« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
Celui qui perce en Grèce, fera de la graisse en perse
Ah, l’université. Les grandes écoles, les sections spécifiques, les diplômes à obtenir, les mentions des professeurs, les sororités se vouant une guerre sans merci, les examens provoquant cheveux blancs et hausse de consommation de tabac, les vacances scolaires pour se détendre avant de mieux revenir l’année suivante… Tout un tas de choses pour rythmer votre vie et vos habitudes, un quotidien bien rempli avec la dose de stress pour bien faire et les imbécilités des uns pour le bonheur des autres. Des cours à n’en plus finir, d’autres terminés trop tôt, des programmes à rallonge où on se demande comment l’appréhender, des heures passées dans des amphithéâtres bondés ou des laboratoires déserts. Des professeurs présents, absents, bienveillants, sadiques, attentif, nonchalants ; tout un tas de caractères entre la droiture de Mme Nichols et la nonchalance légendaire de Mattarella… Aussi populaires l’un que l’autre si ce n’était que l’un en profitait outrageusement quand l’autre apportait un respect inné dans son silence et sa performance.
On ne pouvait pas toujours être parfait.
Malheureusement pour moi (ou heureusement, allez savoir), le directeur – et accessoirement professeur de philo ou un truc du genre – était extrêmement populaire entre les murs de la faculté et il n’arrivait pas une seule heure où on ne parlait pas de lui entre les bouches des étudiant(e)s. Même Romy, si pure et si innocente Romy, parvenait à prononcer son nom dans tout un tas de sujets qui n’avaient pas forcément à voir avec lui… Je la soupçonnais de prendre cette particularité pour un jeu puisqu’elle relevait à chaque fois qu’elle entendait quelqu’un faire de même. La dernière fois, elle avait noté pas moins de quatre-cent deux interventions en faveur du directeur, bonnes ou mauvaises critiques ! Je lui avais conseillé d’arrêter de gâcher de l’encre pour ça et elle avait cessé avec une petite moue boudeuse, comme si je la privais d’un jeu extrêmement divertissant. Franchement, je ne comprenais pas exactement ce qu’elle trouvait de si drôle à parler de ce type…
Bon, j’étais un peu mauvaise foi de dire ça. Après tout, la dernière fois avait été disons… Electrique ? Rock’n’roll même, puisqu’on s’était retrouvés au festival organisé par la mairie, en pleine bagarre générale avec des robots, sous la musique assourdissante de vieux groupes en hologrammes qui avaient fait exploser les basses sous les rifs de guitare. De quoi se mettre de bon humeur et dans un très bon état général pour attaquer la soirée, entre bière à volonté et cigarettes plus ou moins légales à échanger dans le plus grand des secrets. Ce qui se voyait le plus se remarquait le moins, la police ne nous avait même pas fouillé quand nous avions quitté l’esplanade centrale de Storybrooke ; trop occupés à réguler les droïdes et éviter toute nouvelle effusion de violence. Peut-être que j’avais trop fumé ce soir-là, ou peut-être que l’alcool m’était monté à la tête lorsque nous avions rejoins La Cour des Miracles, la boîte de nuit de Raja. Aucune idée. En tout cas, je m’étais réveillé dans un appartement qui n’était pas à moi, dans un lit que je ne connaissais pas, avec un grand mec musclé pour m’accueillir de son sourire malicieux si particulier.
SI on m’avait dit un jour que je m’enverrais en l’air avec le directeur de l’université qui avait bien voulu m’accueillir malgré mon casier judiciaire et mes emmerdes… J’aurais direct sauté du pont le plus proche. Bordel, se réveiller aux côtés d’un mec c’était déjà quelque chose, moi qui ne voulais pas entendre parler d’homosexualité ou de ce genre de trucs ; mais en plus quelqu’un que je devais croiser régulièrement et qui me sortais tout un truc autour d’un lien entre un démon et son âme sœur… De quoi y perdre la tête mais pas que. Si vraiment je devais donner mon avis, je pense que ça avait été une des meilleures nuits de ma vie. J’avais eu la sensation de pouvoir dire ce que j’avais envie, de faire comme j’avais envie de faire et, pour une fois, de me sentir complètement vivant. Un truc étourdissant. Un salto arrière dans mes réserves mais un plongeon tête la première dans quelque chose d’aussi dangereux que délicieux.
