Anastasia ne trainait pas dans les bars. Pas d'ordinaire, du moins. Ce n'était pas tant qu'elle avait un quelconque avis sur ces endroits, plutôt qu'elle n'avait que rarement l'occasion de s'y trouver. Mais s'il y avait une chose que sa carrière au sein de la police d'une aussi petite ville que Storybrooke lui avait apprise, c'était qu'on pouvait trouver tout un tas d'informations quand on savait à qui demander ou qui faire boire. Anya était donc, en quelque sorte, une cliente ponctuelle d'un endroit ou de l'autre. Mais, quelles que soient les circonstances, elle ne l'avait jamais été pour le Roni's.
Elle connaissait son existence, tout comme elle connaissait sa propriétaire (qui ne connaissait pas Regina Mills, de toute façon ?) mais n'y avait jamais aventuré plus qu'un regard. Jusqu'à cet après-midi-là, du moins.
Le jeudi, qui plus est en milieu de journée, on ne peut pas dire que les bars soient spécialement fréquentés et c'était là tout l'intérêt de s'y rendre, précisément, à ce moment-là. Du moins, dans le cadre de la demande un peu spéciale qu'Anastasia comptait formuler à sa propriétaire. Même pour Storybrooke, elle savait que ce qu'elle s'apprêtait à faire n'était pas conventionnel. D'ailleurs, Anya espérait bien que la mairesse reconvertie barmaid serait seule. Et, comme pour se porter chance, c'est ce qu'elle se figura quand, la main sur la clenche de la porte d'entrée, elle la poussa pour pénétrer dans le bar qui était, comme on peut se l'imaginer un jeudi après-midi, très calme.
Regina Mills était derrière le bar et la reconnut, ce qui n'était pas non plus difficile - non pas qu'Anastasia soit particulièrement célèbre. Mais quand on partait, plus ou moins de son plein gré, dans un royaume inconnu, pendant plusieurs jours, en petite équipe de personnes qui se connaissent plus ou moins, a priori, ça laissait quelques souvenirs.
Et justement la rouquine comptait là-dessus pour son affaire en cours, même si c'était totalement insensé et qu'elle n'avait pas encore décidé exactement comment elle allait présenter sa requête. Anya s'avança vers le bar d'un pas déterminé et salua la propriétaire.
- Bonjour Regina, vous allez bien ? Pour moi ça ne sera pas d'alcool, annonça-t-elle très rapidement en montrant sa plaque avant de la raccrocher à sa ceinture. En fait, pour tout vous dire, j'espérais que vous pourriez peut-être m'aider mais... Disons que ma requête est un peu hors du commun, même pour ici, ajouta-t-elle à voix plus basse alors qu'elles étaient seules.
Anastasia se racla la gorge, se redressa et d'un air aussi naturel que possible, elle demanda :
- A tous hasard, vous arrivez encore à bien communiquer avec les canidés ?

Regina avait raison. Ca allait bien du côté d'Anya qui opina pour la conforter dans ses propos. La vie était suffisamment exaltante sans trop l'être, elle était heureuse en ménage et heureuse au travail et même si son amie Tara lui manquait parfois et qu'Anita n'était pas très disponible, la jeune femme trouvait toujours comment s'occuper hors des heures de travail.
Mais c'était bien une raison professionnelle qui la poussait de nouveau vers Regina qui avait aussi l'air d'aller bien. En tout cas, elle restait cette femme élégante au regard perçant qu'on connaissait bien en ville, même si ses tenues étaient plus décontractées pour servir au bar que pour travailler en mairie - ce qui n'avait rien de surprenant.
Sa réponse, en revanche, l'était totalement. Anastasia se trouva totalement prise au dépourvu, tant et si bien qu'elle écarquilla ses yeux bleu acier comme jamais et dût se ressaisir pour ne pas rester bouche bée trop longtemps. Les mots lui manquaient tant elle était étonnée de sa chance, si bien qu'elle commença par siffler, admirative.
Si Dimitri, docteur es étiquette avait été là, il n'aurait sans doute pas trouver que c'était là le comportement attendu d'une Grande Duchesse. Les héritières, après tout, devaient rester maitresses d'elles-mêmes et ne laisser paraître que le strict nécessaire de leurs émotions. Mais ça, Anya l'impulsive n'avait jamais réussi à le faire.
- Eh bah dites donc ! Je vais vous dire un truc : je suis venue ici un peu en dernier recours, sans trop y croire, espérant vaguement qu'au pire vous puissiez lancer un sortilège temporaire. Je ne m'attendais absolument pas à ce que ce soit réellement possible, paf, comme ça ! ajouta Anastasia en claquant des doigts, encore abasourdie. Va falloir me raconter comment vous avez retrouvé ce pouvoir, parce que la dernière fois qu'on s'est vues c'était parti ! Mais, bref, du coup, pour en revenir à mon affaire, se reprit la profiler avec plus de sérieux et de mesure, mon seul témoin dans une affaire est apparemment un... chien, vous l'aurez deviné, inutile d'entretenir le suspense. J'aurais bien demandé à Hoover mais je ne comprends pas Hoover alors c'est inutile, précisa la jeune femme, cette fois avec une pointe d'humour. Donc si ça vous dit, on va au poste, vous me racontez comme vous faites encore tout ça et je vous briefe.

