Les Peters ne recevaient pas tant de courrier que ça. La plupart du temps, c'était des prospectus qu'Amelia ne regardait pas toujours attentivement, sauf à apercevoir un détail qui attirait son attention. Et ce fut le cas, ce weekend-là, quand, aux alentours de 9h30, elle alla voir ce que contenait sa boite aux lettres. La pâtissière saisit le petit tas dans ses mains et commença à l'étudier distraitement tout en retournant vers la maison.
Elle avait gravi la moitié de la volée de marches qui conduisait au perron de son pavillon résidentiel quand un nom l'interpella : Regina Mills.
Amelia connaissait très bien l'ancienne Madame le maire de Storybrooke qui avait aussi été sa collègue. A sa connaissance, elle ne s'intéressait plus à la politique et, de toute façon, pour ce qu'Amelia en savait, ils n'étaient pas en période électorale. Cela voulait donc dire qu'elle avait lancé une nouvelle affaire. Et ça, ça ne pouvait qu'attiser la curiosité d'Amelia (bien que celle-ci n'ait pas besoin de grand chose pour être attisée).
La quadragénaire rentra et ferma la porte derrière elle. Toujours dans l'entrée, elle continua d'étudier, choquée, le prospectus rose, à l'image du service dont il faisait la promotion : la Maison Rose.
Qu'on soit bien d'accord : Amelia n'était pas très calée sur ces choses-là. Mais elle savait que ça existait. Elle pensait simplement que ça existait ailleurs, hors de Storybrooke et hors de son cercle d'amis. Ca n'allait pas aider les lions encore sceptiques au sujet de la Méchante Reine à lui accorder un peu plus que le bénéfice du doute.
Quant à Amelia, elle ne savait pas trop quoi penser de tout ça alors elle décida d'aller se faire son propre avis.
L'après-midi même, la pâtissière indiqua à sa famille qu'elle sortait (sans préciser où) et qu'elle ne rentrerait pas tard (ce qu'elle prévoyait réellement de faire). Amelia marcha d'un pas énergique jusqu'à l'adresse indiquée sur le prospectus (qu'elle avait roulé dans la poche de son manteau) mais ralentit le pas une fois à proximité de la maison close. Elle hésitait. Combien de chances y avait-il pour que quelque chose de gênant et dénudé se produise ? Combien de chances y avait-il aussi pour qu'elle croise quelqu'un qui la connaissait ? Et surtout : Regina serait-elle là ? La dernière chose dont Amelia avait envie, c'était de se retrouver dans une salle tamisée entourée de personnes un peu trop libérées sexuellement qui, peut-être, lui proposeraient des choses dont elle ne connaissait même pas le nom.
D'un autre côté, elle avait fait tout ce chemin. Ce serait bête de repartir si près du but...
Mortifiée, Amelia poussa la porte de l'établissement et s'avança un pas après l'autre, recroquevillée sur elle-même.
- Bah alors, chérie ! Faut pas avoir peur comme ça ! On va pas te manger ! Allez, viens, dis moi tout : tu es là pour le menu spécial ?
La voix tonitruante de la femme avait fait sursauter Amelia qui avait failli se mordre la langue de terreur. Pourtant, la femme qui venait de lui prendre les mains avait l'air avenant et même habituée aux clients timides. Sauf qu'Amelia n'était pas une cliente. Elle blêmit, comme si tout son sang avait quitté son visage alors même qu'elle avait incroyablement envie de rougir. La pâtissière n'avait aucune idée de ce que le menu spécial pouvait bien être et elle ne voulait absolument pas savoir. En fait, elle avait des goûts très classiques au lit mais se serait bien trouvée incapable de l'expliquer à cette femme.
- Euh... Je... Non... Vraiment je vous assure je veux rien du tout. Juste voir Regina. Mills. Regina Mills, précisa la pâtissière pour être absolument sûre de bien se faire comprendre.
- Ah mais Madame Mills ne comble pas les clients, trésor ! Par contre on a tout un tas de jolies filles pour toi ! Fais pas ta timide, ça va très bien se passer. On fait une réduction pour les novices et on a aucun problème avec le saphisme ici.
Oh seigneur. La prochaine fois elle appellerait et ne ferait pas le déplacement quand elle aurait une question sur les activités de Regina. Ca lui éviterait de passer pour une lesbienne en manque et totalement inexpérimentée.
Amelia tenta alors le tout pour le tout :
- REGINA ! Si t'es dans le coin est-ce que tu peux venir expliquer à ton employée que je suis pas ici pour consommer ?