Mais j’avais des idées à respecter et surtout un anonymat à conserver : il avait déjà tenté de me faire entrer dans sa sororité bizarre (sérieusement, qui a un jacuzzi et un spa au sous-sol ?!) et convaincu les Troublemakers de me prendre dans leur équipe d’a-capela… J’appelais pas ça rester dans un coin d’ombre pour ne pas se faire remarquer. Je savais que Luci était du genre à collectionner les conquêtes, sa réputation le précédait et ils étaient nombreux à espérer attirer son attention par un moyen ou un autre. Etrangement, je n’avais pas eu à le faire, c’était lui qui était venu à moi : il m’avait abordé, sabordé, suivi, reconnu, retrouvé, et tout un tas de trucs que ne font normalement pas les professeurs. Où j’en étais avec lui ? Aucune idée. Strictement. Je continuais de faire comme si de rien était, après tout qui s’intéresserait à ça ? Et tentais de considérer ça comme un passage dans ma vie qui n’aurait pas de lendemain. Je n’étais pas dupe, j’étais sans doute une histoire d’un temps et après il passerait à autre chose. Ça fonctionnait comme ça depuis longtemps, pourquoi changer une habitude qui gagnait ?
Peut-être pour cette fameuse histoire de démon lié pour l’éternité à un humain. Le démon, c’était Mattarella et l’humain, c’était moi. Génial. Raja aurait adoré cette histoire mais hors de question de le mettre au courant de quoi que ce soit… Pour lui j’étais l’éternel gamin hétéro qui venait se perdre au milieu des drag queens et je comptais bien garder cette image encore de longues années. Fumer tranquille, boire tranquille, et tenter de garder un peu loin de moi les bandes que j’avais énervé alors même que je n’étais encore qu’au lycée. J’avais suffisamment d’emmerdes pour pas me rajouter un directeur d’université entre les lignes ou entre les cuisses.
Extirpant la dernière bouffée de ma cigarette, je posai un regard fatigué sur Romy qui ne cessait de sautiller sur place. Sa longue tresse blonde ramenée sur son épaule, elle m’adressa un sourire enchanteur tout en me priant de me dépêcher. Les cours allaient commencer et j’avais très exactement quatre minutes pour rejoindre l’amphi qui se trouvait dans le bâtiment à côté du sien ; j’aimais bien l’attendre et la laisser vérifier nos emplois du temps pour y trouver les similarités, j’avais l’impression que même dans des sections séparées on pouvait être toujours aussi proches qu’avant. C’était ma meilleure amie, la seule, aussi bizarre et lunée qu’elle pouvait être. Ecrasant mon mégot sur le cendrier d’une poubelle, je réajustai mon sac sur l’épaule et lui emboitai le pas en direction de la grande entrée principale. D’autres jeunes empruntaient le même chemin, pressés ou non quoiqu’ils étaient plutôt nombreux à courir ce matin ; y aurait-il eu une annonce dont je n’étais pas au courant ? Je ne regardais jamais mes mails de la fac alors, sans doute.
Dans les couloirs, un brouhaha général fait de chuchotements, d‘exclamations et même de larmes commença rapidement à me casser les oreilles. Qu’est-ce qu’ils avaient tous à s’exprimer aussi fort au lieu de rejoindre leurs salles de cours comme tout bon étudiant haïssant le matin ? Face à mon froncement de sourcils, Romy m’attrapa la manche doucement et me désigna les panneaux d’affichage.
« Ils ont sortis les listes pour les voyages scolaires. » M’informa-t-elle dans un gloussement.
Ah, les voyages scolaires… Chaque année, la faculté organisait plusieurs escapades en fonction des spécialités et des moyens disponibles (autant dire, quasiment illimités) dans le but de promouvoir l’intérêt professionnel des étudiants pour leurs sections. Autant dire que c’était surtout un moyen de s’amuser et de passer quelques jours à l’étranger à faire la fête irraisonnablement. Le voyage le plus connu pour ça était, évidemment, celui organisé par Luci et Fat Amy dont les places se payaient à prix d’or et provoquait presque des Hunger Games à chaque annonce de l’ouverture des candidatures. Les gens pouvaient être de vrais malades des fois. Ils embarquaient une vingtaine d’étudiants sur des sites historiques, généralement en Europe, et c’était voyage le plus prisé par les jeunes en manque d’aventures aussi bien sexuelles que sensorielles.
Autant dire… Très peu pour moi. Je n’avais candidaté pour aucun voyage en fait, déjà parce que je n’avais pas envie de faire avancer des frais à ma famille d’accueil, et ensuite parce que je n’avais pas d’intérêt à participer à l’une de ses sorties. Quitte à avoir quinze jours de vacances, je préférais les passer ici en compagnie de Romy.
