« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
Cette chose qui avait touché la ville, que certains désignaient comme une étrange vague de Vérité, l'avait laissé passablement déprimée et méfiante. Elle avait pu observer les ravages qu'elle avait causé, non seulement suite aux nombreux suicides qui avaient été comptés, mais également en la subissant personnellement. Par sécurité et principalement pour éviter d'être davantage touchée, elle avait donc opté pour une auto-séquestration. Ne pas sortir, éteindre son téléphone, ne parler à personne, jusqu'à être certaine que c'était bel et bien terminé. Elle ignorait combien de temps cela avait duré, elle avait longuement hésité avant de remettre un pied à l'extérieur. Elle savait que c'était prendre un risque. Rester loin de la civilisation lui apportait crises d'angoisse et oppression, alors même qu'elle méprisait la majorité du genre humain.
Ses migraines s'étaient multipliées. Une seule manière de pallier à présent aux coups de massue qu'elle avait l'impression de recevoir contre son crâne : refaire ses stocks de médicaments impossibles à obtenir sans ordonnance à l'hôpital, et dans l'idéal, atteindre aussi la réserve des anesthésistes pour récupérer assez de morphine afin de dormir trois jours d'affilée. Cette partie du plan était aisée à mettre en place, un de ses anciens collègues lui permettait un accès illimité, à condition qu'elle le laisse s'occuper mensuellement d'au moins un des corps de ses 'patients'. Elle le soupçonnait d'être nécrophile. Ou de vouloir se la jouer Frankenstein. A vrai dire, elle n'en avait rien à faire tant qu'elle avait ce qu'elle voulait.
« Faire don de son corps à la science, c'est pitoyable. »
Elle avait d'abord envisagé un nombre précis d'injections pour atteindre un état de semi-coma qui lui permettrait de se reposer assez pour se remettre sur pieds, mais avait finalement opté pour plus d'adrénaline. Il lui fallait quelque chose pour se booster, par pour se mettre à l'état de légume. Ça commençait certainement à faire effet, elle n'aurait jamais autant parlé à cette demoiselle étrange autrement.
« Mais le don d'organes, c'est encore pire. C'est hypocrite. Penser qu'offrir son cœur à une adolescente sur le déclin ou son rein à un père de famille célibataire va pardonner toutes les horreurs qu'on a pu faire de notre vivant, ça n'a rien d'altruiste. »
Elle retira la seringue de sa peau, l'abandonnant sur le trottoir à côté d'elle. La ruelle était étroite, sombre et déserte. Juste la lumière d'un lampadaire lointain lui permettait de ne pas perdre ses moyens face à l'obscurité. Distraitement, elle desserra l'élastique autour de son bras avant de se laisser s'affaler contre le muret derrière elle.
« Je pense que le mieux, ce serait d'ouvrir un restaurant avec des macchabées récents à disposition pour ceux qui sont intéressés tu vois. »
La gamine était d'une compagnie agréable, même si elle était peut-être nécrophile, elle aussi. Au départ, Mary s'était imaginée pouvoir retrouver Michel-Ange afin de profiter encore un peu de sa naïveté pour se distraire. Après tout, cet imbécile était capable de croire qu'elle s'en voulait de l'avoir mal traité, si elle utilisait les bons mots. Seulement, elle ne voulait pas s'encombrer de sa présence envahissante et de ses discours qui lui auraient donné envie de se tirer une balle dans la tête. Ça ne valait pas le coup pour le peu de divertissement que ça lui apporterait.
« On peut arrêter de parler de bouffe ? Je crève déjà de faim et ça empire là. »
Elle était dérangée, Mary n'avait pas besoin d'être psychologue pour le deviner. C'était peut-être ça qui lui avait donné envie de s'arrêter au niveau du carton de cette inconnue qui semblait faire la manche près d'un bar. Ou encore de l'avoir vu mordre violemment le bras d'un pauvre monsieur qui avait cherché à lui laisser de la monnaie. Malgré les apparences, cette blondinette ne cherchait pas la charité. Elle criait sur tout ceux qui osaient lui adresser la parole. Mary avait choisit de s'installer sans dire un mot avant que la jeune femme n'engage d'elle-même la conversation : par des insultes, d'abord, avant de voir son reflet dans la vitre d'en face et de finir par se calmer. Ça faisait souvent cet effet-là.
« J'ai faim aussi. »
Mary se redressa avec bien plus d'énergie qu'elle n'en avait quelques heures plus tôt, secouant sa chevelure blonde pour la remettre à peu près en place. Elle ne prêtait pas une grande attention à son apparence, pas en ce moment. Elle devait avoir l'air d'une junkie ayant déjà frôlé à de nombreuses reprises l'overdose – ce qui n'était pas totalement faux, même si elle ne se rangeait pas dans la case des drogués.
Elle ne s'éternisa pas en adieux, ramassant son sac plein à craquer des médicaments récupérés plus tôt ainsi que son manteau posé à même le sol. L'inconnue sembla se vexer d'un départ si précipité puisqu'elle se mit à hurler alors que Mary s'était déjà éloignée de plusieurs mètres. Elle perçut clairement quelque chose comme « ramène moi un steak si t'en trouves un blondasse ! », mais choisit de ne pas enregistrer l'information. Qu'est-ce que ça pouvait lui faire ? Elles n'étaient pas amies, elle avait juste profité de sa compagnie tant qu'elle en avait eu envie.
Elle s'attarda devant les portes du bâtiment modeste le plus éclairé qui croisa sa route, émettant comme un rire à la vue de l'enseigne. Le Phantom. Sérieusement. Ils n'avaient pas trouvé mieux comme nom ? Ses dents grincèrent malgré elle sans qu'elle ne prête attention aux personnes qui se trouvaient devant. Elle en bouscula certaines avant de pousser les portes, immédiatement agressée par la violence des néons aux nuances bleutées. Une chose était sûre, elle ne risquait pas de faire de crise de panique dans ce lieu : au plafond, au sol, tout le long du bar, il ne manquait pas d'éclairages. Elle perçut des enchaînements de notes aux intonations rocks en fond sonore, penchant vers l'électronique. Pas tellement son genre, pour peu qu'elle en ait un. L'endroit n'était pas bondé, mais respectablement rempli. Elle n'avait pas besoin de trop crier pour se faire entendre.
« Vous auriez quelque chose de solide ? N'importe quoi, tant que ce n'est pas qu'une salade. »
Le barman la dévisagea alors qu'elle s'était installée sur un tabouret, le fixant de ses yeux clairs d'un air extrêmement sérieux. Il resta prostré de longues secondes, comme si il cherchait à déceler la moquerie dans ses paroles, ce qui arracha un soupir des plus explicites à Mary. Il pensait quoi ? Qu'elle cherchait de la drogue ? Elle avait déjà tout ce qu'il lui fallait à ce niveau.
« Pathétique. » articula-t-elle avec mépris. « Vous êtes un de ces bars à cocktails de bobos branchés ? Ça se voit à votre clientèle. Vous allez vite fermer. »
A défaut d'avoir ce qu'elle désirait, elle optait pour le dédain. Elle réfléchissait à tout allure, estimant que commander au resto chinois du coin serait plus rapide. A moins qu'elle n'opte pour un mexicain. De l'épicé, c'est ça qu'il lui fallait. Elle se redressa aussi vite qu'elle s'était installée, grimaçant à l'entente du bruit des flippers. Il faisait bar à oxygène aussi, elle était prête à le parier. C'était d'un cliché. Définitivement pas le genre de bars dans lequel elle aimait s'éterniser.Il n'y avait rien d'intéressant à trouver ici. A moins que...
« Je veux la même chose que lui. » ordonna-t-elle sans une once d'hésitation en pointant du doigt un homme à l'autre bout du comptoir. « Mais en plus fort. »
Ce n'est pas comme si l'alcool pouvait encore lui faire de l'effet. Peut-être même avait-il prit une limonade, ce qui aurait été très décevant. Elle avait cru remarquer qu'il avait le mérite d'avoir bon goût en matière de boissons.
« Monsieur le Thanatonaute fréquente des endroits bien peu distingués. »
Elle s'était approchée avant de se laisser tomber plutôt lourdement sur le siège juste à côté de lui, ses yeux pétillant d'une lueur nouvelle. Son ton était emprunt de curiosité. Elle qui pensait que le hasard ne faisait jamais bien les choses, elle n'aurait jamais pu imaginer le croiser ailleurs que dans une rue avec sa baguette, ou encore dans un club de lecture. Chose improbable, puisqu'elle n'en fréquentait pas.
Sans ménagement, elle s'empara du verre qu'il tenait dans ses mains. Ce n'était pas une impression qu'elle avait eu, il était bien en train de parler tout seul avant qu'elle ne le surprenne. C'était inattendu, il n'avait pas présenté ce genre de dérangement lors de leurs précédentes rencontres. A vrai dire, il n'avait pas l'air d'être... dans un état dans lequel elle avait déjà pu le voir. C'était encore plus intriguant. Est-ce qu'il était triste ? Avait-il perdu tout de cet optimisme qu'il avait tenté de lui transmettre ? Ne pensait-il plus aux beaux jours de sa vie comme il lui avait lui-même conseillé de le faire quand rien n'allait ?
« Je ne vous ai pas dérangé en plein milieu une conversation de grande importance, j'espère ? »
Non pas qu'elle en aurait été désolée, si tel était le cas. Il s'agissait plutôt de conserver un minimum de courtoisie et de faux semblants. Au loin, elle remarqua le regard plein de jugement du barman en train de lui préparer un verre dont s'échappait une fumée étrange. C'était conceptuel. Elle n'aimait pas être épiée de la sorte. Peut-être qu'il ferait un bon steak pour cette cannibale sans domicile qui traînait dans les rues.
« Vous me présentez à votre interlocuteur ? » quémanda-t-elle brusquement d'un ton exagérément chaleureux, un sourire aux lèvres. « Je ne vois pas les fantômes mais je ne doute pas de leur existence. Qui est-ce ? Votre femme ? Votre fille ? »
Il avait dit en avoir une, non ? Elle se crispa légèrement, avant de vider d'un trait ce qui restait de la boisson qu'elle lui avait volé, sa gorge la brûlant légèrement. Si cet endroit était propice aux apparitions et que c'était de là qu'il tenait son nom, elle espérait ne pas avoir à faire la conversations à tout ceux qui étaient susceptibles de venir la hanter.
black pumpkin
Jules Verne
« J'ai pas trouvé où on peut demander un rang personnalisé... ! »
Are you lost enough? Have another drink, get lost in us.
"Voyez-vous, le Temps est une invention de l'esprit. Le concept en lui-même est flou. Peut-on concrètement séparer le passé, le présent et le futur en trois aspects bien distincts ? Non, nous leur donnons une mesure uniquement pour espérer avoir une emprise sur lui. Mais le Temps n'existe pas. Il n'est qu'une illusion. Une récente théorie scientifique avance que nous sommes capables de remodeler nos souvenirs et que par conséquent, le passé se réinvente à chaque fois que nous y pensons. Nous avons tous le pouvoir de changer notre propre réalité et de réécrire notre histoire. En suivant cette logique, il devient donc pertinent de penser plus loin : si nous avons la capacité de réécrire notre propre histoire, le présent et le futur existent-ils, puisque ces deux notions deviennent très vite également du passé ? Suis-je véritablement en train de vous parler à ce moment précis ? Existons-nous vraiment ? Ou avons-nous seulement l'illusion d'exister ?"
La jeune femme à qui je m'adressais depuis plusieurs minutes battit des cils d'un air absent et exécuta la plus grande des impolitesses : elle m'ignora totalement, pivotant sur ses talons hauts pour rejoindre d'autres hommes un peu plus loin. J'étais de nouveau seul avec mon verre, ce qui n'était guère une nouveauté. Seul avec ma solitude.
J'avais souhaité m'encanailler dans un bar afin de me fondre dans la masse, et espérer faire une agréable rencontre parmi la foule anonyme. Quelle déception ! La musique était bien trop forte et dissonante, et les rares personnes n'avaient aucune conversation. C'était d'un triste...
J'étais trop abattu pour partir, et surtout trop fier pour reconnaître cette défaite supplémentaire. J'avais définitivement fait mon temps. Hypérion m'avait remplacé au sein de la Bibliothèque par un chat, je n'avais plus qu'une confiance modérée en lui pour différentes raisons. Quant à ma vie sentimentale... c'était un désert sur lequel rien ne poussait. Le constat était accablant.
Un instant, je voulus faire une tentative auprès d'une autre jeune femme, mais me ravisai. A quoi bon ? Ma conversation ne les intéressait pas. Dépité, j'allai m'asseoir devant le comptoir, prenant place sur un tabouret. Je vidai mon verre et en commandai un autre immédiatement. Décidément, ces cocktails aux couleurs fluorescentes avaient un goût abominable. Ils étaient trop fruités et sucrés. Certains mélangeaient à la fois le gin avec le cinzano, ou, sacrilège, le rhum avec cet infâme Coca-Cola. De mon temps, l'on savait déguster l'alcool sans en altérer le goût avec des substances moins nobles.