Que Dieu soit loué, songea Amelia quand Regina se montra. Elle ne réalisa qu'après que, dans un endroit aussi peu catholique, c'était assez ironique de s'en remettre à Dieu. Mais elle garda cette remarque pour elle, trop heureuse que Désirée (qui portait sans doute très bien son prénom vu son métier - à moins que ce ne soit un pseudo, ce qui était probablement courant dans ce milieu, non qu'Amelia soit experte en la matière) aille s'intéresser à quelqu'un d'autre - menu spécial ou pas.
Enfin seules. Sans proposition indécente. Amelia se sentait tellement mieux !
Non qu'elle soit particulièrement prude. Du moins, elle ne se considérait pas comme quelqu'un de prude. Elle avait déjà fait l'amour, en témoignait les deux enfants qu'elle avait portés, vingt ans plus tôt. Et elle appréciait les relations charnelles. Mais Amelia avait une certaine pudeur et considérait que c'était du domaine du privé. Elle ne parlait pas de ses préférences aux gens, pas même à ses amies les plus proches et espérait que ses connaissances feraient de même avant qu'elle n'ait d'images mentales.
Il fallut pourtant que Regina mentionne Henry, son fils adolescent, ce qui créa une image mentale assez dérangeante dans l'esprit de la pâtissière. Elle ne comprenait pas pourquoi Regina avait été aussi transparente sur son activité avec son fils. Et d'un autre côté, on ne pouvait pas ne pas voir la devanture du magasin. On pouvait peut-être aussi, sans doute, saluer dans ce parti pris l'aisance que Regina avait avec la sexualité. Car pour le coup, ça rendait la conversation "comment fait-on les bébés" bien plus facile à avoir. Sans doute. Pour le moment, Amelia tâchait de ne pas imaginer à quel point Henry savait ce qui se passait entre ces murs. Il était beaucoup trop jeune pour en connaître tous les détails.
- Oui, c'est ça, j'ai reçu la pub, reprit Amelia, aussi à l'aise que possible en sortant le papier de la poche de son manteau. Je... j'avoue que je suis surprise de te voir... enfin... Disons que je pensais que ton truc c'était la pâtisserie innocente pas... ce genre de plaisirs.
Tout en parlant, Amelia observait plus attentivement l'endroit. Maintenant que Daisy / Désirée (elle avait donc bien pensé : cette jeune femme avait pris un pseudo et c'était sans doute mieux comme ça) était partie, la pâtissière se sentait moins oppressée. Elle avait la quasi certitude que plus personne n'allait plus proposer d'activités lesbiennes dont elle ne saurait pas prononcer le nom.
- Je veux bien un verre, oui. Merci. J'ai la gorge un peu sèche, avoua Amelia.
Elle suivit Regina car les deux femmes n'allaient certainement pas boire devant la porte d'entrée.
- Un verre de quelque chose de normal comme du café ou du Coca, se sentit-elle obligée de préciser. Il est joli le prospectus, reprit-elle pour ne pas que la conversation se tarisse.
Amelia était suffisamment nerveuse comme ça et un silence trop long l'aurait achevée.
- Et donc... c'est ton fils qui a proposé ça ? Waouh, vous êtes vraiment une famille très ouverte sur ces choses. C'est bien. Je crois. Alors... ça a l'air de bien marcher, non ? demanda Amelia pour que ce soit à Regina de parler et qu'elle arrête de dire ce qui lui passait par la tête.
Elle n'avait aucune idée de comment ce business marchait et n'aurait pas su trouver les signes que les affaires prospéraient pour Regina. Mais elle pouvait noter que le public LGBT était inclus dans l'offre et c'était une très bonne chose, moderne et tolérante. Ca aidait probablement à ce que les affaires fleurissent.

A l'entendre, Regina tenait cette maison par bonté d'âme, pour permettre aux femmes (et aux hommes -manifestement, la pâtissière n'était d'ailleurs pas certaine qu'elle avait réellement eu envie de savoir ça parce qu'elle avait un peu peur qu'on lui propose une autre formule sensuelle dont elle n'avait absolument pas envie et, oui, cette parenthèse est trop longue) qui avaient choisi cette carrière (pouvait-on réellement parler de carrière, d'ailleurs ? Amelia pensait que non mais elle n'avait pas envie de rentrer dans le débat car tant que les gens faisaient ce qu'ils faisaient de leur plein gré ça ne la regardait sans doute pas) le fassent dans les meilleurs conditions possibles. Si on parait de ce principe-là, alors c'était presque une bonne œuvre. Mais Amelia doutait que beaucoup de gens voient les choses de cet œil.