Regina ne s'avéra pas difficile à convaincre, ce qui arrangeait bien les affaires d'Anastasia. Elle avait envie de boucler cette affaire dont personne ne voulait (en fait, on l'avait fait venir en suggérant, dans un rire gras et insupportable, qu'avec ses talents de profiler elle pourrait sans doute profiler le chien et comprendre ce qu'il avait vu) aussi vite que possible (en partie parce qu'elle avait de l'orgueil) mais sans forcément attirer l'attention sur les moyens mis en œuvre pour se faire. Parler aux chiens demeurait quelque chose d'incongru, même dans cette ville. Anastasia prévoyait de ne pas le crier sur tous les toits.
- Parfait, dans ce cas, pas de temps à perdre, j'aimerais autant ne pas vous retenir trop longtemps.
Quand les deux femmes quittèrent le Roni's, Anya nota du coin de l'œil qu'une jeune fille avait pris sa place derrière le bar, sans doute une serveuse, à qui elle adressa un signe du menton.
- Elle avait l'air de connaitre un paquet de choses, votre mère, fit observer Anastasia. Remarquez, c'est plutôt utile. Et donc cette potion ? Elle est efficace à vie ou c'est comme le Polynectar ?
La rouquine était curieuse mais ne se permit qu'une question, bien qu'elle avait envie de savoir ce que Regina et son chien (elle n'aurait pas recherché à parler le chien si elle n'en avait pas un, du moins, c'était peu probable) pouvaient bien se dire. C'était quand même déplacé de demander, alors elle se contenta de sa comparaison associée à une question moins invasive.
Anya savait que cette potion n'existait pas pour du vrai ou qu'a priori, si une telle potion existait, il y avait peu de chance pour que J.K. Rowling ait deviné son vrai nom, mais elle trouvait le comparatif plutôt parlant. Tout le monde avait lu Harry Potter, non ? A défaut, tout le monde avait vu les films.
Comme le bar n'était pas très loin du poste de police, Anastasia était venue à pied, jugeant inutile un déplacement plus officiel. Il leur fallut cependant moins de dix minutes pour y retourner, l'avantage des petites villes, sans doute.
- Madame Mills est avec moi, se contenta d'énoncer Anya en franchissant la porte du poste.
L'agent d'accueil opina, dissimulant plus ou moins bien sa curiosité, puis replongea le nez dans son travail. Quant aux autres, ils étaient manifestement trop occupés pour prêter attention à l'ancien maire.
Anya entraina donc Regina dans son bureau où attendait également un labrador beige qui portait un harnais bleu et paraissait tranquille.
- Regina, je vous présente Happy, le chien guide de Noah, 12 ans. Il a disparu la nuit dernière. Happy dort dans sa chambre donc il est possible qu'elle ait vu quelque chose. Ou pas. Dur à dire donc c'est là que vous entrez potentiellement en jeu. Si vous avez des questions sur quoi que ce soit, n'hésitez pas sinon... Je vous laisse procéder comme vous le souhaitez.
Sur ses mots, Anastasia se laissa tomber dans son fauteuil.
- Je peux vous chercher un café si vous avez besoin d'être seule ou simplement si vous voulez boire, offrit-elle en songeant qu'elle aurait pu commencer par là.

