"Je peux me débrouiller toute seule." fis-je remarquer pour la troisième fois -au moins- au dieu qui s'occupait à errer dans le salon.
"Ouais, c'est ça... On me l'a fait pas à moi." répliqua-t-il en claquant sa langue contre son palais tout en m'offrant un rictus amusé.
Je n'avais décemment pas pu le mettre à la porte lorsqu'il s'était téléporté dans l'appartement sans prévenir. Si je voyais son autorité comme moins importante que celle de mon créateur, il était néanmoins l'un de ceux à qui je devais un respect naturel et je m'étais toujours entendu avec lui. Apollon s'était occupé de moi pendant des semaines avant que je ne m'installe à Storybrooke, sans compter qu'il avait prit le temps de me familiariser avec l'Art tel qu'il le connaissait. Même si je le croisais moins souvent à présent (j'avais cessé de réclamer des cours de peinture depuis plusieurs mois, ce dont il avait d'ailleurs été sidéré), j'appréciais toujours autant sa compagnie et les conseils qu'il pouvait me donner.
"Basile m'a dit que t'étais agitée dernièrement." ajouta le dieu, ce qui me fit lever les yeux au ciel.
"J'aurai pas dû le laisser te gérer tout seul le pauvre ! Bon t'es grande maintenant je sais, tu devrais être autonome tout ça mais... je préfère prendre mes précautions."Je fronçais les sourcils et croisais les bras tout en le toisant de haut en bas. Il était trop grand. C'était une remarque que je me faisais dès que je me retrouvais face au Gardien d'Olympe. Il me dépassait largement et son aura m'imposait une certaine retenue. Je ne pouvais qu'afficher une moue contrariée et serrer les poings en signe de protestation. J'avais beau persister à tenter de lui faire comprendre que je n'avais pas besoin d'être escortée, il se montrait encore plus tenace que moi.
"Basile se plaint tout le temps." marmonnais-je comme unique défense, tout en renversant ma tête en arrière dans un soupir consterné.
"Je ne l'oblige pas à passer du temps avec moi. Il peut très bien arrêter de me voir si ça lui déplaît tant que ça."Le dieu laissa échapper un léger rire qui m'arracha une expression quelque peu surprise. Qu'avais-je pu dire de drôle ? Je savais que l'humour d'Apollon était spécial mais je restais indécise.
"T'es mignonne petite... mais tu sais très bien qu'entre amis, même dans les moments où on se supporte pas, on se soutient."Je me pinçais les lèvres, consciente de ce fait depuis un moment maintenant. Je m'en voulais parfois d'être aussi insupportable, avec mes sautes d'humeurs, la mauvaise gestion de mes relations, la façon que j'avais de toujours tout compliquer... Je tentais de m'améliorer et de cesser de m'interroger inutilement. Il m'avait été difficile de mettre ma fierté de côté en me contraignant à m'éloigner de la source principale de mes préoccupations, mais c'était une première étape nécessaire. Je trouvais même que je me débrouillais bien jusqu'à présent.
Je secouais la tête tandis que le Gardien s'était rapproché pour passer une main dans mes cheveux qu'il ébouriffa sans gêne, un grognement mécontent s'échappant de mes lèvres à cet instant. A une exception près, je n'aimais pas vraiment qu'on les touche. Vivement, je tentais de les remettre en place en lui lançant un coup d'oeil irrité. Il était toujours si... à l'aise. Peu importe l'endroit ou les personnes avec qui il se trouvait. C'était déstabilisant et impressionnant à la fois.
"Bon ! T'es prête ? C'est qu'on a pas toute la journée !" lança-t-il en me tendant impatiemment sa main.
Je la fixais quelques secondes sans savoir quoi en faire, avant de réaliser que son accompagnement me permettait au moins un trajet rapide. La téléportation était un don dont je n'étais pas dotée et je ne m'en plaignais pas, j'étais quand même capable de me déplacer bien plus vite et efficacement que la plupart des gens. Cela dit, je n'allais pas refuser un voyage express gratuit. Je pris juste le temps de caresser la tête de Godzilla Junior, occupé à nous lorgner sur le bras du canapé, avant de passer mon bras autour de celui du dieu.
Le commissariat n'avait pas changé. Je sentis malgré tout mon coeur rater un battement face à ce nouveau décor, alors que l'intérieur était calme et peu animé. Je n'y avais pas remit les pieds depuis... des mois ? Je n'avais jamais passé de très bons moments, ici. Je déglutissais péniblement, entraînée par Apollon qui s'était déjà mis à marcher vers un employé occupé derrière son bureau.
"Bonjour Madame ! Apollon, enchanté, on ne s'est pas déjà croisés ?" lança-t-il de sa voix enjouée avec ce sourire dont lui seul avait le secret.