- Si tu me dis qu'il ne se passe rien de glauque ici alors... Je n'irais pas jusqu'à dire que je te soutiens mais je te fais confiance et je pense que c'est pas mal. Ca reste un choix de carrière très surprenant, je suis curieuse de savoir ce qui t'a poussée dans cette direction.
Et cette curiosité était réelle mais sans être malsaine. Amelia voulait comprendre, ni plus, ni moins. Elle ne promettait pas de rester impartiale mais elle voulait faire l'effort de ne pas juger. C'était Faith la sœur lionne qui jugeait, pas elle.
- En tout cas, je suis contente si Henry ne connaît pas les détails. Il est bien trop jeune, de toute façon. Mais... tu n'as pas peur que ça s'ébruite ? Je veux dire : on ne peut pas ne pas voir ton établissement et la pub est assez explicite. Il n'a peut-être pas lu le texte qui est dessus mais si c'est lui qui va chercher le courrier et qu'il tombe dessus... Il va vite faire le lien.
Amelia s'excusait presque de cette constatation. Ses intentions étaient loin d'être mauvaises mais, parfois, quand elle disait la vérité brute sans prendre la peine de peser ses pensées, les effets étaient exactement l'inverse de ceux recherchés.
Dans tous les cas, Amelia s'installa sur le tabouret de bar, observant plus attentivement cette partie de la maison. Elle fut surprise - et cela se vit à ses yeux écarquillés - de voir que Regina se servait un whisky. Où était passée son ancienne collègue ? Physiquement c'était elle mais la Regina qu'Amelia pensait connaître ne buvait pas de whisky à 14h ! De ça, elle en était presque sûre !
Amelia sourit néanmoins en prenant son verre et but instantanément une grande gorgée bien fraiche.
- Merci, dit-elle en reposant son verre sur le comptoir dans un bruit mat.
Elle préférait ne pas poser la question du whisky. Ca ne la regardait peut-être pas. Ou alors elle s'était peut-être fait des idées sur qui Regina était réellement au fond. Ca arrivait, parfois...
- Je suis contente pour toi ! Pour cette affaire et pour le retour de Robin ! Probablement plus pour le retour de Robin, à la réflexion, ajouta Amelia, l'air espiègle. Je suis vraiment très heureuse de l'apprendre. Je sais ce que c'est qu'une âme sœur absente et tu mérites le bonheur, la réussite, tout ça... A ta réussite et au bonheur retrouvé ! s'écria la pâtissière en levant son verre de Coca pour porter un toast. Alors vas y je t'écoute : pourquoi ce choix de carrière ? Y avait des élections en plus fin de l'année derrière. T'aurais pu te représenter.

Amelia opina longuement. C'était malin comme stratagème mais encore fallait-il être magicien, comme Regina le disait si bien. Par chance, le problème ne se posait pas pour la pâtissière : son commerce était tout ce qu'il y a de plus tous publics et c'était très bien ainsi. La solution de son amie était peut-être un peu retorse mais Amelia préférait ne pas s'en mêler. Ca ne la regardait pas, de toute façon, et elle savait (vaguement, cela dit) qu'un petit mensonge par omission pouvait parfois sauver bien des situations.
Alors elle continuait de siroter son Coca tranquillement, ne pouvant s'empêcher de noter que Regina venait de siffler - littéralement - son whisky. Et qu'elle entamait le deuxième dans la foulée ! Il était bien difficile pour l'ancienne lionne de garder une mine impassible devant ça. C'était... quand même pas banal, surtout aussi tôt dans la journée. Force était de constater que son amie avait changé... ou ne lui avait jamais révélé son passé de grande buveuse avant ce jour, ce qui était possible. Une chose était sûre : elle tenait bien mieux l'alcool qu'Amelia qui aurait déjà roulé sous la tableau si elle avait bu un truc aussi fort à jeun !
Toutes ces considérations furent cependant balayées par l'étrange récit que Regina commença. Tiens, elle aussi connaissait Hadès et avait même la "chance" d'être invitée à ses soirées ! ... Amelia pouvait se contenter de le recevoir dans sa boutique, c'était suffisamment haut en couleurs comme ça. Et cela d'autant plus quand elle entendit la suite de l'histoire. Brr, c'était digne d'un film d'horreur tout ça ! La pâtissière était finalement bien contente que sa vie soit parfois si routinière. A la réflexion, c'était peut-être pour ça qu'elle s'était mise à boire autant, nota Amelia en l'observant se verser un troisième whisky (!). Puis un autre, à la toute fin de l'histoire qui bizarrement avait presque des allurs de happy end car Regina semblait heureuse.