« Bientôt les vacances, donc. » Commentai-je, songeant déjà à la tranquillité des lieux quand tous seraient partis aux quatre coin du globe.
Près du panneau d’affichage, je distinguai la silhouette de Bean qui, lorsqu’elle nous aperçu, nous fit de grands gestes de la main pour nous saluer. Si Romy n’avait pas couru vers elle pour la prendre dans ses bras dans un câlin-du-matin, je me serrais contenté de tracer ma route pour éviter d’être en retard au cours du Professeur Nichols… Mais non, voilà que l’arrêt était devenu obligatoire et que je levai mon index et mon majeur droit à ma tempe pour lui adresser un signe bienveillant. J’aimais bien Bean, elle était franche et avec un sacré caractère, le genre de nana que tu n’emmerdais pas longtemps ; pas du tout comme Elfo, trop gentil et trop simple. Romy le préférait lui, j’allais pas vraiment lui demander pourquoi.
Bean me donna un coup de poing affectueux dans l’épaule lorsque je fus à sa portée.
« Alors, petit cachotier… Tu m’avais pas dis que Luci t’avais convaincu ! »
« Convaincu de quoi ? »
Non, il n’aurait quand même pas parlé de… ?! Pas avec Bean ?!! A ma tête, elle éclata de rire.
« Pour le voyage ! »
Le voyage ? Quel voyage ? Je ne comprenais plus rien là, quelqu’un avait un traducteur de disponible ? Merci !
« Je pars en voyage ? »
« Oui, regarde ! » Cria Romy, me tirant à travers les étudiants agglutinés face au tableau d’affichage pour désigner la feuille du voyage en Grèce. « Tu es là ! »
Juste sous le logo coloré et le slogan tout aussi bigaré s’étalait une liste de noms et de prénoms… Au milieu desquels se trouvait mon identité écrite en toutes lettres avec une évidence incontestable. Un voyage en Grèce ? Moi ? Mais… J’avais même pas demandé à y aller ! Puis j’allais pas aller en Grèce, je savais à peine où ça se trouvait sur une carte ! Qui m’avais foutu sur cette liste ?! Je croisais le regard de Bean – dont le nom se trouvait aussi dans les fameux nominés – et elle haussa un sourcil évocateur.
Oh putain…
« C’est quoi ce bordel ?! »
Mais je crois que Bean connaissait aussi bien que moi le responsable.
E. M. Kowalski
« J'ai pas trouvé où on peut demander un rang personnalisé... ! »
Celui qui perce en Grèce, fera de la graisse en perse
Étalé sur son lit de chambre universitaire, Zach fixait le plafond et le ventilateur qui tournoyait autour de sa tête… Enfin, ça serait sûrement vrai s’il était sobre et pas en train de se descendre une bouteille de vodka en fumant allègrement. La situation actuelle l’emmerdait considérablement et sa seule porte de sortie, depuis des mois, ça avait été de simplement se bourrer la tronche pour ne pas avoir à réfléchir davantage à tout ça. Une fuite sans élégance mais qui faisait un bien fou, au moins quand il était dans cet état il n’avait pas besoin de se raccrocher à quelque chose, juste se laisser porter comme les vagues aux remous désordonnés. C’était exactement ça : des vagues. Des va-et-vient dans son crâne qui percutaient les rochers pour se briser et éparpiller leurs informations à vau-l’eau. Trop de choses dans son crâne. Trop de sensations dans son corps. Trop d’expérimentations. Il avait coupé court aux émotions qui le submergeaient et noyé tout ça pour flotter hors de portée. C’était toujours plus simple de faire l’autruche que d’affronter la réalité en face…
L’altercation avec Pilib, quelques jours plus tôt, ne l’avait pas aidé à aborder les évènements à venir d’un bon angle. C’était déjà à se demander pourquoi il s’était rendu à ce foutu repas de famille, ils n’étaient pas vraiment une famille juste des morceaux reconstitués pour ressembler à quelque chose ! Son véritable frère, Elijah, ne lui adressait plus la parole depuis longtemps et il devait vivre avec d’autres types qui l’avaient vu grandir comme dépérir sans jamais vraiment lever le petit doigt. Trop occupés dans leurs vies respectives. Trop incompris pour leur laisser la moindre porte ouverte, Zach ne s’entendait pas vraiment avec eux et chaque repas commun était un calvaire supplémentaire. Maintenant qu’il était à la fac, il supportait un peu mieux de ne pas les voir quotidiennement mais le retour aux « sources » le rendait passablement mauvais et déprimé.