Anastasia avait préféré ignorer sciemment les commentaires de Regina sur sa mère dont, de toute façon, la réputation n'était plus à faire - tout comme les points communs avec sa fille n'étaient plus à prouver. A la vérité, la rouquine ne voulait pas se prendre la tête sur un débat déjà cent fois débattu qui n'avait aucun intérêt dans son affaire. Pour ce qu'elle en avait vu, elle croyait volontiers que Regina était passée à autre chose et ça lui suffisait.
Autrement, jamais elle n'aurait fait appel à elle, déjà qu'elle avait trouvé l'idée assez folle de base, en enlevant le passé de Regina de l'équation. Par chance, l'ancienne méchante reine avait sans doute vu assez de choses étranges pour ne plus s'en formaliser. A en juger par son aisance on aurait pu croire qu'elle avait parlé avec les chiens toute sa vie. Anastasia, elle, demeurait mal à l'aise et ne savait pas trop où se mettre ni quoi faire. Autant vous dire que la jeune femme détestait ce genre de situation.
Anastasia finit par s'asseoir sur son bureau, aussi nonchalante que possible, et croiser les bras en attendant... Elle ne savait pas trop ce qu'elle attendait, sans doute des aboiements qu'elle ne comprenait pas, mais elle ne voyait pas quoi faire de plus.
Plus inutile tu meurs, songea Anya en cachant son impatience mais sans perdre Regina de vue. Elle ne comprit que sa question, ce qu'elle choisit de prendre comme un indicateur positif du fait que, oui, elle pouvait encore parle aux chiens. Par chance, l'attente qui parut interminable (à la rouquine, du moins, Happy et Regina, elles, semblaient bien s'entendre) prit enfin fin avec une nouvelle pas trop mauvaise qui rendit son sourire à la profiler. Anya s'arrangea pour croiser le regard de Regina aussi vite que possible et attrapa son carnet afin de lire les notes de Regina.
- OK, on a un portrait mais Happy n'a vraiment rien dit d'autre ? Les circonstances de l'enlèvement, pourquoi elle n'est pas intervenue ? Vraisemblablement parce qu'elle n'a pas pu pour X raison mais de vous à moi le légiste n'a pas le temps de conduire des tests toxicologies sur un chien. Il a dit qu'il n'était pas véto, d'ailleurs. Happy n'a... rien dit sur tout ça ? demanda Anya, un peu gênée par sa formulation presque absurde. Vous avez... discuté pendant un petit moment - moi ça m'a paru une éternité, en tout cas, après je ne parle pas le chien, il faut peut-être beaucoup d'aboiements pour dire un mot.
Anastasia secoua la tête et contourna son bureau pour s'y installer et rentrer les paramètres obtenus sur le suspect dans l'ordinateur et commencer une recherche.
- Ca va prendre du temps alors n'hésitez pas. Le moindre détail peut être crucial. Odeurs, sons, goût éventuellement, sensation, horaire... Je prends tout.