C'était sans doute le plus important dans tout ça.
Amelia réfléchit encore quelques instants avant de se rendre compte que c'était à elle de parler. Confuse et bredouillante, elle reprit :
- Waouh... pardon mais... c'est une sacrée histoire tout ça ! J'aurai absolument pas aimé vivre tout ça, je suis bien content que Hadès se contente de venir me faire des propositions farfelues - mais en tout bien tout honneur et j'insiste là-dessus - à la boutique plutôt que de m'embarquer dans des trucs pareils. Enfin, je suppose que c'était pas sa faute, reprit Amelia après un temps. En tout cas, ça doit être vraiment long un an avec aussi peu de monde et dans un autre aussi peu charmant ! T'as dû être bien contente d'enfin pouvoir rentrer !D'ailleurs... t'as l'air d'en tirer une sacrée force et j'aime bien ta nouvelle garde robe. Et les cheveux, c'est cool aussi. Mais... tu sais, je ne sais pas si boire autant d'alcool être vraiment nécessaire ? Enfin, tu as l'air de vachement bien le supporter et c'est super ça ! Dans un sens. Mais... bref, fais attention quand même, hein.
Amelia ne voulait pas donner l'impression de la juger et avait la désagréable sensation de marcher sur des œufs. Elle ne pouvait cependant cacher son ébahissement. C'était rare que les gens changent aussi radicalement et aussi vite. La pâtissière se demandait si elle connaissait encore Regina mais cela ne l'empêcha pas de lui rendre son sourire et de trinquer.
C'était sa vie, après tout. Majeure et vaccinée, elle en faisait ce que bon lui semblait.

Cool. Oui, Hadès, lui avait paru cool leur de leur rencontre. Mais il avait paru un tas d'autres choses aussi. Excentrique, par exemple. Un peu barré, aussi. Voire totalement. Ce n'était pas souvent qu'Amelia avait l'impression d'être la personne la plus raisonnable ou mature dans une pièce (et ce n'était d'ailleurs pas une impression qu'elle cherchait particulièrement à avoir car elle trouvait que la vie devait être fun et sans trop de prises de tête) mais lui, il la lui donnait. D'une certaine façon, elle était admirative de sa façon d'être, bien que cela ne corresponde pas trop à l'image qu'elle se faisait des dieux. Une chose était certaine : même coincé pendant un an dans un endroit sinistre avec lui on ne devait pas totalement s'ennuyer. Pour ce qui était des autres personnes mentionnées, Amelia ne pouvait pas juger davantage. Il n'y avait que Diane qu'elle connaissait et qui lui semblait une déesse charmante mais moins haute en couleurs. Plus réservée, sans doute. Ce qui faisait sans doute du bien afin de contrebalancer les caractères des uns et des autres, d'ailleurs.
- C'est bien que tu te sois fait des amis malgré les circonstances. Je le connais un peu, Hadès. Il est... disons que c'est difficile de l'oublier, il sait faire impression.
Mieux valait s'en tenir à ça pour les commentaires à haute voix. Tout comme, d'ailleurs, elle s'en était tenu au strict minimum concernait ce qu'elle pensait de tout ce whisky absorbé en aussi peu de temps. S'il y avait quelque chose dont Amelia avait horreur, c'était créer des conflits. Le souci, c'était que ce n'était pas toujours compatible avec son besoin incontrôlable de se mêler des affaires des autres.
Heureusement, Regina se voulait rassurante. Alors pouvait-elle en dire plus ? C'était une grande fille majeure et vaccinée.
- Bon, je te fais confiance, alors. Je suppose que ce n'était pas facile de trouver une échappatoire là-bas. Je ne sais pas si j'aurais fait mieux que toi, d'ailleurs. Je veux dire... J'aurais certainement pas tenu aussi bien à l'alcool et ça aurait plutôt été du vin blanc, je pense. Mais à situations extrêmes, mesures extrêmes. Je suppose. J'ai jamais rien vécu de tel. Dieu m'en garde.
Amelia appuya sa paume sur le bois du bar puis but une nouvelle gorgée de Coca.
- Les affaires vont bien. Pas grand chose de neuf à ce niveau-là. J'essaye de caser ma grande sœur mais elle n'aime pas trop ça. C'est triste qu'elle préfère la solitude. Tu devrais peut-être lui dire ce que ça fait de vivre presque seule pendant un an... D'ailleurs, comment l'a pris ta famille ? Ton changement, je veux dire. Ca a dû... les surprendre un peu comme ça me surprend moi, non ? Tu n'as... plus grand chose de la mairesse froide qu'on connaissait au début.