C’était simple : il ne se sentait à sa place nulle part et c’était bien ce qui l’emmerdait au plus profond de lui.
* * *
« Alors, comment ça se passe en ville, Zach ? » Demanda leur mère en s’installant à sa place une fois tout le monde servit. « Steve m’a dit qu’il adorait l’université, je suis un peu triste qu’il n’ait pas pu venir… Mais tu es là et c’est tout aussi important. »
Elle portait un sourire si doux que Zach refusa de la regarder plus longtemps, détournant les yeux vers son assiette sans trop savoir comment il allait avaler tout ça. Elle en mettait toujours trop. Le silence qui s’abattit fut lourd et, rapidement, il sentit les autres personnes autour de la table s’agiter. Mais quoi, elle voulait qu’il lui réponde quoi ? Si Steve avait déjà fourni une réponse, pourquoi s’emmerder à en rajouter ? Il devait dire qu’il adorait ça et qu’il s’envoyait en l’air avec des étudiants régulièrement ? Parler des Troublemakers, ce groupe d’a-capella qu’il avait rejoint quelques jours après son arrivée là-bas ? Citer qu’un directeur timbré lui avait mis le grappin dessus ? Sûrement pas.
De toute façon, ils se fichaient de sa vie, ici. Ils étaient tous trop occupés par la leur.
« Zach ? » Insista-t-elle.
« Quoi ?! » Railla-t-il, peut-être un peu plus méchamment que ce qu’il aurait voulu.
Les têtes de ses frères se redressèrent et il ne manqua pas le regard noir que lui adressa Pilib en face de lui. Lui, c’était peut-être le pire : toujours présent aux repas, toujours efficace, toujours à se prendre pour un cowboy et toujours à lui faire la moral… C’était pas parce qu’il s’occupait de personnes complètement détraquées qu’il devait le foutre dans le même panier !
« Arrête de faire le merdeux. Elle te demande juste des nouvelles. » Lâcha sèchement Pilib.
Zach sentit ses poils se hérisser et un frisson d’agacement le parcourir. Il plissa le regard par pure provocation à son encontre, reposant la fourchette qu’il venait de saisir juste avant.
« Ah parce que toi, t’en as quelque chose à faire peut-être ? »
Son frère poussa un petit soupir avant de poser un regard sur Aaron qui lui faisait signe de se calmer. Malheureusement Pilib n'avait pas le caractère le plus facile. Tant mieux, ça aurait presque déçu Zach s’il n’avait pas répondu.
« Ça recommence. La victime le retour. Même si ça peut te surprendre, ouaip j'en ai quelque chose à foutre. On est une famille, putain c'est quand que tu vas le comprendre ? »
« Super famille. Que des pieces rapportées. »
« Les garçons… ! » Intervint Mme Miller, essayant de temporiser de ses mains devant elle. « Zach, peux-tu nous dire comment ça se passe, simplement ? J’aimerais beaucoup savoir comment tu vis l’expérience de la ville… Je n’y suis pas allée depuis un moment. »
Le concerné poussa un nouveau soupir avant de baisser les yeux.
« Ca va, c’est la fac quoi. » Finit-il par admettre du bout des lèvres. « Je pars en Grèce la semaine prochaine avec d’autres étudiants. »
« En Grèce ? Oh, c’est si loin ça ! Tu as besoin d’aide pour ton voyage ? Tu as tout ce qu’il te faut ? »
Zach soutint le regard de sa « mère » avant de secouer la tête rapidement.
« Non, la fac prend tout en charge. »
« Et pour ton… »
Elle n’eut pas besoin de préciser de quoi elle parlait, le garçon le compris directement. Il agita nerveusement la jambe concernée sous la table, refusant encore de manger malgré sa fourchette qui tournait dans la purée maison.
« Ils l’enlèvent la veille et j’dois retourner au commissariat une fois rentré pour qu’on me le remette. Le shérif voulait pas mais c’est juste un connard de toute façon alors tant mieux si c’est pas lui qui décide de ça. »
Il ne portait absolument pas Chris Brooke dans son cœur, stéréotype du type parfait, blanc, blond et américain. Si Storybrooke tout entier semblait l’adorer, ce n’était pas son cas et ça ne le serait jamais ; ce type respirait tellement la perfection que ça en devenait maladif.
