elle fut immédiatement baignée dans l’ambiance chatoyante de l’endroit, de délicieuses odeurs remontant à ses narines et ses yeux irrémédiablement attirés par les couleurs qui se reflétaient absolument partout. Saluée par celle qui semblait être la propriétaire, la blonde se glissa dans la file qui attendait au comptoir et passa en revue les différentes pâtisserie en se demandant par laquelle elle allait bien pouvoir commencer…
Impossible de choisir et ce n’était pas la proximité de la caisse qui l’aidait ! Plutôt un éclair ? Oui mais au chocolat ou au café ? Et ces muffins là, qui semblaient tout prêts à être dévorés… Ou encore une part de tarte à la fraise ? Bon sang, tant de choses qui lui faisaient envie ! Se tapotant la bouche de l’index, elle se mordit l’ongle en essayant de se dépêcher d’arrêter une décision avant de changer d’avis une énième fois ! Plongée dans ses réflexions, elle eut un sursaut qui fit tinter ses plaques contre sa poitrine lorsqu’une voix masculine lui glissa de goûter à la tarte parce qu’elle était délicieuse… Relevant les yeux, elle croisa le regard azuré d’un grand blond à l’air un peu triste.
« Oh ! Oh… Merci de l’astuce ! » Elle lui adressa un sourire mais il répondit à peine.
Le suivant du regard, elle le vit saluer la pâtissière comme s’ils se connaissaient depuis un moment et partir s’installer dans un coin du salon. Elsa commanda exactement ce qu’il lui avait conseillé, avec un café, et malgré le monde elle se dégotta une place près d’une des baies vitrées. Légèrement dans l’ombre pour ne pas griller au soleil, elle avait ainsi une vue imprenable sur la rue principale et put observer à loisir ces gens à des kilomètres de ses obligations et de sa vie. Ce grand-père qui se faisait tirer par une petite fille pour qu’il se dépêche. Cette dame avec son petit chien toiletté qui marchait d’un pas rapide sur ses escarpins. Ce groupe de jeunes filles les bras couverts de sacs. Ces garçons qui sautillaient sur de la musique. Cet homme qui, au téléphone, semblait attendre quelqu’un. Ce couple qui avançait tranquillement dans le soleil déclinant en riant l’un de l’autre. Ces enfants qui coururent derrière un ballon de soccer. Cet autre homme qui, surprenant le premier d’un geste sur l’épaule, le gratifia d’un long baiser de retrouvailles à en faire sourire tristement la jeune femme…
Il y avait des gens qui, de nos jours, arrivaient encore à s’aimer apparemment. Son café était terminé depuis un moment et il ne restait plus rien de la tarte à la fraise, mais elle ne bougea pas de sa place ; l’esprit vagabondant de ces réalités qu’elle semblait incapable d’atteindre et de ses souvenirs qui étreignaient sa gorge. La pâtisserie se vida peu à peu et Elsa ne chercha pas à partir, se demandant jusqu’à quelle heure elle permettait à ses clients de rester ; son regard passa plusieurs fois sur l’homme assis plus loin, qui lui non plus n’avait pas bougé depuis son arrivé. Sa tasse semblait terminée, parfois la pâtissière venait lui parler, récoltait une réponse et repartait s’occuper de ses clients. Il avait un profil agréable à regarder, bien que son teint un peu pâle tranche avec le haut sombre qu’il portait. Sa coupe de cheveux était un peu négligée mais il lui sembla reconnaître celle des soldats, très courte sur les tempes et plus fourni. Etait-il un membre de l’armée lui aussi ? Il observa son portable quatre fois mais le reposait après chaque message. La blonde tenta de dévier son regard ailleurs et de s’imprégner du lieu, mais elle revenait à chaque fois dans sa direction. Une fois, elle croisa son regard et se détourna aussitôt, surprise d’avoir été prise la main dans le sac ! Pourvu qu’il ne croit pas qu’elle attendait quelque chose…
Finalement, après un temps qui lui paru infiniment long, Elsa finit par se lever de sa place. Les jambes un peu ankylosées, elle passa à côté des derniers clients en discussion animée et se rapprocha du comptoir. La magnifique pâtissière s’y trouvait et lui adressa un sourire adorable, ce qui la fit un peu fondre il fallait l’avouer. Elle enviait presque les gens heureux…
« Excusez-moi, est-ce que je pourrais avoir deux cafés, s’il vous plait ? »
La propriétaire haussa un sourcil sincèrement surpris mais ne lui demanda pas plus d’explications, lui préparant les deux grandes tasses avec amusement. Lorsqu’elle les déposa entre elles, Elsa la remercia doucement en payant sa consommation. Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle était en train de faire mais l’idée l’avait traversée d’un coup et… Et voilà qu’elle se retrouvait avec deux tasses, à marcher en direction de l’homme qui lui avait conseillé une tarte aux fraises. C’était son premier jour en ville et déjà elle mettait les pieds dans le plat et toute prudence à la poubelle ! Mais il avait eu l’air tellement seul qu’elle n’avait pas su pourquoi, son instinct l’avait poussée à agir. A ne pas rester dans son coin. A… A quoi, exactement ? Aucune idée.
Mais lorsqu’elle s’approcha du concerné, après avoir tergiversé dans son esprit pour savoir comment l’aborder, elle eut la surprise de le voir se lever ! Mince ! Il se retourna et tomba nez à nez avec Elsa, tout aussi surpris qu’elle de leur soudaine proximité !
« … »
Elle resta interdite, figée sur place par le bleu profond de ses yeux. Avant de parvenir à articuler un maigre :
« Je me suis dis qu’un autre café vous ferait envie ? »
En désignant les boissons qu’elle tenait. Son courage était en train de prendre la poudre d'escampette et une petite voix dans sa tête lui criait qu'elle avait encore fait quelque chose de stupide... C’est qu’alors qu’elle remarqua que, lui aussi, tenait deux cafés dans ses paumes.