"Je viens pour une demande assez spéciale..."Je profitais de son engouement pour me détacher de lui aussi discrètement que possible, bien que je le vis distinctement me suivre du regard alors que j'allais m'asseoir sur l'une des chaises laissées disponibles contre un mur. Je respirais trop vite. Ce n'était peut-être pas la meilleure de mes idées. Ce n'était définitivement pas une solution.
J'en avais parlé à Michel-Ange et le projet n'avait pas semblé si idiot avant que j'arrive ici. Je n'avais aucune idée de ce que je devais faire de ma vie après tout, ça ne pouvait pas être pire. Les changements que je tentais d'effectuer dans mon existence nécessitait que je me trouve une occupation, sans quoi je tournais en rond et passais mes journées au Rabbit Hole - lieu que je préférais ne pas trop fréquenter - avant d'enchaîner par des soirées en ville à la recherche de n'importe quelle distraction. Je n'avais jamais autant détesté de ne pas être soumise à la fatigue ou au sommeil que ces dernières semaines. Je devais constamment garder mon esprit distrait pour ne pas penser à ce qui était susceptible de me blesser, de me frustrer ou de m'attrister.
Oh, j'avais bien tenté d'être serveuse l'espace d'une journée, mais le résultat n'avait pas été concluant, tout comme je n'étais pas faite pour un emploi cérébrale comme c'était le cas de Théodore, et encore moins pour celui d'un bureau comme Michel-Ange. J'aurai fini par casser trop de choses en restant enfermée. Retrouver mon poste précédent était la solution de facilité - et la plus adaptée à mon cas. Basile avait trouvé l'initiative intéressante et en avait fatalement parlé à Apollon qui, depuis la perte de Robyn, estimait que ma présence pouvait être un atout indéniable. Il s'était montré inquiet aussi, mais il le cachait toujours. C'était sa spécialité de dissimuler ses doutes. J'aurai aimé avoir ce même talent.
"Du coup vous voyez, je sais qu'elle a déserté et que c'est pas cool de sa part, mais c'est un électron libre cette amazone..." l'entendis-je énoncer avec calme tandis que je me mordais nerveusement les lèvres.
"Elle est sous autorité divine, si je peux dire ça comme ça, des fois y'a des priorités qu'on peut pas anticiper... Mais elle a du temps libre et veut le passer à vous aider, elle est tellement bienveillante ! Je pense quand même que ce serait mieux de la mettre... sous surveillance. Enfin la laisser pas travailler toute seule. Comme je l'ai dis, c'est un électron libre et..."Je cessais d'espionner la conversation, ma moue agacée devant retranscrire à la perfection à quel point ce discours m'embarrassait. Il me dépeignait comme une personne qui ne savait pas se tenir et qui nécessitait d'être canalisée, ce n'était pas très flatteur. Ce n'était pas faux non plus. Je croisais les jambes, ayant fait l'effort de porter un jean pour l'occasion puisque le Gardien n'aimait pas mes robes courtes et estimait que c'était plus judicieux pour travailler. Il me voyait surtout comme une enfant. Je ne supportais pas ça.
Je gardais la tête baissée, tournant parfois la tête vers le bureau à présent vide de l'ancienne Shérif. Je me sentais triste dès que j'y pensais. Je n'aimais pas ça non plus. Je préférais ne pas songer à tous les donuts que je ne pourrais plus manger et me redressais pour me redonner une contenance, au moment où le dieu revenait dans mon direction avec un sourire plus que radieux.
"Je gère la situation !" articula-t-il avec une assurance exagérée.
"Tu peux me remercier, enfin tu sera pas payée c'est du bénévolat tout ça, mais tu me voles assez d'argent pour pas avoir besoin de salaire donc c'est pas trop un problème.""Vous avez des ressources illimitées grâce à vos pouvoirs. Je ne vous vole rien.""Quand même t'abuse j'ai l'impression de t'entretenir des fois ça a quelque chose de dérangeant..."Il grimaça et je préférais ne pas l'interroger sur le sens de cette expression. Je sentais instinctivement que ça ne me plairait pas et je voyais de toute manière cet argent qu'il me donnait comme une sorte de compensation pour être "sous autorité divine", comme il le disait. Je ne savais pas combien de temps je pourrais rester dans cette police avant une nouvelle catastrophe familiale. Trouver un poste stable en tant que créature titanesque n'était pas aisé.
"Tiens, voilà ton nouveau pote." dit-il alors en désignant quelqu'un derrière moi d'un signe de la tête, ce qui me fit me retourner immédiatement.