« Dans un sens, le shérif n'avait pas tort de ne pas vouloir. » Lâcha Pilib. « C'est fou qu'on soit obligé de te tirer les vers du nez pour avoir ce genre d'info. »
« Tu le défend maintenant ? C’est aussi un de tes potes d’enfance, comme Matteo ? »
Alias le genre de mec parfait qui bravait le danger pour défendre la veuve et l’orphelin ? Rien à voir avec Pilib donc, mais ça aurait été trop simple de juste lui dire ça. Comment son frère avait fait pour s’entendre aussi bien avec un type ennuyeux comme Matteo Solano ?! Qu’il soit pompier ne le rendait pas divin. Finalement, qu’il connaisse Chris Brooke n’était peut-être pas si hasardeux que ça… Entre relous, on tissait des liens.
« Ta gueule, pour une fois ferme-la. Je le connais pas le shérif. Et je m'en porte très bien. C'est juste que des petits cons comme toi mérite pas de voyager gratuitement. »
« Et qu’est-ce que je mérite selon toi, Pilib ? » Rétorqua Zach, ignorant royalement leur mère qui tenta à nouveau d’intervenir. Un rictus narquois apparu sur son visage, insolent. « Vas-y, je suis tout ouïe pour une fois. T’as un truc à me dire ? »
« C'est simple. Liberté surveillé. Assigné à la maison pour que tu arrêtes tes conneries et que se sourire merdeux disparaisse de ce foutu visage. »
Zach serra les dents. Sa liberté, la seule qu’il avait, c’était de ce déplacer entre le campus et ici. Et Pilib voulait qu’il reste dans ce foutu ranch tout le temps de sa peine ? A les supporter alors qu’ils le détestaient cordialement tout autant les uns que les autres ? Mais qu’il aille au diable ! Il aurait jamais dû revenir ici !
« T’aime la simplicité hein ? Ca m’étonne que ta sœur soit jamais revenu te voir quand tu l’as abandonnée. Ca aurait été tellement simple pourtant. »
« ZACH ! » Intervint Madame Miller, d’un ton outré.
« Quoi, c’est pas la vérité ? Il est là à me faire la leçon alors qu’il est même pas foutu de garder sa propre famille dans sa vie ! Il est pas mieux que moi ! »
Du coin de l’œil, il vit Aaron saisir le bras de Pilib pour l’empêcher de lui bondir dessus. La table vibra et le plus jeune affronta le regard d’Aaron qui lui déclara, d’un ton sobre :
« Tu ferais mieux de t’excuser ou de t’en aller. »
S’excuser ? En plus c’était à lui de s’excuser ?! Zach attrapa violemment le bord de la table et recula sa chaise pour se lever prestement. Furieux.
« Pas de problème, je me casse. Bon appétit. »
« Zach ! »
Mais il ne se retourna pas lorsque Mme Miller l’interpella et fit claque la porte d’entrée avec toute la violence dont il était capable. Bordel, son jumeau l’avait laisser tomber comme une merde et maintenant il devait se coltiner une fratrie qui ne voulait pas de lui ; si on appelait ça une famille, il voulait bien se pendre haut et court à la prochaine réunion commune.
* * *
Au lieu de reprendre sa vie en main, d’aller de l’avant comme il l’avait prévu et de continuer sur les rails que la terminale lui avait permis de prendre… Zach avait sombré dans tout autre chose. Dans un nouveau poison enlisant, fait de soirées dangereuses et de relations obscures. Il avait fuit le gang et tout ce que cela signifiait, il s’était caché dans La Cour des Miracles où Raja l’avait pris sous son aile, il avait tenté de se faire une autre réputation pour dissimuler ce qu’il avait fait… Mais son corps parlait pour lui et ses tatouages, aussi vivants que vindicatifs, trahissaient un mauvais garçon dans l’âme. Romy avait beau avoir confiance en lui et lui prouver tous les jours qu’un avenir meilleur était possible, quand il se retrouvait dans des merdes pareilles il se demandait comment faisaient les gens pour ne pas se jeter sous un train. Sa vie lui échappait, les décisions se prenaient sans son consentement et c’était exactement comme ça que vous finissiez dans le bureau du directeur ; à tenter de le repousser alors qu’au fond vous mourriez d’envie de le laisser glisser son corps contre vous et de sentir à nouveau sa peau sur la vôtre.