Le serveur posa le troisième verre de Blue Mango devant moi. Il s'agissait d'un cocktail à base de vodka, malibu, caraçao bleu, jus de mangue et d'abricot. Aussi étrange dans la couleur que dans le goût. Je le buvais sans respirer, sans aucun élan ni envie. Je cherchais seulement à ralentir mon cerveau, même si je savais que je tenais très bien l'alcool. Peut-être que ces mélanges disgracieux finiraient par avoir raison de ma raison ?
"Et dire qu'à l'époque, il suffisait que tu prononces les mots magiques pour qu'elles te tombent dans les bras." lança une voix familière au timbre espiègle.
Désabusé, je levai les yeux de mon verre pour observer mon frère Paul. Il venait d'apparaître derrière le comptoir. Je n'en étais pas surpris. Les illusions sont souvent d'un grand réconfort.
"Quels mots ?" soupirai-je.
"Je suis Jules Verne." fit-il, singeant la nonchalance et l'arrogance qui me caractérisaient autrefois lorsque je cherchais à impressionner ces dames.
Un petit rictus teinté de désenchantement et mélancolie releva la commissure de mes lèvres.
"Cela ne fonctionnait pas au début." lui fis-je remarquer.
"Ce fut un véritable succès ensuite." s'obstina Paul avec un sourire en coin.
"Je me souviens... tu me jalousais avec toutes ces femmes. C'était le bon temps..."
Je laissai échapper un nouveau soupir, rêveur cette fois-ci. Un brusque doute me saisit. Tous ces beaux souvenirs avaient-ils existé si l'on part du principe que le cerveau réécrit le passé à chaque fois qu'on y pense ? Non, c'était bien trop douloureux d'envisager cette possibilité. Les souvenirs étaient tout ce qu'il me restait.
"Tu réfléchis trop." lança Paul brutalement. "La preuve : même en étant ivre, tu t'obstines ! Tu ne laisses pas ton cerveau au repos. Le frère que j'ai connu savait se détendre."
Je tournai machinalement la tête vers le barman qui se tenait à une distance prudente tout en me jetant des coups d'oeil de temps à autre. N'avait-il jamais vu quelqu'un discuter avec un fantôme du passé ? C'était étonnant quand on appelle son bistrot le "Phantom".
Un autre soupir m'échappa et je déclarai tout en fixant le fond de mon verre aux teintes bleutées :
"Il me semble que je ne connaîtrais jamais plus de répit. Les enjeux ne sont plus les mêmes qu'autrefois."
"Et alors ? Il est toujours permis de s'amuser." protesta mon frère.
J'avais oublié à quel point il pouvait se montrer optimiste. Il me manquait tellement...
"C'est plus facile de prendre la vie du bon côté quand on est mort." fis-je remarquer sombrement.
A cet instant, il plaqua une main contre son torse et grimaça.
"Argh ! Je suis frappé en plein coeur par la flèche du sarcasme !"
Je levai les yeux au ciel, amusé. J'entendis alors une voix féminine toute proche, ainsi que le mot "Thanatonaute". Croyant rêver, je restai focalisé sur mon frère qui continuait ses pitreries. Un parfum plutôt discret parvint bientôt jusqu'à mes narines. Paul finit par me désigner quelque chose à ma gauche avec un sourire jusqu'aux oreilles, mais je sursautai pratiquement quand je sentis des mains froides s'emparer de mon verre. Instinctivement, je le serrai davantage et tournai la tête rapidement, beaucoup trop rapidement étant donné la quantité imprécise d'alcool que j'avais ingurgitée. Le décor ne suivit pas le mouvement et je me retrouvai à cligner stupidement des yeux pendant plusieurs secondes. Enfin, ma vision s'affina et je reconnus Lady Mary. Elle avait une mine épouvantable, étrangement sublimée par les néons au plafond et ses yeux de biche rehaussés de fard. Ou alors, les cocktails non identifiés déformaient ma perception des choses.
"Je ne vous ai pas dérangé en plein milieu une conversation de grande importance, j'espère ?"
Comme j'avais perdu l'usage de la parole pour une obscure raison, ce fut Paul qui répondit à ma place d'un ton charmeur, appuyé contre le comptoir :
"Du tout. Je vous attendais, très chère. Je gage qu'une longue nuit brûlante et dissolue nous attend tous deux."
J'esquissai un geste agacé et plutôt mou de la main afin de le faire taire, même si bien évidemment, la sombre demoiselle n'avait rien entendu. Cela n'en restait pas moins désobligeant. Mary me demanda de lui présenter mon interlocuteur, ce qui me désarçonna davantage. J'avais cru comprendre lors de notre rencontre qu'elle n'était pas une femme comme les autres, mais sa largesse d'esprit m'épatait dans une certaine mesure. Etant donné le fiasco du début de soirée, sa présence était inespérée. Allais-je enfin pouvoir établir un dialogue intéressant avec une personne matérielle ? Il aurait déjà fallu que je retrouve la parole pour cela.
Paul poursuivit sur sa lancée, voulant saisir la main de la jeune femme. La sienne passa au travers mais cela ne l'empêcha pas de poursuivre d'une voix suave :
"J'aimerais écrire un poème sur votre corps nu. Je le rédigerai à même votre peau. Ma plume sera caressante et volubile... C'est bien ce genre de niaiseries que tu leur racontais, non ? Alors, qu'attends-tu, mon frère ? Ne tarde pas trop, ou elle risque de se lasser et de partir."
J'hésitais à lancer mon verre à la figure de Paul. Cela aurait été vain, naturellement. A la place, j'inspirai profondément et écartai laborieusement les vapeurs de l'alcool pour répondre enfin à Mary :
"Il s'agit de mon frère. Il allait s'en aller."
J'adressai un regard oblique à Paul qui prit aussitôt l'allure d'une personne prise en faute. Il fit semblant de descendre un escalier caché derrière le comptoir, après un dernier regard amusé. Comme il ne reparut pas, je me soulevai du tabouret, appuyant les mains contre le comptoir et me penchai par-dessus. Il était véritablement parti. Reprenant place, je vidai mon verre d'un trait et fis signe au serveur de me resservir la même chose. Ce dernier apporta également un Blue Mango à Mary.
"Vous. Ici." fis-je enfin d'un ton guilleret.
Ma voix était pâteuse. Différente de d'habitude. Je me sentais plus heureux. Lentement, je lâchais prise sur la pénible réalité. L'exercice ne semblait plus si ardu, désormais. Paul avait raison. Il suffisait de... se laisser glisser. De devenir spontané.
"Vous devez sans doute vous demander ce que fait un endroit comme moi dans un homme pareil ?"
J'avais l'impression que ma phrase était étrange sans comprendre comment faire pour la prononcer différemment. Ce n'était pas grave. Rien ne l'était, en fin de compte. Je fronçai les sourcils puis haussai les épaules, désinvolte, et bus la moitié de mon verre.
"C'est bleu." lançai-je en désignant le contenu. "J'aime le bleu. C'est la couleur de l'océan. J'aime l'océan et les bateaux."
Cela m'apparaissait une information très pertinente à ce stade de la conversation.
Je posai mon verre sur le comptoir et me saisis de la main de Lady Mary, comme j'avais rêvé de le faire dès l'instant où mon frère avait esquissé le geste.
"Vous n'êtes pas chaude."
J'avais l'impression que mes pensées brutes franchissaient mes lèvres sans aucune barrière pour les retenir.
"Moi, je le suis." précisai-je avec un sourire vitreux tout en caressant sa main. "J'ai très... chaud."
D'ailleurs, j'estimai que boire encore un peu de Blue Mango pourrait me rafraîchir. Plus j'en absorbais, et plus je découvrais des saveurs insoupçonnées dans ce cocktail que j'avais très mal jugé au premier abord.
"Ne jamais se fier à la première impression." déclarai-je avec assurance.
Ca, c'était un précieux enseignement. Je me trouvais particulièrement brillant, à cet instant, même si j'avais l'impression que le tabouret sur lequel j'étais assis devenait de moins en moins stable. Le mobilier de ce bar laissait grandement à désirer, si vous voulez mon avis.
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Mary Bates
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“I wish I were a girl again,
half-savage and hardy, and free.”
| Conte : Folklore | Dans le monde des contes, je suis : : Bloody Mary
Plus son silence s'éternisait, plus elle cherchait à évaluer le nombre de verres qu'il avait déjà pu consommer avant son arrivée. Mary estimait que si il était habitué aux alcools forts, il devait avoir atteint un certain niveau de consommation pour se montrer si peu loquace. Elle avait déjà remarqué qu'après une seule question, il était capable de partir dans des monologues interminables, ce qui était loin d'être actuellement le cas. Loin d'être irritée par son manque de communication, elle était intriguée par ses gestes et ses regards.
Elle haussa un sourcil en le voyant se pencher sur le comptoir. Si elle en avait bien fait la supposition, elle était malgré tout surprise d'avoir la confirmation qu'il voyait bien quelqu'un, son frère en plus de cela. La première chose qui lui passa à l'esprit fut qu'elle aurait dû émettre cette proposition et lancer un pari, mais il était trop tard maintenant que la manifestation s'était échappée. Est-ce que c'en était vraiment une, ou juste une divagation de l'esprit de l'écrivain ? Ayant elle-même été une sorte d'apparition d'après-mort, Mary ne pouvait avoir aucune certitude à ce sujet. Tout était possible dans cette ville.
Elle dû réprimer un rire à ses paroles confuses, se contentant d'un sourire qui en disait déjà assez sur son amusement. Elle n'avait pas espéré pareille rencontre, et encore moins dans de telles conditions. C'était sans doute une manière pour le destin de compenser les semaines horribles qu'elle venait de traverser.
« Le bleu est la couleur du ciel aussi. J'aime un peu. » affirma-t-elle, sans juger nécessaire de s'attarder sur ce sujet.
Pourtant ses réflexions s'enchaînaient, faisant le lien avec les oiseaux tout d'abord, dont elle écarta ses pensées. Puis les avions. C'était un mode de transport semblable aux bateaux après tout, elle restait dans une même thématique. Elle n'avait jamais prit l'avion. Ni fait le moindre voyage en mer en réalité. Elle s'était surtout toujours demandé ce que ça pouvait faire de prendre le train étrangement.
Ses doigts frôlaient le bord de son propre verre et elle sursauta presque en sentant son autre main être attrapée. Elle cligna des yeux à sa remarque, sans en être très étonnée étant donné les attestations qu'il faisait depuis qu'elle s'était installée. C'était un fait, sa température corporelle ne montait jamais très haut à moins que la situation ne le permette. Elle s'y était habituée. Et il avait raison : il était brûlant. C'était plutôt plaisant, à vrai dire, ça la faisait frémir.
« Qu'est-ce qui a bien pu vous arriver ? » murmura-t-elle malgré elle, presque moqueuse, en détaillant le moindre trait de son visage.
Sa voix, sa manière de s'exprimer, sa posture, tout était différent. Il perdait en élégance, d'une certaine façon, pour gagner en charisme et en spontanéité. C'était un changement qu'elle ne jugeait ni bon ni mauvais, elle en était simplement affreusement intriguée. Elle vida la moitié de son propre verre avant de le reposer brutalement contre le comptoir.
« Accident de voiture, peut-être. » supposa-t-elle rapidement, étrangement enjouée.
Mary secoua la tête, peu convaincue par la propre idée qu'elle se faisait de l'événement déclencheur. Ce n'était pas suffisant pour le pousser à boire autant. Même si frôler la mort pouvait mener beaucoup de personnes aux extrêmes, il avait une histoire bien trop particulière pour que ce soit son cas. A moins qu'il ne fasse juste preuve d'un relâchement à cause d'une crise de la... cent cinquantaine ? Elle l'avait vécu, c'était bien possible.
« Deuil. » continuait-t-elle, imperturbable, plissant les yeux en ne cessant de le fixer. « Déception amoureuse. Cambriolage. Nouvelle tentative d'assassinat. Maladie incurable. Viol. »
Il y avait tellement de possibilités ! Elle les enchaînait avec une exaltation trop prononcée par rapport à la signification des mots qu'elle laissait échapper.
« Tout ça en même temps ? Même moi, je trouverais ça horrible. »
Une moue presque compatissante prit place quelques secondes sur son visage avant de disparaître. Elle appréciait les malheurs des autres puisqu'ils l'écartaient de sa solitude mais, si ils étaient trop nombreux, ils lui inspiraient plus de pitié que de contentement. Et trop de pitié, c'était ouvrir les portes à des sentiments altruistes. Hors de question.
Sa main libre alla frôler la canne qui était posée près du tabouret de l'écrivain, avant qu'elle n'aille s'aventurer sur sa jambe. Il avait bien évoqué une drôle d'histoire avec son neveu et un soucis de cheville, la dernière fois. Il n'avait pas l'air d'en souffrir tant que ça mais on ne pouvait pas échapper éternellement aux douleurs qu'on avait subit par le passé.