Mine de rien, tout ceci donnait l'impression que Regina et Happy avaient des secrets et c'était agaçant, surtout étant donné la situation. Mais Anastasia, qui se savait parfois trop impulsive, ne fit aucun commentaire et garda un visage impassible et professionnel. Toutes les trois travaillaient dans le même camp et personne n'avait d'intérêt à cacher des informations qui permettraient de retrouver Noah. Sauf si le chien était complice mais c'était quand même très peu probable - même dans leur ville de fous.
D'ailleurs, Happy avait en sa disposition d'autres éléments, comme quoi, c'était utile d'insister. Peut-être qu'elle était traumatisée et peinait à faire le tri dans ses souvenirs. Ou peut-être pas. Anya n'était pas comportamentaliste animalier et même si elle avait deux chiens, elle ne discutait pas réellement avec. Comme par ailleurs Smiley et Hoover étaient en parfaite santé et n'avait pas vécu de traumatisme récent, leur maitresse ne s'était pas renseignée sur les possibles états psychologiques des animaux.
Mais si Happy avait besoin d'épancher ses états d'âme, elle avait toujours Regina...
Cette pensée amusa Anya qui reprit pourtant très vite son sérieux à l'arrivée de nouveaux éléments. Elle opina, l'esprit en pleine réflexion :
- Nous avons donc affaire avec des personnes qui étaient préparées. Elles savaient qu'il faudrait neutraliser un chien d'un important gabarit, ce qui explique sans doute pourquoi ils ont venus à deux. On peut supposer que sans, un seul homme aurait suffi. Ce sont des personnes intelligentes puisqu'elles ont pensé au moyen terme en bloquant les capacités sensorielles d'Happy en plus de ses capacités physiques. Du travail de pro, commenta Anastasia, plus pour elle que les autres.
Elle jeta un coup d'œil sur son moniteur qui n'avait évidemment pas résolu l'affaire. C'eut été trop espéré. Puis la rouquine opina en apprenant que Happy avait cependant pu sentir son agresseur.
- Ca sera utile, ça aussi, les informa-t-elle. Probablement plus tard. Je doute, au vu des odeurs qui s'entremêlent dans la ville qu'on arrive à le pister pile poil jusqu'à leur planque. Ca serait trop facile. Mais peut-être qu'on pourrait faire renifler plusieurs échantillons de produits capables d'endormir à Happy. Si on a de la chance, ils auront utilisé un produit qu'on pourra retracer et là nous aurons des visages à confronter aux descriptions physiques à notre disposition. Très bien mesdames, je vous propose un tour au labo de la scientifique. Ils vont me prendre pour une folle mais c'est pas comme si je tenais réellement à ma réputation.
Anya se leva énergiquement sans regarder son moniteur qui continuait de tourner un peu dans le vide. Elle rouvrit la porte de son bureau et invita Regina et Happy à les suivre. Ensemble elles descendirent au sous-sol, rarement visité par le public et encore plus rarement par des canidés ! Mais la jeune femme s'avança le menton relevé en donnant l'impression de posséder la pièce avec l'espoir que son assurance rendrait le tout moins étonnant.
Pourtant, le légiste fut quand même surpris de voir débarquer ce trio improbable, même s'il ne fit aucun commentaire et accepta volontiers de préparer des échantillons à sentir : du chloroforme ("un classique indémodable" selon lui, du sévoflurane souvent utilisé chez le dentiste, du protoxyde d'azote qu'on appelait aussi gaz hilarant, et aussi des gaz non médicaux mais odorant : de l'éthylène, de l'ammoniac et du cyanogène.
Quand tout fut disposé, Anya fit signe à son témoin et à son interprète d'approcher :
- Voilà certains gaz qui ont pu être utilisé. L'idée c'est qu'Happy renifle échantillon après échantillon, de préférence en faisant une pause entre chaque et qu'elle nous dise si elle reconnait l'un des gaz. Si ce n'est pas le cas, on doit en avoir d'autres à tester, précisa Anya pour ne pas décourager son témoin canin.

Tout fonctionnait. J’arrivais à parler avec Happy et ça permettait à Anya d’avancer dans son enquête et se rendre utile de cette manière, c’était plutôt une bonne chose. Happy opina de la tête quand la rouquine expliqua qu’on optera pour les odeurs corporelles plus tard, qu’il fallait pour l’instant s’axer sur le gaz qu’elle a pu renifler pour être totalement inapte à retrouver le petit.

« Allons-y. » déclarais-je simplement.

Suivant Anya, nous ne tardâmes pas à nous retrouver au labo du poste de police et Happy, assise à mes côtés regardait ce qui se passait sans rien dire. Anya expliqua les différents types de gaz avant de demander à Happy de les sentir pour essayer de les reconnaître et découvrir lequel a pu être utilisé contre elle. Elle lève ses yeux vers moi et je lui souris. M’emparant du premier, je le tends vers elle et elle le renifle.

« Non, ce n’est pas celui-là. »

Je fais un signe négatif de la tête avant de redonner le gaz au scientifique. M’emparant cette fois de l’éthylène, elle renifle pendant quelques minutes. Elle renifle à nouveau. Elle fait finalement un signe négatif de la tête. Je m’empare du chloroforme et lui fait sentir. Elle se met à aboyer très fort.

« C’est ça ! C’est celui-là qu’ils ont utilisés ! Ils l’ont utilisé aussi sur le petit ! »

Je lève le regard vers Anya.

« C’est celui-là. Elle me dit qu’ils l’ont aussi utilisé sur le petit. »