Il avait refusé les avances de Luci la dernière fois, bien qu’il ait accepté de faire quelques pas dans l’immense pièces où des idées aussi tendancieuses qu’audacieuses l’avaient pris immédiatement. Il fallait dire que le démon savait jouer de son charme pour l’amener exactement là où il le voulait… Mais peine perdu, le caméléon avait refusé ses avances et s’était noyé sous les explications farfelues qui justifiaient sa présence à ce maudit voyage de fin d’année. Si Luci avait réponse à tout, en tant que directeur mais aussi en tant qu’homme de philosophie, il n’avait pas eu le dernier mot sur le corps à corps dont il avait été privé. Zach lui avait accordé un long baiser, à la fois passionné et prometteur, avant de l’abandonner là. Parce que c’était la règle : une nuit et ensuite plus rien. Tous connaissaient le directeur et ses tendances, sa capacité à séduire et à draguer, mais ils savaient aussi qu’il se lassait à une vitesse folle. Ils avaient eu leur moment, désormais le reptile refusait d’être la proie d’un jeu où il sortirait à tous les coups perdants.
C’était pour ça qu’il n’était pas à l’heure. Pour ça qu’il traînait ici au lieu de courir choper le bus pour le mener à l’aéroport à l’heure. Pour ça que son sac était à moitié fait était jeté au pied de son lit et qu’il songeait très sérieusement à ne pas monter dans ce putain d’avion qui le mènerait au bout du monde. On décidait pour lui, on le poussait à sortir de sa zone de confort et il ne savait même pas s’il était complètement prêt à ça. Il voulait reprendre sa vie en main mais il ne savait absolument pas par quel bout commencer…
Peut-être par le sms de Romy qui fit tinter son téléphone et l’obligea à se redresser sur le coude pour le récupérer :
Où es-tu ? J’attends à l’arrêt de bus mais je crois que je suis du mauvais côté de la route…
Bon sang de bordel de merde ! Il lui avait dit de ne pas venir pour l’accompagner ! Après elle était capable de se tromper de chemin pour rentrer et de ne jamais revenir chez elle en un seul morceau. Fulminant, il se releva de son lit pour faire les cent pas dans l’appartement en lui répondant :
Qu’est-ce que tu fous là ? Rentre chez toi !.
Il fourra l’appareil dans sa poche arrière et se baissa pour rassembler ses affaires qui trainaient. Ben, son colocataire, avait un talent indéniable pour la magie et pour garder tout son côté de la chambre impeccable au milieu des figurines et autres gadjets… Ce n’était pas complètement son cas. La réponse de Romy vint rapidement :
Tu pars en voyage alors je t’ai apporté de quoi manger dans l’avion. Il y a des gens qui me regardent bizarrement, je devrais leur demander s’ils sont perdus vu qu’ils n’ont pas l’air d’être de la fac.
Zach poussa un juron sonore, levant les yeux au ciel en tentant de ne pas tanguer et fini par attraper son sac à dos prestement pour y fourrer quelques affaires. Cette fille était impossible ! Si lui avait un problème avec le monde, Romy ne possédait aucun filtre social et était incapable de différencier les bonnes personnes des mauvaises. Dévalant les escaliers à toute allure, il s’élança en direction des arrêts de bus à l’entrée de la fac et la trouva… Toute souriante dans sa robe printanière et son chapeau, tenant un sac devant elle et lui adressant le plus gentil des sourires quand elle l’aperçu. Agitant la main à son encontre, elle fit un pas en avant et manqua de se faire renverser par la voiture qui passa à toute allure pile à ce moment-là ! Le caméléon leva les yeux au ciel et la rejoignit en deux-trois enjambés, lui évitant ainsi de traverser et de mourir encore.
« Je t’avais dis de ne pas venir. » La gronda-t-il.
« Mais Bean m’a dit que tu avais besoin de motivation et de te remplir le ventre pour partir, alors je me suis dis que de la nourriture t’aiderait à affronter ta peur de l’avion ! »
Il grinça des dents.
« Je n’ai pas peur de l’avion. » Faux. « Et ma seule motivation est de rester ici pour être sûr qu’il ne t’arrive rien ! Tu devrais être contente que je décide de ne pas aller en Grèce pour rester avec toi. »
La jeune fille lui appuya sur le nez, fronçant les sourcils en lui fourrant le sac dans les bras.
« N’importe quoi, monsieur Zach ! C’est important que tu y ailles parce qu’il y a ton amoureux qui part aussi ! Et Elfo m’a dit que les amoureux adoraient partir en voyage ensemble, parce que c’était romantique et que ça rapprochait beaucoup ! Alors c’est évident que tu vas partir en Grèce. »
« Romy… » Prévint-il, se jurant intérieurement de frapper Elfo.