« J'ai toujours trouvé ces objets laids. Mon père en avait une, il ressemblait à un bossu dès qu'il se déplaçait. Je ne dis pas que c'est le cas pour vous, quoi que... ça vous donne un côté vulnérable en tout cas, c'est certain. »
Elle avait fait ses recherches sur qui il était, puisqu'il n'avait jamais daigné lui donner son nom. Peut-être parce qu'elle n'avait pas prit le temps de le demander, c'était une possibilité. Elle n'avait rien découvert de très palpitant qu'elle ne savait pas déjà.
« Peu importe. » décida-t-elle de conclure en appuyant sa prise sur sa cuisse dans un haussement d'épaules. « Vous me plaisez comme ça. »
Elle le relâcha avec le plus innocent de ses sourires avant de serrer sa main dans la sienne et de vivement se redresser de sa place. Elle aurait pu faire preuve de plus de délicatesse pour l'inciter à se lever à sa suite, abandonnant sa canne en jugeant qu'elle était un bien meilleur appui, si il en ressentait le besoin.
Elle détestait toujours autant les sons indistincts qu'elle percevait dans tout l'endroit et hésita un instant à le mener au dehors, estimant qu'il devait exister des lieux bien plus intéressants à visiter dans cette ville.
« Hey toi ! »
Elle se stoppa net, se cognant presque à l'écrivain dans sa brusquerie, en tournant juste assez pour faire face à l'individu qui avait ainsi osé l'aborder. Elle aurait pu le renverser d'un coup de pied bien placé, à l'évidence. Il avait le droit d'être ici ? Il n'était pas trop jeune ? Ou trop petit ? Elle le fusilla du regard de toute sa hauteur, mais son regard sévère lui donna l'envie de lui laisser le bénéfice du doute.
« On a besoin de volontaires pour un test de séance d'hypnose. C'est pour se faire posséder. T'as la tête de l'emploi. »
… Ses yeux s'ouvrirent en grand et elle ne put s'empêcher de pouffer face à une telle indécence et une telle ironie. Elle se mit même à rire très franchement, alors qu'il restait stoïque et immobile face à elle, le visage fermé.
« Non. Merci. On passe. » rétorqua-t-elle après un instant, levant les yeux au ciel.
Il la prenait pour qui exactement ? Elle avait mieux à faire que perdre son temps à faire la cobaye et encore plus pour des stupidités pareilles.
« Je prends ton pote quand même, il est pas en état de refuser. C'est bien les gens bourrés, ils sont plus sensibles à ces trucs-là. »
Son expression changea du tout au tout, passant de l'amusement à l'agacement. S'il pensait que c'était si facile, il se trompait largement. Elle allait s'apprêter à serrer plus fort la main de l'écrivain lorsqu'elle le sentit s'éloigner. Surprise, tout d'abord, elle se retourna pour voir que ce nain imbuvable était accompagné d'un complice à la carrure de videur de boîte de nuit qui faisait deux fois sa taille. A elle. Autant dire qu'elle ne faisait pas le poids.
Le géant était déjà en train d'attirer Jules bien trop loin, vers le fond du bar. Ils allaient où exactement ? A la cave ? Il se passait des choses bien trop étrange dans cet endroit. Elle se pinça furieusement les lèvres, gardant son air fier et assuré même si elle sentait que la situation était en train de lui échapper. Mais elle était Bloody Mary, après tout. Il aurait été idiot de ne pas montrer à ses imbéciles qu'ils jouaient avec des choses qu'ils ne pouvaient pas contrôler.
« Très bien. Mais pas de rite satanique, j'ai déjà donné. » prononça-t-elle avec un sourire forcé, suivant le mouvement alors que le petit nabot semblait des plus satisfaits.
Elle aurait dû s'y préparer. La soirée ne pouvait pas être parfaite sans quelques perturbations dressées sur le chemin.
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Jules Verne
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Une porte. Un escalier sombre. Des marches en bois. On me tient rudement par le bras.
Les informations parvenaient jusqu'à mon esprit à retardement. Les rouages de mon cerveau étaient comme enrayés. J'avais la sensation de flotter, d'être aussi léger que l'air.
Mary n'appréciait pas ma canne. Cela nous faisait un point commun car moi non plus je ne l'aimais pas. D'ailleurs, je n'étais pas mécontent de l'avoir oubliée près du comptoir.
Comme la jeune femme était dévouée de m'avoir offert son bras afin de m'appuyer dessus ! Je tournai la tête vers elle avec un large sourire qui s'estompa légèrement. Interdit, je clignai des yeux. La sombre demoiselle avait changé. Elle était devenue très grande, musclée et virile. Elle avait également la peau noire ainsi que le crâne rasé.
"Comment... comment avez-vous fait ?" balbutiai-je, intrigué.
Elle m'avait caché ses talents en matière de métamorphose.
"Je vous préfère blonde."
Mary resserra sa poigne autour de mon bras et m'incita à descendre les marches. Une odeur de renfermé, de tabac et de sueur parvint jusqu'à mes narines. Je voulus faire demi-tour mais ne réussis qu'à faire le tour de moi-même. Je titubai et dégringolai plusieurs marches sans trop comprendre comment mes pieds avaient réussi ce prodige. La sombre demoiselle -à la peau très sombre- voulut me rattraper et poussa un juron. J'eus le loisir de remarquer que sa voix avait une intonation incroyablement masculine. Cela me plaisait de moins en moins.
Je me retrouvai assis face à une table ronde, je ne sais comment. Au-dessus de cette dernière pendait une ampoule qui grésillait de temps à autre.
"Faut la changer." lançai-je en la tapotant du doigt.
Chaleur. Brûlure. Douleur. Aïe.
Je portai mon index à ma bouche et le suçotai tout en pivotant sur ma chaise afin de m'affaler de côté contre le dossier.
"Reste tranquille." recommanda Black Mary d'une voix d'outre-tombe.
Elle disparut dans la pénombre de... Etait-ce une cave ? puis revint quelques secondes plus tard avec une étrange tablette en mains, qu'elle posa au centre de la table ronde. Je me penchai dessus, les bras croisés sur la table, louchant sur les lettres et les chiffres gravés, les sourcils froncés en signe de concentration intense.
"Bizarre ce Scrabble." conclus-je finalement en me grattant le front.
Je me saisis du petit ustensile en bois doté d'un trou à son extrémité la plus pointue, et l'analysai. Puis, je le plaquai contre mon visage, fermai un oeil et regardai à travers le trou. J'aperçus alors Lady Mary, blonde, pâle et élégante, suivie par un tout petit monsieur. Je m'esclaffai et éloignai l'objet de mon visage.
"J'ai déjà vu des gens comme vous au cirque !" dis-je au nain, jovial.
Il ne semblait pas enchanté de l'apprendre. Etait-ce une distorsion de mon ouïe ou était-il en train de grogner entre ses dents ?
"Calmos, Eddie." fit Black Mary.
Je clignai des yeux et dévisageai les deux jeunes femmes -la noire et la blanche- tour à tour, avant de m'écrier en souriant :
"Vous êtes deux ! J'en ai de la chance ! C'est vraiment de la magie !"
"Il est déjà possédé ?" s'enquit le petit monsieur auprès de Black Mary.
"Nan. Je t'attends toujours pour ça. Je crois qu'il est juste bien déchiré." répondit la femme robuste.
Estimant qu'il s'agissait d'un compliment, j'esquissai un grand sourire reconnaissant. Je me sentais particulièrement jeune et "déchiré".
Je voulus croiser les bras. Je m'y repris à plusieurs reprises avant d'abandonner l'idée. Ce geste était décidément trop compliqué. A la place, je posai un coude sur la table et la tête dans la main tout en observant la plus pâle des deux Mary d'un air rêveur.
"Venez là." dis-je finalement en tapotant le siège juste à côté de moi.
Eddie me prit l'objet en bois de la main et se percha sur une chaise à l'autre bout de la table. Black Mary le rejoignit pour prendre place à sa droite. Quant à ma Mary préférée, elle passa près de moi pour s'asseoir mais je la saisis subitement par la taille et la plaçai sur mes genoux. Elle était si légère et elle sentait tellement bon ! La pointe de ses cheveux chatouillait mes joues. Peut-être n'était-ce pas gentleman d'agir ainsi, mais ce soir-là, ma raison était anesthésiée.
"Ca va pas le faire." soupira Eddie.
Black Mary haussa les épaules.
"T'as déjà vu beaucoup de gens possédés avec une nana sur les genoux ?" insista le petit monsieur.
"Ca peut faire un strike : double possession." suggéra la femme virile.
"Ou alors ça va perturber les esprits et ils ne viendront pas." fit-il en tapant son poing sur la table.
Je sursautai devant ce brusque accès de violence, mais gardai les mains posées sur les hanches de Mary afin de montrer que je n'allais pas me laisser dicter ma conduite par une demi-portion.
"Vous êtes simplement jaloux. Ma Mary est plus belle que la vôtre, c'est un fait." déclarai-je, hautain avant de désigner la sienne du menton. "Mais étant donné votre apparence, estimez-vous heureux d'avoir quelqu'un pour réchauffer vos nuits."
"Qu'est-ce qu'il a dit là ?" maugréa Eddie en se levant d'un bond pour grimper debout sur sa chaise.
"Mec, t'as pas géré. Le dernier qui l'a insulté s'est retrouvé avec six points de suture au derrière." m'informa Black Mary, fataliste.
Eddie serrait des poings en me fixant d'un air assassin. Je lui rendis son regard revolver. Bien, je savais ce qu'il me restait à faire.
"Un duel. Cela me semble de bonne guerre. Ainsi, vous aurez l'occasion d'obtenir justice et moi de... m'amuser."
Je fis une petite tape sur la cuisse de la jeune femme afin de l'inciter à se relever.
"Mary, vous serez mon second."
Vaillamment, je me relevai et tirai sur ma chemise froissée afin de jauger le petit monsieur de toute ma hauteur vacillante. Ce dernier me lança un regard désabusé.
"Tu te crois dans un western, abruti ?" aboya-t-il.
Je tiquai. Mais gardai mon calme tout en retroussant mes manches.
"Il nous faudrait des armes. Nous n'allons pas nous battre à mains nues comme des chiffonniers." fis-je remarquer.
Ce ne serait pas équitable pour lui : je l'aurais assommé en deux secondes avec ma force brute. Il en possédait forcément moins puisqu'il était tout petit. Il sauta en bas de sa chaise et se saisit d'une barre de fer qu'il brandit au-dessus de sa tête.
"Je vais lui refaire sa jolie petite gueule..." grogna-t-il comme une promesse.
Et vulgaire avec cela... Imperturbable, je titubai tout en cherchant une arme. Je laissai échapper une exclamation alors que je brandissais... une petite cuillère. Je l'avais trouvée dans une boîte posée sur une étagère. L'idée m'avait parue bonne sur le moment. Brusquement, je doutai. Je finis par hausser les épaules. Après tout, l'avenir appartient aux audacieux !
"Eh, regardez !" s'écria Black Mary.
Estimant qu'il s'agissait d'une ruse, je restai aux aguets sans lâcher Eddie des yeux, mais bientôt ce dernier observa la table. Je la regardai à mon tour et remarquai que l'onglet en bois bougeait tout seul sur la tablette alphabétique. Oubliant nos griefs, nous nous en approchâmes. Différentes lettres furent indiquées par l'onglet. Je dus redoubler d'efforts afin de comprendre qu'elles formaient ce mot :
IDIOTS
Je laissai échapper un rire franchement amusé et repris place sur ma chaise avant de toquer plusieurs fois sur la tablette.
"Esprit, es-tu là ?" me moquai-je.
J'adressai un sourire complice à Mary, puis me souvins, par flashs imprécis, de comment fonctionnaient les séances de spiritisme. Après tout, j'avais déjà participé à quelques unes d'entre elles lors de ma précédente existence.
"Nous devons unir nos mains sur l'onglet." annonçai-je solennellement.
Je me saisis de chaque main de chaque Mary et les joignis à la mienne sur le petit objet. Sans doute allait-il recommencer à bouger d'un instant à l'autre. Incapable de garder mon sérieux, je pouffai de rire. Eddie nous fixait, les bras croisés, le regard oblique. Enfin, il consentit, avec une réticence évidente, à poser un petit doigt sur un coin de l'onglet.
"Je me serais battu." assurai-je vers Lady Mary tout en hochant plusieurs fois la tête. "Si la situation l'avait exigée."
"Ecrase Cyrano, tu nous gonfles." maugréa Eddie.
"Oh, j'ai compris la référence !" m'écriai-je, agréablement surpris.
Cyrano de Bergerac. Edmond Rostand. Pièce de théâtre.
Les informations arrivaient abruptement jusqu'à mon cerveau, comme les wagons d'un petit train avançant sur des rails chaotiques.
