Savoir que l'ancienne méchante reine ne comptait pas redevenir "celle qu'elle avait été avant" avait quelque chose de rassurant, que Regina parle de ce passage sombre de son passé ou des revirements plus récents dans la vie. Amelia se contenta d'opiner, satisfaite. Contrairement à certaines personnes qui ne passaient pas outre le sort noir, Amelia faisait totalement confiance à Regina - par naïveté ou bonté d'âme, d'après certains, pour être parfaitement honnête. Mais quand même.
Amelia n'y pensait déjà plus maintenant qu'elles étaient dans sa boutique, en train de papoter dans une ambiance joyeuse. Tout était parfaitement normal, cette fois. Pas de fumée violette, pas de magie, juste elles trois et de la pâtisserie. La pâtissière, justement, ne fut pas surprise que Regina évoqua les chaussons aux pommes et se fit la réflexion qu'elle devait en manger des quantités - ce qui, au demeurant, était très bon pour les affaires !
- C'est comme si c'était fait ! annonça Amelia en filant récupérer le plus gros encore en vente.
Le temps de l'envelopper dans une serviette en papier et elle le donnait à Regina qui, comme souvent, avait continué de parler de pommes. Et parce que Cassie, derrière son air loufoque, était une femme intelligente, elle avait sans doute compris qu'elle discutait avec la méchante belle-mère de Blanche-Neige... qui n'était certes plus méchante mais s'était taillé une réputation sous ce quolibet !
- Oh c'est amusant d'être réputée pour ses pommes - et non pas sa pomme, ricana Cassie en s'apercevant que sa blague était franchement nulle. Mon truc à moi, en dehors des origamis, c'est les cupcakes. Tenez, goûter moi ça !
Cassie attrapa un cupcake tout rose et le fourra, littéralement, dans la bouche de Regina.
- Vous m'en direz des nouvelles ! lança t-elle avant de retourner aux fourneaux dans l'arrière boutique.
- Elle est géniale, hein ? s'écria Amelia pendant que Regina était toujours en train de mâcher son gros morceau de cupcake. Je crois qu'on s'est bien trouvé. Et puis ça me fait un peu de compagnie comme ça. Je ne suis plus obligée de parler et de chanter seule en travaillant. Cassie est vraiment incroyable, elle a des tas de choses à raconter et elle est un peu névrosée mais très très gentille. Vraiment,insista Amelia. Jai hâte que Wyatt la rencontre. Les enfants c'est déjà fait, tu penses bien, ils passent souvent. Mais assez parler de moi. Je suis juste pâtissière, toi tu es adjointe au maire ! Ca doit être bougrement intéressant ! Il est comment Hadès ? Tu sais qu'il est déjà venu ici ? Il voulait… je sais plus trop, j'ai pas tellement compris mais il est très sympa ! Et il aime mes post-its ! crut-elle bon de préciser.

Le bonheur qu'éprouva Regina en savourant le cupcake de Cassie était lisible sur son visage. L'intéressée ne pouvait s'empêcher de sourire, de même qu'Amelia, alors même qu'elle n'était pour rien dans l'élaboration de cette recette. A ses yeux, c'était toujours un événement quand quelqu'un découvrait une nouvelle savoir, au point qu'elle ne put s'empêcher de se pencher vers Regina pour lui glisser :
- Moi aussi ça m'a fait cet effet la première fois.
Amelia n'aurait même pas eu besoin de chuchoter puisque Cassie était repartie. Mais elle aimait bien les confidences. Puis elle approuva Regina : même si elle était hyperactive (non diagnostiquée, certes, mais en en ayant tous les symptômes), Amelia ne pouvait pas être au four et au moulin en même temps (d'ailleurs, elle n'avait qu'un four, pas de moulin, mais comme c'était une image, ce n'était pas essentiel dans la démonstration) et avait suffisamment développé ses activités pour avoir besoin, réellement, d'une paire de mains supplémentaires. Même elle, qui niait pourtant très bien les évidences quand elle en avait envie, s'en était aperçue. Cassie était, pour ainsi dire, une bénédiction.
Mais comme Amelia savait que Regina, pour avoir travaillé ici elle aussi, pouvait très bien se douter de tout ce raisonnement, elle tint sa langue. Pour une fois. Se concentrer sur le poste prestigieux de son amie était autrement plus fascinant pour elle qui ne connaissait vraiment rien à la politique.
C'était probablement mieux ainsi.
Amelia aussi avait pris un cupcake, car elle aimait bien manger pendant qu'elle écoutait des histoires.
- Tu es une personne tellement importante pour la ville, alors !
La pâtissière disait cela sans aucune envie. Amelia avait cette qualité rare d'être toujours (ou presque) très humble. Elle n'avait pas envie de devenir une figure importante de la ville. Tout ce dont elle avait besoin c'était de faire plaisir aux gens et elle avait constaté que la pâtisserie était une valeur sûre dans ce domaine. La gentillesse aussi, en plus, ça ne demandait pas de diplôme !
Pourtant, en éternelle romantique, elle oublia bien vite la politique en entendant la mention de Robin :
- Moi tu sais je suis pas sûre de tout avoir suivi de ta vie sentimentale mais le principal c'est que tu sois heureuse. Alors je suis contente pour toi. Vous avez des projets ? Quoi qu'il en soit je vous conseille d'éviter le coma, c'est assez tue-l'amour dans un couple. Je vous souhaite tout le bonheur du monde et que quelqu'un vous tende la… Non attends, ça c'est une chanson.

Amelia adressa une moue contrite à Regina. Elle savait que la plupart des gens n'aimaient pas avoir de chanson dans la tête. Même elle, quand ce n'était pas une chanson de Céline Dion, ça lui arrivait de ne pas apprécier le phénomène. Par chance, elle avait l'air de prendre ça bien.
- Vous avez raison de prendre votre temps, reprit la pâtissière avec force de conviction. C'est aussi ce qu'on fera avec mon mari. Quand il sortira du coma, je veux dire. Il aura besoin de s'habituer à faire autre chose que dormir et puis… les médecins disent qu'il aura peut-être des séquelles. Une fois est sûre, il a de nouvelles cicatrices parce que je n'ai pas toujours été la meilleure pour le raser, avoua la jeune femme.
Pour elle, c'était une évidence : il allait se réveiller. Pourquoi en serait-il autrement ? Bizarrement, on avait tendance à la regarder de travers quand Amelia l'affirmait. En général, les gens lui adressaient un sourire compatissant, saluaient son optimisme sans faille… puis la mettaient en garde contre le fait que l'issue pouvait très bien être plus dramatique. Ils ne lui parlaient jamais de décès, probablement parce qu'ils la pensaient trop fragile, mais Amelia n'était pas si bête : elle savait pertinemment où ils voulaient en venir.
Avant que Regina ne soit tentée, la jeune femme lui adressa un grand sourire et joignit les mains au bas de son ventre en ajoutant :
- J'ai ma carte d'identité depuis presque une demi-heure maintenant. Je crois que je vais te laisser travailler et retourner faire la même chose. Tu sais où me trouver et… moi aussi maintenant ! C'est top, hein ? Allez, prends soin de toi ! Et de toute ta famille ! Et de… qui tu souhaiteras encore !
Sur ces mots, Amelia fila telle une furie. La porte claqua bien sûr car elle n'avait pas pensé à la retenir. "Oups, désolée", voilà ce que Regina put entendre de l'autre côté du panneau de bois avant que la lionne pâtissière ne s'éloigne.