« Quoi ? Tu veux pas d’un voyage en amoureux ? »
Mais n’importe quoi ! C’était un voyage scolaire en compagnie des professeurs de l’université, pas du tout un tête à teête avec… Avec qui d’ailleurs ? Attendez, elle ne considérait quand même pas qu’il était amoureux de quelqu’un et encore moins de l’autre grande bouche de… Oh le bordel ! Il se pinça encore l’arête du nez, dépité, jusqu’à entendre les frein d’un bus dans son dos. Romy lui fit un grand sourire et se pencha pour lui embrasser la joue d’un air tout à fait joyeux.
« Voilà ton transport ! Tu m’écriras, hein ? Je crois que ton avion ne va pas tarder à décoller et c’est le dernier bus qui arrivait possiblement avant donc ne le rate pas ! D’après mes statistiques, la circulation devrait le permettre… Bon voyage ! »
Diable qu’il la détestait quand elle subissait l’influence de Bean et se révélait aussi bien un allié qu’un ennemi. Il la toisa des pieds à la tête et le coup de klaxon du chauffeur l’obligea à prendre une décision rapide… Faisant fit de son envie de rester sur le trottoir juste pour prouver à tout le monde qu’il n’était pas facilement manipulable, il grimpa à l’intérieur et cru apercevoir Romy envoyer un sms une fois qu’il eut démarré. Le trajet fut aussi long que chiant, les chaleurs pré-estivale se faisant sentir et avec elles la capacité des gens à se coller les uns aux autres en suant comme des porcs. Fort heureusement pour lui, Zach resta près de la porte et des courants d’air frais le parcouraient à chaque fois que quelqu’un descendait… Mais l’aéroport étant le dernier arrêt de la ligne, il dut subir cet étalage de chair dégoulinantes jusqu’au bout.
S’extrayant du bus, il suivi la file de panneaux pour tenter de retrouver le bon terminal de départ et ne tarda pas à apercevoir une troupe d’étudiants avec à leur tête, le type qu’il n’était pas certain d’avoir envie de voir du début à la fin de ce voyage. EN fait, c’était un putain de mensonge parce qu’à l’instant où il l’aperçu, le corps de Zach réagit violemment en mourant d’envie de courir se pelotonner contre le sien. Merde, merde et merde. Il ignora sa remarque, s’excusa poliment auprès d’Aimée et tenta de faire bonne figure au milieu de ce petit groupe de gens qui collait au cul du directeur comme les petites mouches voraces qu’ils étaient. Certaines filles lui glissèrent des regards enthousiastes et Elfo ne tarda pas à le rejoindre… Il lui casserait la tronche plus tard pour avoir fait croire des conneries à Romy.
Maintenant qu’il était là, le jeune homme réalisa qu’il n’avait aucun véritable moyen d’éviter l’objet de ses fantasmes… Cette histoire de lien avait beau être rocambolesque et déstructurée, il ne pouvait que reconnaître l’incroyable connexion que cet homme semblait maintenir avec lui. La preuve, il se colla immédiatement à lui et dans le creux de ses reins, Zach sentit son bassin venir épouser la forme du sien. Bordel, ce simple contact suffit à virer tout l’alcool de son sang pour une redescente vertigineuse, lui faisant se mordre la lèvre à ses propos aussi graveleux qu’inconvenants. Bordel, l’éviter allait être très compliqué pendant le séjour ; et il savait qu’il ne pourrait pas compter sur ses « amis » pour le tenir à distance. Son souffle chaud dans sa nuque le rendit tout chose et il déglutit avec force pour s’obliger à avoir l’air parfaitement naturel.
« Je n’aurais raté tes sarcasmes pour rien au monde. » Rétorqua-t-il, faisant mine de lui adresser un regard courroucé lorsqu’il insista un peu trop pour se coller dans son dos. « Tu n’avais pas assez à faire avec ta cours que tu m’attendais ? Je t’aurais manqué ? »
Il n’obtint pas sa réponse puisqu’un agent lui demanda d’avancer en direction des vérifications. Il déposa son sac sur le tapis, quitta ses chaussures et sa ceinture et vida le contenu de ses poches dans un plateau. Puis il passa sous le détecteur et se laissa palper sommairement avant qu’on lui dise de continuer. Personne ne sembla lui faire de réflexion sur son casier ou sur le retrait, temporaire, du bracelet à sa cheville pour lui permettre de voyager. Les sécurités d’aéroport étaient bizarres…
En récupérant ses affaires, il aperçut un téléphone posé à côté de plusieurs capotes dans le bac suivant. Relevant les yeux vers leur propriétaire, il leva les yeux au ciel en constatant qu’un seul homme était capable de faire ça et de l’assumer avec un sourire machiavélique en le fixant profondément. Zach avait été clair la nuit où ils avaient couché ensemble : protection obligatoire. La queue de Luci trainait n’importe où et il avait été suffisamment lucide pour lui imposer cette règle ; ça avait agacé le démon mais il s’y était plié pour accéder à ce qu’il désirait.