Gorge sèche. Trouble de la vision. Liesse. J'avais envie de faire une citation. La seule qui me vint en tête n'avait aucun à-propos.
"Si les baisers s'envoyaient par écrit, Madame, vous liriez ma lettre avec les lèvres !" baragouinai-je à Mary, avant de m'apercevoir que j'étais tourné du mauvais côté.
La Mary à la peau noire me répondit par un sourire ému, avant de croiser le regard sombre d'Eddie et de se ressaisir. J'étais irrésistible, et cela agaçait le petit monsieur.
"On le bâillonne ?" proposa-t-elle à contrecoeur de sa voix masculine.
"Pas trop tôt ! Evidemment qu'on le bâillonne !" fit-il, retrouvant son enthousiasme.
Bayonne. Jambon. Envie. Manger.
Je m'extasiai moi-même devant mes prouesses cérébrales, puis m'appliquai pour tourner la tête du bon côté, cette fois.
"J'ai drôlement faim." songeai-je à haute voix. "Et vous ? Mangez-vous suffisamment ? Vous êtes aussi maigre qu'un porte-manteau."
Etait-ce vexant ? Peut-être un peu.
"Attention, un joli porte-manteau." précisai-je tout en lui souriant. "Vous seriez un modèle en bois d'aubépine. En latin, cela se dit al... 'alba spina' ou 'épine blanche' et..."
"Vas-y prends carrément le Scotch de déménagement, j'en peux plus là." coupa Eddie à Black Mary.
Je m'aperçus alors que cette dernière farfouillait dans la cave à la recherche de quelque chose. A mon humble avis, ce n'était pas là qu'elle trouverait le jambon de Bayonne.
crackle bones
Mary Bates
« J'ai pas trouvé où on peut demander un rang personnalisé... ! »
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“I wish I were a girl again,
half-savage and hardy, and free.”
| Conte : Folklore | Dans le monde des contes, je suis : : Bloody Mary
Le divertissement que lui procurait cette situation des plus excentriques et inattendues était presque trop plaisant pour être vrai. Elle s'interrogea un instant, se demandant si elle était victime d'hallucinations étonnement réalistes grâce aux substances qu'elle s'était administrée. Son imagination ne parvenait jamais à créer des scènes aussi développées et encore moins satisfaisantes. Non, c'était bien ce qui était en train de se passer. Elle se devait d'en profiter pleinement tant que l'amusement lui était accordé. Ça ne durait jamais.
« Si je suis un porte-manteau, lui c'est un marche-pied. » lança-t-elle sans retenue en désignant l'homme de petite taille d'un geste de la tête.
Elle ressentait une certaine frustration à la tournure qu'avait prit le début de duel contre l'écrivain. Elle aurait aimé voir ce dont il était capable avec une barre en fer, tout en espérant qu'il n'abîme pas trop Jules en usant de l'objet trop violemment. Le pauvre n'aurait pas été bien loin avec sa petite cuillère. Sans doute se serait-il débrouillé pour gagner autrement... ou il se serait retrouvé à terre et incapable de fonctionner correctement. Elle n'était déjà pas persuadée que son comportement actuel soit des plus naturels, il l'avait habitué à bien plus de réserve et de décence. Elle ne se plaignait cela dit absolument pas du changement provoqué par l'alcool.
« Je m'oppose à toute forme de maltraitante envers mon partenaire. J'aime l'entendre parler, ça me détend. »
Elle s'était redressée, posant doucement une main sur l'épaule de ce molosse qui n'avait finalement rien de très effrayant. Il était imposant par sa carrure mais il transpirait d'une certaine bonté difficilement dissimulée. La teigne dans leur duo, c'était l'autre Eddie.
« Donnez moi ce scotch, vous allez vous faire mal. »
Il la fixait de ses grands yeux et, si elle se sentait minuscule face à lui, elle ne montrait rien de cette impression d'infériorité qui l'habitait. L'assurance était la clé de la réussite. Il ne semblait pas prêt à lui céder si facilement mais elle n'avait qu'à faire descendre doucement ses doigts le long de son bras pour le distraire et s'en emparer sans aucune difficulté.
« Vous êtes tellement mignon ! » prononça-t-elle, rieuse, en allant alors pincer la joue de cet adorable personnage.
Mary cherchait certainement à tester les limites de la patience de cette montagne humaine, ou alors à agacer profondément celui qui lui servait de patron ou d'ami fidèle. Elle n'était pas certaine du terme approprié. Elle arborait un air fier en tenant le rouleau dans ses mains, qu'elle faisait tourner maladroitement, en jetant un regard empli de mépris en direction de l'autre énergumène.
« Mary, 1. Eddie, 0. » énonça la jeune femme avec une fierté exagérée. « Je vais vous piquer votre garde du corps, je l'aime bien, il fait les massages aussi ? »
C'était de la pure provocation. Elle ne craignait pas grand chose, il ne s'en prendrait pas à une pauvre femme à l'air cadavérique, elle en était intimement persuadée. Il prouvait déjà qu'il était trop faible en s'entourant d'un coéquipier afin d'arriver à ses fins.
Habilement, elle s'appliquait à dérouler des morceaux de scotch qu'elle chiffonnait pour les abandonner au sol. C'était une occupation certes inutile et peu satisfaisante, mais elle la trouvait à cet instant d'une pertinence absolue. Combien de mètres était nécessaire pour accrocher un homme d'un mètre trente à une poutre de cette cave ? Plus intriguant encore, est-ce que cet endroit avait déjà servi à séquestrer qui que ce soit ? Tant de mystères régnaient dans l'atmosphère. C'était un lieu qui avait dû voir passer pas mal d'indécences, à n'en pas douter.
« T'aurais pas dû prendre les premiers qui passaient, on en tirera rien... »
Elle leva un sourcil en direction du molosse mécontent, une moue déçue prenant place sur ses traits. Alors il la traitait d'incompétente ? Elle entendait le nain grommeler tandis qu'il s'était redressé – si on pouvait dire ça comme ça – et commençait sérieusement à s'impatienter.
« Détrompez-vous. Je suis la femme de la situation. »
La réplique était arrogante. Et d'une banalité incroyable. Elle secoua la tête, reprenant place sur sa chaise. Non. Ça ne lui convenait pas. Elle la quitta rapidement, le rouleau de scotch brutalement posé sur la table, pour s'installer sur les genoux du Thanatonaute. C'était plus confortable. Elle avait regretté d'être si rapidement évincée lorsqu'il l'avait lui-même attiré.
« Déjà il manque les bougies. C'est important pour l'ambiance. » poursuivait-elle malgré tout, imperturbable, sa main parcourant nonchalamment celle de l'écrivain qui était à sa portée.
Immédiatement, le grand imbécile alla s'activer dans des caisses dans l'obscurité. A vrai dire, Mary détestait surtout la luminosité trop basse de la pièce, l'ampoule n'était pas de qualité et elle frissonnait à chaque fois que la lumière sautait.
« Vous vous y prenez très mal. Cette... entité vous prends pour des idiots, prouvez-lui qu'elle se trompe si vous souhaitez qu'elle se manifeste à nouveau. »
Est-ce qu'il s'était vraiment produit un événement paranormal, d'ailleurs ? Ou n'était-ce qu'un mécanisme de plaques métalliques et d'aimants qui avaient permit le passage d'un message ? Elle doutait. Elle espérait et redoutait qu'il s'agisse réellement d'un fantôme. Ou d'autre chose.
« Bernard, elles arrivent ces bougies ? » lança-t-elle en pivotant, manquant de frapper le visage de ce cher Verne en bougeant trop rapidement.
Elle aimait bien Bernard, elle allait garder ce nom. Quant à Jules, Cyrano ne lui convenait pas, elle ne comptait pas adopter ce surnom. Le nerveux à côté d'eux n'avait clairement aucun goût pour l'en avoir affublé.
« Où est-ce qu'on en était tous les deux ? » se mit-elle à chuchoter, son visage beaucoup trop proche du sien.
Sa main libre encore froide ne se gêna pas pour venir frôler la ligne de sa mâchoire, ses lèvres s'étirant dans une expression de ravissement et ses yeux brillant appréciant la lueur qu'ils voyaient dans les siens. Il pouvait être amusant, si il le voulait. Il y avait tant de facettes qu'elle n'avait certainement pas encore eu l'occasion de découvrir. Elle exhala un soupir rêveur tandis que ses doigts poursuivaient leur progression, allant se perdre dans ses cheveux d'une qualité rare pour un homme de son âge.
« Ah oui ! » poursuivit-elle brusquement, cessant sa découverte tactile. « Continuez de citer Rostand, vous avez une voix captivante, presque stimulante. »
Est-ce qu'elle l'avait lu au moins, cette pièce ? Elle n'aimait pas ça. Elle détestait. C'était probable, pourtant. Elle s'en souvenait en tout cas. Si elle occultait généralement ces informations qu'elle jugeait inutiles, sa mémoire aimait lui rappeler dans ses moments de plénitude tout ce qu'elle avait pu emmagasiner. Elle haussa les épaules, sans se départir de son sourire, avant de se retourner.
« Il me faut votre veste, Monsieur le Hobbit. »
Elle tendit son bras au-dessus de la table, confiante et autoritaire, fixant Eddie de ses yeux brillant d'autant d'excitation que de curiosité. Il ne serait pas facile à berner, celui-là. Elle bougea ses doigts, pour l'inciter à agir plus vite, et face au regard sceptique qu'il lui renvoyait et surtout aux tremblements de tout son petit corps, elle sentit qu'elle avait peut-être été trop loin. Elle en fut persuadée lorsque l'homme brandit un marteau attrapé elle-ne-savait-où, le jetant telle une masse dans leur direction. Elle lâcha même une exclamation surprise en baissant la tête, réalisant à peine qu'elle incitait Verne à faire de même en tirant sur sa chemise. Elle crut entendre le même cri d'étonnement que le sien reproduit par... Bernard ? Elle n'en était pas certaine. Peu importait. L'objet provoqua un bruit fracassant en heurtant les étagères derrière eux.
« Ce n'est pas une façon de traiter ses prisonniers ! » lâcha-t-elle, outrée tout en ne pouvant s'empêcher d'être amusée.
Ce mélange d'émotions contraires l'exaltait bien plus qu'elle ne l'aurait admit à haute voix. Mary se redressa vivement, satisfaite par la tournure des événements. Et qui que ce soit en train de se jouer d'eux sembla y trouver une sorte d'agacement puisqu'un nouveau mot se formait sous ses yeux curieux :
PATHETIQUE
« Je pense qu'il critique votre manque de talent en lancé. » constata-t-elle, la tête penchée sur le côté. « Vous n'avez pas dit les phrases rituelles, n'est-ce pas ? Vous avez conscience que si c'est un démon, il va pouvoir vous hanter jusqu'à la fin de vos jours comme vous n'avez pas respecté le protocole ? »
Les bougies venaient d'être posées sur la table par Bernard qui les allumait une à une, en lui lançant soudainement un regard plein d'inquiétudes. Il faisait le dur mais il était si fragile, au fond.
« Et oui... » assura-t-elle d'un ton faussement compatissant. « Un peu comme le vit Monsieur le Thanatonaute ici présent. Depuis qu'il m'a invoqué je suis persuadée qu'il n'arrête pas de penser à moi. Alors que je ne suis même pas une adepte du harcèlement ! Je n'ai pas besoin de m'imposer, je suis naturellement obsédante. »
Elle se serra un peu plus à l'écrivain comme pour appuyer ses dires, croisant ses jambes en se plaquant contre lui. Son expression trop amusée trahissait certainement qu'elle feignait cette arrogance et cette assurance dans ses propos. Elle avait beaucoup plus de mal à faire semblant de quoi que ce soit dès qu'elle atteignait un certain stade d'enthousiasme peu naturel.
« Attends deux secondes... Comment ça il t'a invoqué ? »
Ouh. Elle avait attisé l'intérêt du Hobbit. Ce n'était pas étonnant. Finalement, avait-il été trop stupide de ne pas s'en inquiéter avant ou pouvait-il être considéré comme chanceux d'avoir fait sa rencontre, lui qui semblait si intéressé par le spiritisme et ses secrets ?
« Genre toi, t'es un fantôme ? La blague ! »
« Je ne vous permets pas. Vous parlez à l'une des plus grandes légendes existantes. Même deux, si on le compte lui, mais nous ne travaillons pas dans le même domaine. » précisa-t-elle en caressant doucement l'épaule de Monsieur Verne. « Je ne suis pas n'importe qui. Je... »
Un grand coup sec et brutal résonna dans toute la pièce, lui arrachant un sursaut qui la fit serrer davantage sa prise sur la chemise qu'elle tenait, avant qu'elle ne se mette à rire dans la seconde qui suivit. C'était cliché au possible, cette interruption spontanée. Elle aurait pu croire à une blague de télé réalité. D'ailleurs, était-ce possible que l'émission de la ville soit derrière cette manigance ? Plus rien ne pourrait l'étonner à présent. Elle se releva avec une adresse discutable, les lèvres pincées, tournant sur elle-même en étudiant les coins du plafond avec ses yeux plissés.