Je n'avais jamais travaillé qu'avec Figue comme coéquipière - et j'admettais à présent que nous n'avions sans doute pas été les plus satisfaisantes des employés. Je ne me voyais pas faire équipe avec qui que ce soit d'autre. Ca me rendait... triste, ça aussi. Je dévisageais de haut en bas l'individu qu'Apollon se mettait à saluer énergiquement de la main, le reconnaissant sans mal. Je l'avais déjà croisé à plusieurs reprises. Il était plutôt réputé pour être strict, si ma mémoire ne me faisait pas défaut et si les rumeurs étaient fondées, surtout. Moi qui détestais suivre les règles...
"Monsieur Brooke !" l'interpella alors le Gardien avant que j'ai le temps d'ouvrir moi-même la bouche.
"Je ne vous dérange pas ? Pardon je me jette sur vous comme ça alors que vous venez d'arriver..."Le dieu se mit à rire, exprimant tout sauf de la gêne ou du malaise. Il était définitivement partout comme chez lui. Il s'était mis à lui serrer la main avec confiance tout en posant l'autre sur une des épaules du policier. Je décroisais mes bras sans quitter le Monsieur Brooke du regard, tout autant intriguée que méfiante.
"Vous êtes musclé dis donc." fit remarquer Apollon avec un air satisfait.
"C'est bien. Vous en aurez besoin. Même si ça suffira pas si elle s'énerve mais... Bref ! J'ai parlé à un de vos collègues en fait et il s'avère que vous êtes l'homme parfait pour la tâche que je cherche à confier...""Je ne suis pas une tâche." l'interrompis-je rudement, éprouvant des difficultés à me décrisper.
"Ni un problème à régler, ni un poids à porter, ni une bombe à désamorcer. Et je vous ai dis que je pouvais me débrouiller toute seule.""Ouuuh voilà vous voyez elle est déjà sur les nerfs." répliqua le grand blond avec malgré tout une pointe de nervosité.
"Elle est très sanguine mais elle est adorable, c'est juste son côté amazone qui ressort des fois je suppose...""Je ne suis pas qu'une amazone."Je soupirais bruyamment, de plus en plus énervée de ne pas pouvoir parler pour moi-même. Je ne me résumais pas à ça. J'étais plus complexe. C'était peut-être ça mon plus gros problème, d'ailleurs. Me contenter d'être une guerrière qui obéissait aux ordres qu'on lui donnait aurait certainement été une vie plus paisible.
"Eulalie. Mais on s'est déjà vus." continuais-je finalement en essayant tant bien que mal d'esquisser un semblant de sourire à Monsieur Brooke.
"Chris, c'est ça ? Je suis votre nouvelle coéquipière. Au moins... de temps en temps. C'est possible que je m'absente parfois, j'ai un bateau que je ne contrôle pas et une famille... compliquée."Le coup d'oeil que je jetais en direction du dieu devait être assez éloquent. Il se racla la gorge, jouant l'innocent. Il n'y pouvait pas grand chose non plus à vrai dire, la plupart des péripéties divines se déroulaient au moment où l'on s'y attendait le moins. Nerveusement, je tapais de mon talon contre le sol, déjà lassée de me trouver coincée ici.
"Si elle commence à vouloir tout casser, donnez lui du chocolat, ça la calme." plaisanta le dieu en cherchant à ignorer mes remarques, avant de se concentrer de nouveau sur l'homme face à lui.
"Je sais que vous faites partie de l'équipe spéciale. Avec Dyson Walters. Oh je connais pas les détails, mais ça me suffit pour estimer que vous êtes une personne de confiance habituée aux cas... à part."Il l'avait prononcé comme sur le ton de la confidence alors que je secouais violemment la tête. Je commençais à en avoir assez d'être décrite d'autant de façons différentes qui ne me convenaient pas.
"Vous avez soif ? J'ai envie d'un café. Mais pas d'un d'ici." questionnais-je le policier en ignorant volontairement la présence d'Apollon.
"On sera plus tranquilles ailleurs loin de toute cette agitation." J'avais vexé le Gardien. Je n'avais même pas besoin de le regarder pour le savoir. J'avais empoigné le bras de Chris -sans y mettre trop de force évidemment- pour lui faire tourner le dos au dieu et l'entraîner hors du poste.
Je sentis néanmoins l'aura d'Apollon nous suivre. Il ne me lâcherait donc pas ? Sans doute voulait-il s'assurer que je ne ferai aucun dérapages. Son manque de confiance était assez blessant, d'une certaine façon. Je ne supportais pas de rester entre quatre murs et je supposais que Chris devait bien avoir une sorte de mission à me proposer en extérieur pour me rappeler comment les choses fonctionnaient dans ce métier. Je me souvenais surtout que je pouvais attacher et enfermer tout ceux qui me contrariaient. C'était une perspective qui me convenait. J'en aurai besoin pour me défouler.
black pumpkin