Peut-être que c’était pour lui, peut-être que pas du tout, mais en les observant disparaître dans les poches de son vis-à-vis, Zach eu soudain très chaud. Il détourna le regard pour éviter celui du directeur et profita de l’arrivée massive des autres membres du voyage pour se faufiler loin de lui et de son sourire narquois. Il savait très bien qu’il l’avait vu et ça semblait le ravir, quand lui préférait chasser très loin la moindre idée d’avoir une chance de nouveau un jour. Attendez, une chance ? Non mais n’importe quoi ! Bean vint glisser un bras sous le sien et l’entraîna vers quelques boutiques de Dutty Free, lui demandant des nouvelles de Romy avec une telle innocence qu’il flaira le piège avant même qu’elle ne le pose. C’était elle qui avait écris à sa meilleure amie pour l’obliger à sortir de chez lui et voilà où il en était rendu : à devoir monter dans un avion, carlingue mortelle propulsée à dix kilomètres au-dessus de la terre sans qu’il n’en ait la moindre envie !
Rien qu’à le voir à travers les immenses vitres du terminal, son ventre se serra douloureusement et sa gorge sembla prisonnière d’un étau qui comprimait ses poumons et l’empêchait de respirer convenablement. Comment faisaient les autres pour sembler si détendus alors que lui mourrait de trouille rien qu’à l’idée de s’asseoir là-dedans ? Ils avaient plus de douze heures de voyage ! Elfo ne faisait que s’extasier d’être assis à côté de Bean, deux rangées derrière la place de Zach. Ce dernier observa un peu plus attentivement le billet que Linda lui avait tendu et remarqua finalement l’inscription « Business Class » inscrite. C’était quoi ce bordel encore ? La fac avait les moyen de se payer ce genre de trucs ?!
Fermant les yeux pour tenter de garder son calme, la colère grondant au même rythme que l’appréhension et la peur, il entendit le premier appel d’embarquement pour leur vol et sentit ses jambes flageoler. Et s’ils couraient pour réclamer de quitter l’aéroport, qui s’en apercevrait ? Ouais là, tout de suite, ça semblait être une putain de bonne idée.
Mais c’était sans compter sur la main qui s’abattit sur son épaule pour le retourner et l’obliger à faire face à ce sourire hautain qui l’exaspérait autant qu’il lui plaisait. Bordel, comment faisait Luci pour provoquer une telle contradiction en lui ? Ca devait être à cause de la vodka. Obligatoirement. Il serra les dents en le suivant plutôt docilement pour une fois et à sa question, il se contenta de répondre un :
« Je n’aime pas les avions. »
Linda le couva d’un regard doux en venant presser quelques instants son bras, leur emboitant le pas parmi les derniers passagers de l’avion et s’assurant que le jeune homme avançait sans avoir besoin d’être trainé sur le sol. Zach avança d’un pas mécanique en direction de l’appareil et, véritablement, si Luci n’avait pas été à côté de lui pour le suivre comme son ombre… Il n’auriat sans doute jamais posé le moindre pied à l’intérieur. Le sourire de l’hôtesse lui fit l’effet d’une douche froide quand elle les dirigea vers leurs sièges et qu’il constata que son cher voisin de bord n’était autre que le type qu’il s’était promis d’éviter tout du long. Magnifique ! Pourtant, trop anxieux à l’idée de décoller, le garçon ne fit pas de réflexion et se contenta de se laisser tomber à sa place en priant le ciel que ce trajet soit déjà terminé.
La tension grimpait en flèche dans son esprit et voir les hôtesses et stewarts procéder aux dernières vérifications et explications ne le rassura pas le moins du monde. Agitant nerveusement sa jambe sur le sol, déglutissant une salive inexistante, il finit par surprendre le regard attentif du directeur posé sur lui. Se mordant la lèvre inférieure, Zach souffla en tentant à peine de dissimuler son anxiété.
« Si t’as un moyen de me détendre là tout de suite, fais-le parce que je te jure que je vais quitter cette avion dans trois secondes. »
Il était déjà prêt à déboucler sa ceinture pour bondir hors de son siège.
E. M. Kowalski
« J'ai pas trouvé où on peut demander un rang personnalisé... ! »