Le coup retentit de nouveau, lui faisant porter sa main à sa poitrine où son cœur se démenait sur un rythme trop rapide. C'était si plaisant qu'elle en venait à espérer que ça se reproduise encore une fois. L'adrénaline était une chose qu'elle n'expérimentait plus assez depuis des années.
« Alors j'ai trois repas thaïlandais et un jouet pour enfant, c'est pas ça la commande ? »
Son enthousiasme laissa place à une légère déception alors que Bernard avait monté les marches de la cave pour ouvrir la porte. Elle en avait oublié qu'elle attendait quelque chose de précis. Elle avait profité du moment de la menace en duel pour satisfaire son envie de manger grâce à la magie des applications téléphoniques, et le réseau n'était d'ailleurs pas des plus corrects ici. Elle était venue dans ce bar dans ce but de faire passer son appétit après tout.
« C'est pour ça qu'il me fallait votre veste. Pour payer. » indiqua-t-elle à l'égard d'Eddie, presque réprobatrice.
Elle monta rapidement les escaliers, arrachant le sac au livreur en passant son bras sous celui levé de Bernard. Ce n'était pas très pratique, cet espace restreint, mais le garde du corps faisait un très bon bouclier pour que l'étudiant en contrat à temps partiel ne lui reproche pas de le voler. Elle ne se trompait pas puisque, si il y eut de cris de plaintes et d'agacement, la porte fut vite claquée au nez du pauvre adolescent. Elle n'était même pas désolée.
« C'est pour vous le jouet, même si vous ne le méritez pas. Vous avez été trop méchant. »
Elle lança le petit objet dans la direction d'Eddie, s'intéressant peu à sa nature, avant de laisser tomber le reste des sacs à côté de la Ouija. Ces deux individus étaient des piètres explorateurs de l'au-delà de son propre avis, mais elle était à présent trop intriguée de savoir qui se cachait derrière les messages cachés pour faire demi-tour.
« Un esprit n'a pas besoin d'une planche pour s'exprimer. Un miroir, peut-être, ça peut être utile. »
Bernard était impressionnant. Il suffisait qu'elle donne le nom d'un objet pour qu'il court le chercher. Est-ce que c'était par pure gentillesse ou est-ce qu'il cherchait à s'attirer ses faveurs ? Ou celle de Jules ? Il était possible qu'il ait le béguin sur l'écrivain. C'était tout naturel, il avait un charisme plus imposant que celui d'Eddie.
« Une brosse à dent sinon. Ou une balle de tennis. Un peigne, aussi. » tenta-t-elle malgré tout, amusée, en le voyant fouiller dans les caisses.
Elle ne put s'empêcher de pouffer face à tant de stupidité mêlée à une amabilité trop prononcée, secouant la tête et reprenant sa place favorite : la chaise Thanatonautienne. Est-ce que ça se disait seulement ? Elle l'inventait, si ce n'était pas le cas. Il lui en faudrait une chez elle, elle ne s'en lassait pas.
« Si c'était votre frère ? Vous l'avez vu tout à l'heure, non ? On devrait lui demander. Vous êtes un membre de la famille de Monsieur le Thanatonaute ? » interrogea-t-elle dans le vide, perplexe.
Elle se sentait passablement stupide de parler ainsi. C'était ce qu'avaient ressenti tout ceux qui avaient prit la peine de l'appeler par le passé ? C'était drôlement gênant de s'adresser à quelqu'un qu'on ne pouvait pas voir.
La réponse fut immédiate. Une odeur de brûlé plutôt désagréable. Elle fronça les sourcils face à cette constatation. Il lui semblait voir un peu de fumée s'élever du sac plastique près des bougies. Que ça prenne feu était une évolution probable. Après tout, elle ne disait pas non à l'idée d'être réchauffée grâce à un feu de camp en intérieur improvisé, bien qu'elle ait déjà abandonné sa veste. La proximité de l'écrivain l'avait déjà aidé à gagner quelques degrés. Elle adorait définitivement cette soirée.
black pumpkin
Jules Verne
« J'ai pas trouvé où on peut demander un rang personnalisé... ! »
Les flammes dansaient à travers le petit interstice. Je les observai, à quatre pattes, tout en toussotant. Le feu, c'était fascinant. Tout comme l'éther de l'espace, les profondeurs sous-marines, ou le corps d'une femme. Tout ce qui contient un peu d'inconnu est exaltant.
J'avais été grandement stimulé par la séance de spiritisme, bien qu'elle ait été écourtée par l'incendie naissant. Une odeur désagréable de plastique brûlé me prit à la gorge, me contraignant à me reculer de la petite porte de la cave donnant sur une ruelle sombre.
Black Mary faisait des allers et venues avec un seau trouvé on-ne-sait-où pour jeter de l'eau sur le feu. Quant à Eddie, il me toisait de toute sa hauteur, les bras croisés.
"Vous me gâchez ma séance, vous vous payez ma tête, et en plus vous avez voulu brûler mon bar ?" fit-il, rugissant presque.
C'était étonnant le coffre qu'il avait malgré sa petitesse. Balayant la fumée noire d'une main molle, je me relevai tant bien que mal et chancelai tout en me plantant devant lui.
"Nous n'y sommes pour rien." affirmai-je, tout en serrant quelque chose contre moi. "Votre bar ne répond pas aux normes de sécurité."
J'avais improvisé. En réalité, je n'en avais aucune idée. Depuis un petit moment déjà, je disais uniquement ce qui me traversait l'esprit, sans aucune retenue. C'était incroyablement libérateur.
"Qu'est-ce que t'en sais ?" répliqua le petit monsieur, farouche.
"Je le sais, c'est tout."
Il plissa des yeux dans la pénombre.
"Le répète pas, alors." marmonna-t-il, contrarié.
Etait-ce mon ton très assuré ou mon attitude singulière qui l'incita à ne pas poursuivre la joute verbale ? Peut-être était-ce dû à la venue du camion de pompiers avec ses sirènes hurlantes et gyrophares flamboyants ? Il se désintéressa vite de moi pour aboyer des ordres aux soldats du feu tandis que Black Mary se saisissait de la lance à incendie. Très débrouillarde, celle-ci.
J'en profitai pour attraper la main de Mary et l'entraîner à ma suite. Il était temps de leur fausser compagnie. Je boîtai à chacun de mes pas et ma trajectoire était plutôt zigzaguante, heureusement l'alcool qui parcourait mes veines anesthésiait les douleurs que j'aurais pu ressentir à la cheville ou à l'abdomen, là où quelques points de suture subsistaient toujours. J'avais donc l'allure du parfait mort-vivant, insensible à la souffrance et heureux de l'être.
Estimant être suffisamment éloigné du danger, je me stoppai et m'appuyai contre un mur de briques pour reprendre mon souffle. Je croisai le regard de Mary et pouffai de rire.
"Les imbéciles !" m'esclaffai-je. "Regardez ce que je leur ai dérobé !"
Fièrement, j'agitai la tablette alphabétique à la lumière blafarde d'un réverbère. Jusqu'à présent, je l'avais gardée sous le bras et les deux comparses ne l'avaient pas remarquée. Quant à l'onglet en bois, je l'avais mis dans la poche de mon pantalon.
"Il nous faut achever ce que nous avons commencé." dis-je, faussement solennel.
Etrangement, à cet instant, le sol se gondola sous mes pieds et je perdis l'équilibre. Je titubai et finis sur les fesses. J'écarquillai les yeux de surprise avant d'éclater de rire de plus belle. Puis, je m'installai en tailleur sur le trottoir et posai la tablette juste devant moi, à la faveur d'une flaque de lumière dispensée par le réverbère.
"Prenez place."
J'indiquai à Mary l'emplacement à ma droite. J'appréciais de l'avoir à mes côtés. Elle était source d'inspiration. Je farfouillai dans ma poche plus longtemps que nécessaire pour sortir l'onglet en bois que je disposai avec lourdeur sur la tablette. La sombre demoiselle avait été si étonnante de professionnalisme pour la préparation de la séance. J'étais certain que nous allions pouvoir la poursuivre rien que tous les deux, en pleine rue. Hélas, je pris bientôt conscience d'un élément essentiel manquant à l'équation.
"Il n'y a pas de bougie." fis-je, dépité. "Sans bougie, ça ne peut pas fonctionner, c'est vous-mêmes qui l'avez dit. Il faudrait autre chose pour chauffer l'ambiance."
Avais-je dit le mot "chauffer" ? Pourtant, j'avais voulu prononcer "installer". J'eus un petit rire grivois, qui s'atténua très vite alors qu'un semblant de raison traversait mon cerveau. Je baissai les yeux sur la tablette, chagriné. Sans ambiance adéquate, l'onglet ne s'animerait plus.
"Ca a répondu 'oui'." déclarai-je d'une voix sourde.
Mon expression faciale devint très différente, soucieuse et indécise, même si mon regard restait vitreux. Le monde tournait toujours beaucoup trop autour de moi mais une réalité avait réussi à franchir mon espace de pensées désordonnées. Une réalité plus forte que le reste.
"Juste avant que nous soyons contraints de quitter la cave... la tablette a répondu par l'affirmative. Je l'ai vu. C'était quelqu'un de ma famille."
Et comme à l'accoutumée, une péripétie avait empêché que la suite me soit connue. Le charme avait été brisé, l'ambiance rompue. L'incendie s'était déclaré. Comme un idiot, j'avais pris la tablette, espérant prolonger le rêve. C'en était forcément un. Je n'étais pas encore suffisamment imbibé d'alcool pour croire aux chimères. Et pourtant... j'avais vraiment envie d'y croire. Les vapeurs des nombreux cocktails altéraient mes perceptions et remodelaient le fondement de mes idées. Tout me semblait possible. Ce n'était plus si aberrant que cela qu'un membre de ma famille ait souhaité entrer en contact. Duquel s'agissait-il ? La question demeurerait à jamais en suspens.
Je tapotai des doigts contre la tablette, imaginant égrener des notes sur un piano, et finalement la heurtai brusquement du plat de la main comme pour repousser cet instant d'égarement. J'avais sûrement ennuyé Lady Mary alors que je souhaitais tout le contraire. Je tournai la tête vers elle et clignai des yeux pour laisser ma vue s'adapter, car le décor ne suivait pas lorsque je bougeais trop vite.
"Je connais un jeu très amusant." avançai-je d'un ton assuré, avec un sourire canaille.
Sans la lâcher du regard, je me mis à ramper de côté pour attraper une bouteille vide en verre qui traînait sur le trottoir. Je la plaçai entre nous, même si l'espace était plutôt restreint.
"On fait tourner la bouteille et quand elle a fini, on doit embrasser ce qu'elle désigne." expliquai-je mollement. "J'ai vu ça dans un film !"
J'étais très fier de détenir cette information. La jeune femme n'était pas obligée de savoir que c'était un jeu qui s'effectuait à plusieurs. Cela faisait partie des choses idiotes que je me faisais un honneur de dénigrer tout en rêvant de les faire. Ce soir-là, il n'y avait plus aucune barrière, et personne pour me juger. Mary était suffisamment décontractée pour savoir s'amuser sans porter de jugement. Avec un petit sourire, je fis tourner le récipient qui émit un bruit sonore contre le bitume. Enfin, il se stoppa, pointant une benne à ordures du bout de son goulot. J'esquissai une moue contrariée.
"On va dire qu'on n'embrasse que ce qui est vivant !" fis-je précipitamment.
Nouveau mouvement du poignet. Bouteille qui tourne. Cette fois-ci, elle ralentit et s'arrêta pile au passage d'un chat tigré qui, curieux, s'assit sur son séant et commença à nous observer. Je laissai échapper un soupir exaspéré.
"La règle est la règle." dis-je, fataliste.
Je me redressai pour avancer à quatre pattes vers le félin. Ce dernier, sur le qui-vive, poussa un feulement et s'en fut à perdre haleine. Il disparut dans l'obscurité de la ruelle.
"Tant pis. Tu ne sais pas ce que tu rates, minet !" m'écriai-je, amusé.
Je retournai lentement vers Mary et retrouvai ma position en tailleur à ses côtés. Sans attendre, je fis de nouveau pivoter la bouteille sur elle-même.
"Votre repas thaïlandais !" réalisai-je alors, sincèrement désolé. "C'est ça que j'aurais dû sauver des flammes au lieu de ce stupide bout de bois."
Je donnai un coup de pied dans la tablette -sans y parvenir- avant d'ajouter :
"Voulez-vous manger quelque part ? Je vous invite ! Black Mary m'a ouvert l'appétit avec son jambon de Bayonne mais elle n'a pas daigné nous en apporter. A mon humble avis, elle a voulu tout garder pour elle." dis-je d'un ton pâteux en hochant la tête.
A cet instant, la bouteille oscilla une dernière fois puis se stoppa... désignant la sombre demoiselle. Je levai les yeux vers elle avec un sourire en coin. Puis j'approchai mon visage du sien pour... déposer un baiser sur sa joue. Elle était curieusement froide, mais douce. Tout son corps l'était-il ? Un étrange frisson me parcourut à cette idée. Avais-je davantage réfléchi à sa température corporelle ou à la douceur de sa peau ? L'une ou l'autre était préoccupante. Me reculant, je remarquai son air déçu.
"Qu'aviez-vous donc en tête, petite friponne ?" fit-je, mon sourire se faisant plus large. "C'est l'heure de manger !"
Je voulus donner de l'impulsion à mes pieds pour me relever mais le mécanisme semblait être enrayé. Confus, j'observai mes jambes qui refusaient de m'obéir.
"C'est problématique." admis-je, très intrigué par ce phénomène inexpliqué.
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Mary Bates
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Il était déçu. Ce n'était pas difficile à remarquer. Le ton de sa voix n'avait pas été le même lorsqu'il avait évoqué ce membre de sa famille qui avait tenté d'entrer en contact avec le monde des vivants. Elle ne le comprenait pas, elle qui espérait sincèrement que ceux qui se considéraient comme ses proches étaient en train de souffrir le martyr pour l'éternité, aux Enfers ou ailleurs. Il lui semblait futile et inutile de chercher à renouer un lien avec le passé mais elle supposait que son point de vue n'était pas partagé par la majorité. Peut-être que si elle avait encore le moindre sentiment d'attachement envers une personne ayant partagé son ancienne vie, elle aurait pu faire preuve de compassion. Elle trouvait ça triste, d'un côté, qu'il semble s'accrocher à des vestiges du passé qu'il ne pourrait jamais retrouver. La nostalgie était un concept qu'elle trouvait des plus déprimants et des plus intéressants en même temps.
Et elle était tout aussi dépitée de ne pas avoir le fin de mot cette histoire, pour une fois qu'un phénomène intéressant se produisait devant ses yeux. Ça avait quelque chose de frustrant, ce qui restait appréciable, puisqu'au moins son intérêt était stimulé. Cette constatation la contenta autant qu'elle la contraria.
Elle cligna des yeux, cessant de s'attarder sur ses réflexions pour fixer la bouteille en train de tourner entre eux. Au moins, l'alcool avait l'avantage de permettre à Monsieur le Thanatonaute de vite changer de distraction. Il ne lui semblait pas avoir déjà participé à ce type d'activité. Le concept lui plaisait, ça lui suffisait. Elle retrouva son sourire face à la fuite du félin et afficha un air surpris à l'évocation du repas écourté. En quoi cela avait-il la moindre importance ? Qu'il l'invite réveilla pourtant son appétit. Ce n'était pas la seule chose qui était restée dans ce bar. Mary n'avait récupéré par automatisme que sa veste. Son sac et toute sa réserve de médicaments du mois était maintenant entre les mains du Hobbit. Il faudrait qu'elle y retourne. Cette perspective la fit grimacer, mais son expression se changeant pour une certaine curiosité lorsqu'il se rapprocha, pour former ensuite un parfait mélange de d'étonnement et de déception.
Friponne ? Elle ouvrit la bouche pour protester mais ne produisit aucun son, alors que sa main se posait sur sa joue, à l'endroit précis où il l'avait embrassé. N'avait-il donc pas assez consommé pour se permettre plus de fantaisie ? Ses idées n'étaient pas assez brouillées pour qu'il ose une autre approche ? Mary avait déjà pu constater qu'il avait des sortes de... principes. Ou du moins, qu'il n'était pas comme ce Michel-Ange qui profitait de la moindre ouverture. Elle ne savait si elle devait prendre ce semblant de respect pour une insulte, une qualité ou une façade. Peut-être les trois.
Elle le mima en baissant ses yeux vers les jambes de l'écrivain, mais n'estima pas utile de lui venir en aide pour l'instant. Au lieu de ça, elle décida de faire tourner la bouteille toujours entre eux.
« J'ai le droit de jouer aussi. » précisa-t-elle, tout en observant l'objet tinter contre le sol.
Il se stoppa pour indiquer le vide. Si elle esquissa une moue ennuyée, elle la fit vite disparaître en le faisant d'elle-même pivoter juste assez pour qu'il désigne l'homme face à elle.
« Oui, je triche. » admit volontiers la jeune femme, désinvolte. « Mais j'aime enfreindre les règles. »
Sa main sa posa contre son visage, caressante, afin de tourner sa tête dans sa direction. Le tout était d'agir assez rapidement pour ne pas qu'il se dérobe, tout en ayant des gestes assez doux pour ne pas le brusquer. Une subtilité qu'elle avait acquise avec le temps... et l'expérience, sans doute.
Elle se pencha, ses cheveux venant effleurer sa joue tandis que ses lèvres se posaient légèrement contre la nuque de l'écrivain. Une fois. Deux fois. Jusqu'à se stopper près de son oreille, un sourire éclairant son visage pâle.
« Vous êtes brûlant, Thanatonaute. » murmura-t-elle dans un souffle, amusée. « Qu'est-ce que vous imaginiez que j'allais vous faire ? »
Elle ne ressentait aucune gêne à se rapprocher de la sorte. C'était lui qui avait commencé après tout. Elle passa sa langue sur ses lèvres, émettant un léger soupir, suivi d'un rire léger qui acheva cet instant charmant.
Sa main glissa délicatement contre son torse avant qu'elle ne s'écarte et se redresse, époussetant le bas de sa robe. Elle se baissa pour attraper son bras, l'aidant à se relever non sans difficultés à son tour. Elle aurait dû le traîner, ça lui aurait demandé moins d'efforts. Pour autant, elle ne le lâcha pas lorsqu'il parvint à se tenir sur ses deux jambes plus ou moins valides. Suivre son rythme de marche étrange et instable ne lui posait pas de problème, c'était en partie de sa faute si il n'était plus en possession de sa canne pour l'aider,. Et le soutenir ne lui déplaisait pas.
« Il y a une sorte de restaurant, au coin de la rue. » annonça-t-elle dans un haussement d'épaules. « L'ambiance n'est pas très romantique mais je ne suis pas difficile. »
Les rues n'étaient pas si désertes que cela. Est-ce que c'était le week-end ? Non. Peut-être. Elle n'en avait pas la moindre idée. Elle ignora purement tous les visages qu'ils pouvaient croiser, même celui de l'étrange personnalité aux problèmes d'alimentation de l'autre côté du trottoir qui elle, ne manqua pas de la rater.
« C'EST LUIIII MON STEAAAK ? » s'écriait-elle en ponctuant ses mots d'un grognement grinçant.
Mary força un frémissement pour feindre une crainte quelconque. Comme si cette adorable idiote aux pensées cannibales pouvaient lui faire éprouver la moindre peur. Mais cet homme était un gentleman, il aurait donc envie de la rassurer, non ? C'était une tentative comme une autre pour attiser son intérêt.
« Je ne la connais pas. » chuchota-t-elle en se collant davantage à Jules. « Je crois qu'elle me suit, c'est une obsédée. Un jour, je vais disparaître et me retrouver kidnappée, enfermée dans un sous-sol à me faire torturer, et personne ne le remarquera. »
Ce n'était pas vraiment un scénario improbable. Elle afficha une moue perplexe, secouant la tête. Elle avait cela dit réellement l'impression d'être observée parfois. Elle n'avait jamais pu en avoir la moindre preuve, il ne s'agissait que d'une sensation qu'elle ne s'expliquait pas. Elle se demandait si ce n'était pas ce livreur de pizzas qui cherchait à se venger en la tourmentant de la sorte.
Elle poussa la porte vitrée de l'enseigne d'une main, entraînant Verne à sa suite. L'endroit était éclairé de manière trop vive, des néons se battant pour prendre tout l'espace disponible au plafond. Elle aimait cette luminosité brutale détonant avec l'obscurité des rues illuminées uniquement grâces aux lueurs des lampadaires. Un sourire radieux apparut sur son visage tandis qu'elle délaissait enfin le bras de son acolyte de la soirée, l'incitant à s'asseoir sur une banquette tandis qu'elle retirait son propre manteau pour le laisser tomber sur la table d'à côté.
Ses yeux étaient rivés sur les pancartes en hauteur alors qu'elle se mordait les lèvres, sourcils froncés, en proie à une intense concentration. L'employé à la casquette rouge qui s'approchait d'eux avait le regard encore plus vitreux que celui de Jules. Elle pariait son appartement qu'il était drogué. Les voyait-il vraiment au moins ? Il avait l'air de faire partie d'une autre dimension, à moins que ce ne soit elle qui ait changé de plan physique, encore. Elle se mit à rire à cette réflexion sordide, se reprenant rapidement.
Elle hésita un moment, observa l'espace libre face à Monsieur Verne, puis choisit finalement de s'installer à ses côtés. Elle n'allait pas laisser une table se mettre entre eux après avoir entamé tant de rapprochements.
« Je veux... tout. » débuta la jeune femme, oubliant ses principes de politesse lorsque le zombie-serveur arriva à leur hauteur. « Je veux goûter tous vos burgers. Un de chaque. Avec du bacon à côté, pour la tarée qui traîne dans la rue. Puis... une glace. Pistache. Vous avez ça ? Ce sera parfait. »
« Okaaaay... Il vous faudra autre chose, monsieur, madame ? »
« Vous avez de la tequila ? » interrogea-t-elle soudainement, intéressée par la réponse tandis que sa main se glissait contre la cuisse de l'écrivain. « Ou n'importe quoi qui se boit. Avec de l'alcool. Oh et si jamais, par le plus grand des hasards, vous possédez un jambon de Bayonne, je le prends. »
Il avait dit l'inviter, il n'avait pas donné de limite à sa consommation. Elle avait pivoté vers l'écrivain, légèrement penchée, usant de son air le plus charmeur.
« Je peux avoir tout ça ? »
Sa main se pressa davantage contre sa jambe, prise dont elle usa pour se faire glisser un peu plus dans sa direction. Certes, elle avait conscience d'être ce soir-là bien moins présentable et attrayante que lors de ses précédentes avances, auxquelles il avait déjà été très – trop – peu réceptif. Mais elle le regretterait si elle ne saisissait pas cette occasion de tester les limites de cet homme.
« S'il te plaît, Jules ? » ajouta-t-elle dans un chuchotement aux intonations faussement suppliantes, ses doigts glissants pour remonter contre le tissu.
C'était relativement perturbant de s'adresser à lui avec tant de familiarité sans prévenir. Elle ne l'avait pas anticipé. Elle se laissait juste porter par son inspiration.
« On a de l'ice tea. Je crois. Ce sera sur place ou à emporter ? »
Mary cligna des yeux, renversant sa tête en direction de cet employé qui lui faisait rater tout son effet avec sa voix traînante terriblement agaçante. De toute évidence, l'imbécile serait facile à assommer si jamais Jules manquait de moyen pour payer et qu'il fallait prendre la fuite. C'était une option qu'elle envisageait.
« Je te laisse décider. Tant que nous restons tous les deux, ici ou ailleurs, je m'en fiche. »
Quelle réplique parfaite pour rattraper l'intervention de l'autre idiot. Elle était plutôt fière d'elle, ça se voyait à son sourire radieux. Quoi que... il pouvait aussi chercher à fuir si elle se montrait trop envahissante. Est-ce qu'elle en faisait trop ? Pas assez ? Elle n'arrivait pas à le cerner. C'était ce qui rendait le tout si intéressant !
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Jules Verne
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« Qu'on me donne l'envie ! L'envie d'avoir envie ! »
Qu'on rallumeuh ma viiie !
Je mis un certain temps à comprendre que l'on attendait une décision de ma part. Le serveur m'observait avec un profond désintérêt, ce qui aurait pu m'irriter en temps normal. Cependant, ce soir-là, tout me semblait merveilleux. De la manière dont les condiments étaient placés sur le socle à serviettes, sur la table, à la façon dont les néons illuminaient ce petit restaurant et sublimaient le teint d'albâtre de la sombre demoiselle. L'euphorie enflait à l'intérieur de moi tel un ballon de baudruche. Je m'en accommodais fort bien. Il était si agréable de se sentir flotter sans plus aucune crainte ni doute pour enrayer cette puissante machine qu'est le corps humain ! J'aurais voulu hurler ma joie au monde entier.
Je tournai la tête vers Mary et lui adressai un large sourire. Elle était si bonne de s'occuper de moi et de me tenir compagnie ! C'était une jeune femme absolument charmante. Le destin avait été si clément de la placer sur mon chemin en cette nuit rocambolesque !
La main de la sombre demoiselle s'était égarée sur ma cuisse et la pressait de temps à autre avec une malice évidente. C'était bien trop agréable pour que je la repousse. Pour quelle raison l'aurais-je fait, d'ailleurs ? Elle sentait incroyablement bon et sa présence rendait le moment d'autant plus exaltant. Je sentais son corps très près du mien alors que j'étais plus ou moins affalé sur la banquette. Je décidai de passer un bras autour de ses épaules. C'était bien plus confortable ainsi.
"C'est beau ce que tu dis." balbutiai-je à retardement après sa dernière phrase, franchissant la frontière du tutoiement sans aucune gène. "Moi aussi, je veux rester avec toi en cette belle nuit sans étoile."
Je renversai la tête en arrière afin de regarder par la vitre, et la voûte céleste me révéla tout de même quelques astres par-ci, par-là. Avec une moue, je fis un grand geste du bras pour coller mon index contre la fenêtre, désignant quelque chose au hasard.
"C'est Cassiopée. Ou le Centaure."
Je fronçai les sourcils.
"Euh... en tous cas, ça brille. On s'en fiche. De toutes façons, la majorité des astres que nous contemplons n'existe déjà plus."
Cela m'évitait de me concentrer. Les constellations ne bougeaient pas autant lorsque je contemplais le ciel, d'habitude. Au final, tout n'était que balivernes. Les sciences, les livres, tout. J'aspirais à une existence simple, désormais. N'est-ce pas uniquement dans le dépouillement le plus total que nous pouvons trouver le véritable bonheur ?
"A moins que ça ne soit l'Oiseau de Paradis ?" m'interrogeai-je tout de même tout en regardant par la vitre, dans un sursaut de raisonnement. "Oh, bien sûr que non, puisqu'il est là, juste à côté de moi."
Je tournai la tête vers Mary et la ramenai davantage vers moi grâce à mon bras passé autour de ses épaules. Mon sourire s'élargit alors que je penchai mon visage vers le sien, les yeux fermés.
"On n'a pas d'oiseau de paradis, mais on a des gaufres." intervint le serveur d'un ton traînant. "Et vous m'avez toujours pas dit si vous mangez sur place ou si vous emportez."
Je dodelinai de la tête dans sa direction, agacé qu'il m'ait coupé dans mon élan. Comment badiner avec un tel énergumène dans les parages ?
"Emportez tout." dis-je d'un ton mou, croyant le congédier.
Il termina de griffonner sur son calepin et s'éloigna enfin. Quant à moi, je me surpris à fredonner les paroles d'une chanson champêtre : "Auprès de ma blonde, Qu'il fait bon, fait bon, fait bon. Auprès de ma blonde, Qu'il fait bon dormir !"
J'aurais souhaité la poursuivre mais ne connaissant que le refrain, je finis par marmonner des mots sans aucun sens et par m'esclaffer tout en regardant Mary. Après quoi, je me redressai juste assez pour attraper une mèche de ses cheveux et la tourner entre mes doigts.
"Sais-tu ce qui m'intrigue chez toi ?" fis-je soudain. "C'est la douceur que l'on devine au fond de tes yeux. Tu la caches avec beaucoup d'adresse, mais je la vois. Je sais déceler les choses invisibles."
J'effleurai le bout de son nez de ma main libre, alors que l'autre se glissait dans son dos. La pauvre enfant était si maigre... je craignais de la briser en deux en la serrant trop fort.
"Cette douceur affine ton visage et teinte tes pupilles d'une délicate nuance aquamarine. Je l'apprécie beaucoup. Tu ne devrais pas la cacher, cette belle partie de toi."
Ce n'était pas seulement du badinage, c'était de l'honnêteté. Dire des choses gentilles et sincères rend les gens plus gentils en retour. Je caressai son menton glacé et le rendis captif de mes doigts, mais entendant un bruit de sacs en papier, je m'animai soudain.
"Je paye !" m'exclamai-je, ravi. "En plus, je sais faire le Sans Contact !"
Je haussai un sourcil pas peu fier en direction de la sombre demoiselle. Elle était sûrement très impressionnée. Je farfouillai dans mes poches de pantalon un moment avant de sortir mon porte-feuille.
"Eh, le génie... ça serait mieux en plaçant la carte sur le lecteur." précisa le serveur, narquois.
Je remarquai alors que j'avais posé ma carte sur le porte-serviettes. Effectivement, ça ne pouvait pas fonctionner. J'étouffai un petit rire et la plaçai au-dessus du lecteur que me tendait le serveur. Le paiement effectué, je rangeai mon portefeuille dans ma poche et fis glisser les sacs en papier vers moi. Il émanait d'eux une agréable odeur de viande passée sur le grill. Tranquillement, je déballai les différents hamburgers de leurs morceaux de papier, les empilant les uns sur les autres devant Mary.
"Il va falloir tout finir sinon... pas de glace !" dis-je, faussement sévère.
J'exhumai la crème glacée du dernier sac, contenue dans un petit pot en carton et la plaçai devant moi.
"En attendant, je la surveille de très près."
Ce qui signifiait que j'allais la manger. J'adressai un sourire espiègle à la jeune femme. A elle d'ingurgiter les hamburgers le plus vite possible afin de pouvoir en bénéficier. Je rencontrai quelques difficultés à plonger la cuillère en plastique dans le pot (étant donné qu'il y en avait deux : un vrai et un faux qui s'effaçait de temps à autre dès que je clignai des yeux), mais une fois que j'eus réussi, je la mis en bouche. La glace avait vaguement le goût de vanille, rien de transcendant. C'était décevant, beaucoup trop chimique. Je la reposai avec une grimace.
"On n'a pas de jambon de Bayonne, j'ai vérifié." fit le serveur d'un ton mou. "Du coup, j'ai mis double ration de bacon."
Je penchai l'autre sac en papier vers moi, le constatant de mon propre chef. Nous avions suffisamment pour ouvrir un stand de charcuterie. Je n'avais pas envie de bacon. Ce n'était pas la même chose que le jambon. J'étais sans doute trop français pour cette Amérique décadente.
"Tout ceci est décevant." conclus-je en me redressant.
J'incitai la demoiselle à glisser sur la banquette afin de me laisser me lever.
"Nous allons prendre congé." précisai-je à l'adresse du serveur.
Pour ne pas chanceler, je m'appuyai contre son épaule. Il était bien aimable de me laisser faire, même s'il ne me paraissait pas beaucoup plus stable que moi.
"De toutes façons, vous avez pris à emporter. Faut pas tout déballer ici. Vous ne respectez pas la procédure."
"C'est là tout le problème : je suis hors norme !" m'écriai-je avec emphase.
Je saisis la main glacée de Mary et l'attirai vers moi. Elle me heurta et je manquai de tomber ; heureusement que le serveur faisait un pilier bancal. Il s'empressa de s'écarter de nous.
"Viens, je t'emmène ailleurs !" décidai-je tout en penchant la tête vers la jeune femme, enhardi par cette idée. "Ce restaurant est très mauvais. Il faut que tu t'épaississes, mais pas à n'importe quel prix."
Lui laissant le soin d'emporter avec elle ce qu'elle désirait, je pris de l'avance, claudiquant avec difficulté jusqu'au-dehors en tenant un sac en papier sous le bras. C'est alors que mon regard accrocha celui de la mendiante, à seulement quelques mètres. Elle m'observait avec agressivité. Je me remémorai -difficilement- les propos de Mary à son égard. Qu'importe, j'en avais saisi l'essentiel, à savoir qu'elle en avait très peur. Le moment était venu d'asseoir mon autorité. Je tirai sur les pans froissés de ma chemise et me dirigeai d'un pas boiteux vers la pauvresse. Une fois devant elle, je jetai le sac à ses pieds d'un geste théâtral -ce qui ne manquait sûrement pas de ridicule.
"Ceci devrait satisfaire votre appétit vorace !" lançai-je d'un ton pâteux mais cinglant. "Du bon bacon qui vous fera les joues bien rouges ! En retour, n'importunez plus Mary. Elle est ma propriété."
...
Je clignai des yeux, entrouvrant la bouche, essayant de réfléchir. Sans succès. Pourtant, j'avais l'impression d'avoir dit quelque chose de déplacé.
"Ma protégée."
Mieux valait se répéter que d'avoir l'air idiot, même si en entendant le mot, j'étais pratiquement certain de ne pas avoir prononcé le même quelques secondes plus tôt. Je tapai ma paume contre ma tempe par deux fois, dans l'espoir saugrenu que tout ce qui était à l'intérieur retrouve sa place d'origine. Quoique... j'aimais ce fatras dans ma tête ! N'existe-t-il pas de meilleure contemplation que le chaos ?
"Bref, laissez-la en paix !" dis-je alors que je remarquai que Mary m'avait rejoint. "C'est moi qui ai le privilège de la tourmenter !"
Joignant le geste à la parole, je la chatouillai juste au niveau des côtes. Elle eut un sursaut et resta pétrifiée quelques secondes, l'air choqué. En temps normal, je me serais confondu en excuses pour m'être montré si familier, mais l'alcool distillait dans mes veines une euphorie incapable à réfréner. Passé l'étonnement, la jeune femme se mit à rire franchement et je me joignis à elle, alors que je la rapprochais de moi en passant les mains dans son dos. Nos rires s'entremêlaient, créant un écho presque surnaturel dans la rue déserte et obscure. Je désirais capturer l'instant. Ce moment d'exaltation pure. Et je savais exactement comment.
Mes doigts glissèrent rapidement jusqu'à la nuque de la jeune femme, si fine et délicate, alors que je penchai la tête pour l'embrasser. C'était comme s'abreuver à un torrent d'eau glacée. Je m'aperçus que j'étais assoiffé. Terriblement. La sensation était d'autant plus grisante que mon corps était en feu. Je me plaquai davantage contre elle. Mes lèvres frissonnèrent contre les siennes.
J'avais une envie. Dévorante. Mais elle ne concernait plus du tout le jambon de Bayonne.
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somethin' 'bout you makes me feel like a dangerous woman
Nothing to prove and I'm bulletproof and know what I'm doing.
Il existait différents profils d'individus sous l'emprise de l'alcool et elle estimait avoir assez vécu pour prétendre tous les connaître. Les inintéressants, ceux qui terminaient malades ou assommés dans un coin au bout de deux verres. Les affectueux en manque d'amour, les plus faciles à atteindre. Les dépressifs et les colériques, aussi, qu'elle évitait soigneusement. Les coriaces, comme elle, les habitués, ceux qui n'avaient rien à perdre ou à gagner. Puis les philosophes, dans lesquels elle aurait rangé sans hésitation son compagnon de la soirée, bien qu'il rejoignait tout autant les euphoriques. Les décomplexés. Ceux dont les barrières tombaient brusquement et dont la franchise subite n'avait d'égal que leur aisance singulière. C'était un beau mélange. Distrayant, amusant, presque perturbant tant tout dans son comportement et ses mots pouvait être ridicule et intriguant en même temps. Elle n'aurait pas été jusqu'à le définir hors norme... Quoi que, il s'agissait de Monsieur le Thanatonaute. Il l'était un minimum. Pas au point de la tourmenter. Juste assez pour la surprendre.
Mary s'était habituée à contrôler la plupart des situations auxquelles elle se retrouvait confrontée afin de ne pas se retrouver dans une position de faiblesse potentielle. Quand une perturbation venait tout remettre en cause, elle s'adaptait et se débrouillait pour garder les cartes en main. C'était un réflexe inconscient, une maîtrise qui ternissait son quotidien tout en le rendant moins angoissant. Une contradiction difficile à accorder et qu'elle n'eut pas le temps d'évaluer à l'instant où il choisit de l'embrasser.
Si le contact de ses mains suffisait à la réchauffer, elle avait la sensation que ses lèvres heurtaient des braises incandescentes. Elle ne tenta pas de se dégager. Elle n'émit aucune protestation en le sentant se rapprocher. Au contraire, elle se plaquait à lui comme si il était sa seule source d'oxygène. C'était revigorant. Elle avait prévu que ça se poursuivre ainsi, mais ne pas avoir anticipé que ce serait à ce moment ne faisait que rendre l'instant plus exaltant.
Son souffle finit par lui manquer, la forçant à s'écarter. Elle n'en garda pas moins son visage tout près du sien, sa respiration subissant la même frénésie que le reste de son corps.
« Tu es plutôt... épatant, pour un cadavre ambulant. » lâcha-t-elle dans un murmure teinté d'euphorie.
Ses mains avaient trouvé la chemise de l'homme tandis qu'elle passait distraitement sa langue sur ses lèvres. Elle y retrouvait une trace du goût sucré des cocktails qu'il avait enchaîné. Ce n'était pas désagréable. Elle ne regrettait pas de s'être montrée patiente.
Ses yeux le sondait, ne pouvant se contenter de rester plantés dans les siens. Chaque millimètre de sa peau qu'elle avait face à elle, des détails de sa bouche à la manière dont se tendait ses muscles, elle profitait pleinement de la vision qui lui était accordée. Elle estima le nombre de secondes s'étant écoulé comme suffisant lorsque l'une de ses mains remonta contre sa joue pour la caresser avec une avidité certaine, ses pieds se soulevant légèrement du sol pour renouveler le baiser de façon plus accentué. Leur stabilité était imparfaite mais elle ne prêtait pas grande attention à son équilibre. Tout comme l'idée d'un repas avait définitivement quitté son esprit.
Elle suffoqua soudainement, s'éloignant à contrecoeur tout en s'accrochant à lui pour ne pas tituber. Une douleur brutale et sourde la lança un instant au niveau de ses côtés, qui s'atténua cependant rapidement. Elle cligna des yeux, perplexe, baissant son regard vers le sol où se trouvait une converse décolorée et abîmée à bien des endroits.
« Allez vous exhiber ailleurs bande de SAUVAGES !! »
Le hurlement la fit grincer des dents et sa tête se retourna vivement vers l'affamée de la ruelle – qui n'avait plus qu'une chaussure à ses pieds, sans grande surprise. Elle dévorait plus vite que son ombre le contenu du sac que Jules lui avait si gentiment offert, et son regard brillait d'une lueur malsaine tout en les fixant, dans l'obscurité du recoin où elle était nichée.
« Y'en a qui sont abstinents ici et vous voir vous galocher comme des barbares ça me coupe l'appétit ! Je veux pas assister à une scène de débauche en direct-live ! C'est mon DROIT !! »
Son ton partait dans les aiguës, faisant esquisser une grimace à Mary qui ne relâchait pour autant pas sa prise sur l'homme à ses côtés. L'avis de cette furie lui importait peu. Elle ne savait pas ce qu'elle ratait, un tel spectacle devait valoir le coup. Mais elle ne s'exposerait pas devant un public si peu réceptif.
« La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres... » récita-t-elle d'un ton las, levant les yeux au ciel. « Monsieur le Thanatonaute et sa propriété vous souhaite une excellente soirée, Mademoiselle la dégénérée. »
Elle mima un semblant de révérence dans un rire étouffé et sa main trouva rapidement celle du Thanatonaute. Cette femme avait l'air encore plus vorace qu'auparavant et elle la voyait distinctement prête à se jeter sur eux pour les égorger sur place, ou à les attaquer de nouveau en s'emparant de tout ce qui lui passait sous la main. D'un pas rapide et chancelant, elle entraîna Jules ailleurs, sans avoir la moindre idée de la direction qu'elle prenait.
Elle n'avait pas eu le temps de s'attarder sur le sens des mots qu'il avait prononcé, ni de chercher à savoir si elle les trouvait ou non acceptables. Ils ne la dérangeaient pas. Ils n'étaient que l'expression d'un taux d'alcool trop élevé et d'une sorte d'inconvenance dont elle ne le soupçonnait pas capable. Un frémissement de curiosité la parcourut. Jusqu'à quel point pouvait-il encore dépasser ses attentes ? Elle ne posa pas directement la question avant de s'arrêter brusquement, se replaçant face à lui tout en le relâchant.
« Qu'est-ce que tu as envie de faire, maintenant ? » l'interrogea-t-elle tandis que sa main allait sans réserve se frayer un chemin sous le tissu de sa chemise, la rapprochant de lui.
Finalement, loin d'être stoppée par une quelconque décence ou bienséance, elle décida d'ouvrir un à un les boutons qui fermaient ce vêtement. Il n'avait pas froid, de toute manière.
« Tu n'avais pas ça la dernière fois. » fit-elle remarquer d'une voix distante et intriguée, observant la cicatrice récente qui parcourait son ventre. « J'aime bien. »
Elle s'y attardait et frissonnait au contact de ses doigts contre sa peau. Quand ? Comment ? Par qui ? Pourquoi ? C'était le même mystère que celui de sa cheville boiteuse qui entourait cette blessure sortie de nulle part. Cela lui confirmait que quelque chose lui était arrivé. Personne ne passait sa soirée seul dans un bar sans raison. Etrangement, Mary appréciait cette constatation. Ça lui donnait plus de... profondeur.
« J'aime beaucoup, même. »
Un sourire étira ses lèvres qu'elle pinça lorsqu'elle atteignit le dernier bouton de sa chemise. Elle y resta agrippée quelques secondes et se serra davantage à lui, adoptant une moue faussement embêtée pleine de malice.
« Je ne veux plus aller au restaurant. » chuchota-t-elle en toute simplicité, le forçant à reculer avec elle jusqu'à ce que son propre dos se retrouve bloqué contre la façade d'un bâtiment.
Son appétit était inconstant, comme la plupart de ses besoins. Mary changeait d'avis selon son humeur et sa fantaisie actuelle se résumait en la seule personne de l'écrivain. Elle ne pouvait pas non plus retourner chez elle ou l'y inviter, elle n'avait pas ses clés. Rien que l'idée de repasser au Phantom pour récupérer ses biens lui donnait envie de soupirer. Elle se rappelait où lui vivait. A pieds, c'était plutôt loin. Trop loin, du moins, à son goût. Et elle trouvait cette perspective ennuyeuse et d'un prévisible qui gâchait toute la beauté de l'instant.
« Rester sous les étoiles ça a quelque chose de poétique, non ? »
Si son ton n'était qu'un soupir innocent, c'était loin d'être le cas de ses agissements. Nonchalamment, elle avait déplacé l'une de ses mains contre le bras de l'écrivain, l'incitant sans aucune subtilité à venir se poser sur sa robe. Ça ne la dérangeait pas de devoir l'aider un peu. Elle ne lui laissait pas non plus vraiment le choix, en l'embrassant de nouveau. Il faisait preuve de bien plus d'audace que ce qu'elle avait attendu, mais elle se demandait à quel point l'alcool pouvait encore le rendre indécent.
black pumpkin
Jules Verne
« J'ai pas trouvé où on peut demander un rang personnalisé... ! »
At corner of your lips, as the orbit of your hips Eclipse, you elevate my soul.
J'avais l'impression d'être sujet à une expérience extra-corporelle, comme si mon esprit flottait quelque part au-dessus de la rue et en même temps, que je me sentais incroyablement vivant. Mary exacerbait mes sens. Un seul contact de ses doigts glacés embrasait ma peau déjà brûlante. Ses paroles, porteuses de délicieuses promesses, me projetaient dans des pensées loin d'être innocentes. Les derniers fragments de ma raison avaient été terrassé depuis longtemps sous l'ardeur de ses baisers.
Ses mains caressaient mon torse et mon ventre, me faisant frissonner chaque fois davantage. Je rassemblai difficilement mes idées pour expliquer d'un ton pâteux et fier à la fois :
"C'est ici que le titan Ouranos a enfoncé son poignard parce que je lui ai tenu tête."
Je tapotai ma cicatrice du bout de l'index.
"C'était très effrayant. J'ai failli mourir. Encore."
Je ne cherchais pas à l'impressionner. Ou peut-être un petit peu, tout de même. De toutes façons, elle avait déjà été ébloui par mon utilisation du Sans Contact. Désormais, le contact entre nous était plus que suggéré. Un contact d'une toute autre nature.
"Je suis mort de faim." dis-je sans aucun à-propos.
Je me souvenais qu'elle avait mentionné un restaurant, mais ce n'était pas en ce sens que j'avais parlé. La fougue dans mon regard était suffisamment équivoque. Cette expression plus que familière me semblait des plus pertinentes en cet instant. Ma main, qu'elle avait posée sur sa robe glissa jusqu'à sa taille, vite rejointe par l'autre et je l'incitai à se rapprocher brusquement de moi pour l'embrasser de plus belle.
La frénésie de mes gestes me rendait pratiquement spectateur de la scène. Comme si mon cerveau devenu trop lent n'était plus en harmonie avec le reste de mon corps plein d'impétuosité. Malgré tout, je savourais chaque sensation. Tout le corps de la jeune femme était glacé contre le mien, et pourtant j'avais l'impression qu'il se réchauffait peu à peu sous l'exaltation de mes baisers et de mes caresses.
Mes mains découvraient sans jamais s'attarder, tel un aventurier trop fougueux se rendant sur un continent inexploré. Tandis que je continuais d'embrasser Mary, perdant totalement le peu de contrôle qu'il me restait, mes mains se glissèrent sous sa robe, caressant ses cuisses qui retrouvaient un semblant de chaleur. Ou étais-je en train d'affabuler ? N'était-ce pas ma propre température corporelle qui atteignait un seuil critique ? Je m'en moquais. Cette petite mort n'aurait aucune importance.
Envahi par un désir impétueux, je la fis brusquement pivoter pour qu'elle se retrouve contre le mur du bâtiment. Là, nos regards se croisèrent un bref instant alors que j'interrompais notre baiser. Ses yeux brillaient d'un éclat étrange, ses pupilles scintillaient telles les étoiles au-dessus de nos têtes.
"Si belle, si froide... comme un pâle matin de printemps qui frissonne encore d'un hiver tenace." murmurai-je tout en effleurant sa joue de ma main.
Ne me demandez pas pourquoi j'avais cité monsieur Tolkien à pareil moment. Les vapeurs de l'alcool avaient un sérieux ascendant sur mon cerveau.
A cet instant, ma cheville gauche flancha. J'eus le réflexe de plaquer une main contre le mur, juste à côté de la tête de Mary, afin de ne pas tomber. Non, je n'allais pas flancher maintenant. Je flottai bien trop haut. Je m'accordai quelques secondes pour retrouver un certain équilibre et capturai de nouveau ses lèvres tandis que mes mains dérivaient le long de ses bras, puis de ses hanches pour atteindre la ceinture de mon pantalon. Je m'aperçus alors, étonné, qu'elle était déjà ouverte. Un bref sourire éclaira mon visage alors que j'adressai un regard de connivence à Mary. La sombre demoiselle avait des doigts de fée. Etait-elle en train de défaire les boutons de mon pantalon ? Je n'en étais pas certain, mais j'appréciais beaucoup ce qu'elle faisait en contrebas. Ses lèvres désormais tièdes rencontrèrent à nouveau les miennes. J'étais impatient de savoir, de découvrir... si tout pouvait être réchauffé chez elle. O_o
Mes mains soulevèrent sa jupe une seconde fois, caressant sa peau avec une fièvre exaltée, et je me plaquai davantage contre elle, prenant appui pour la soulever. Je sentis ses jambes se serrer autour de mes hanches. Le souffle me manquait. Je cessai de l'embrasser pour me pencher vers son cou et y apposer ma bouche, aspirant sa peau à intervalles réguliers alors que mes mains se crispaient davantage contre ses cuisses.
"PLUS UN GESTE !"
Une voix. Déplaisante. Me figurant que c'était sans importance, je ne m'arrêtai seulement que dans l'intention d'embrasser de nouveau Mary. J'entendis alors un cliquetis dans mon dos et bientôt, je sentis qu'on agrippait mes bras pour me forcer à lâcher prise. Instinctivement, j'esquissai des gestes mous pour garder la jeune femme contre moi. Que se passait-il ? Pourquoi l'arrachait-on à moi de la sorte ?
"Vous êtes en état d'arrestation ! Tout ce que vous pourrez dire pourra être retenu contre vous dans un tribunal !" fit de nouveau la voix désagréable.
"Hmm ?" tentai-je malgré tout, très décontracté.
Chamboulé, je vis un homme avec une casquette plaquer Mary contre le mur. Eeh, ce mécréant me piquait ma place ! Je voulus le repousser mais un autre scélérat maintenait fermement mes mains dans mon dos. Bientôt, je sentis des bracelets glacés contre mes poignets. La jeune femme femme fut menottée, elle aussi.
Qu'avait-on fait de mal ? Je ne comprenais pas.
"Faire ça contre le mur d'une église." lança un des policiers d'un ton désabusé. "Ca va vous coûter cher à tous les deux !"
Plaît-il ? Je renversai la tête en arrière, observant l'édifice se découpant contre la voûte étoilée. Oh, c'était fort joli. Le policier qui me maintenait par le bras m'incita à avancer. Je l'aurais fait volontiers si mon pantalon à mes pieds n'entravait pas mes mouvements.
"Elton, remets-lui son froc." ordonna le policier à son coéquipier.
L'autre paraissait réticent, mais il finit par s'exécuter. Quant à moi, j'observais Mary avec autant d'intensité que me permettait mon regard vitreux. Les deux lascars allaient sûrement bientôt nous laisser tranquilles et nous pourrions continuer là où nous nous étions arrêtés.
"C'est tout de même insensé d'être importunés à ce point !" laissai-je échapper avec exaspération.
"Il est rond comme une queue de pelle." fit remarquer l'un des policiers.
Je n'avais aucune idée de ce que signifiaient tous ces mots ensemble, mais la formulation m'arracha un rire.
Maintenant que j'avais de nouveau mon pantalon, je me laissai diriger vers la voiture garée non loin, dont les gyrophares agressaient mes yeux.
"Je n'ai pas envie de faire une promenade." ripostai-je avec une moue. "Je veux faire des choses scandaleuses avec la jolie blonde."
Hélas, ni l'un ni l'autre ne semblaient décidés à accéder à ma requête. Je tournai la tête vers Mary sans cesser de marcher -puisque je n'avais pas le choix- en affichant une expression déçue. C'était trop injuste.