Michel-Ange était comme devenu fou quand ils avaient abordé le sujet Harry Potter et il fallait bien dire que son enthousiasme était contagieux - quoiqu'un peu violent, aussi. Il n'avait pas hésité à secouer plusieurs fois Honey, prouvant bien qu'il était le seul à ne pas voir le fauteuil sur lequel elle était. La plupart des gens auraient eu peur de la briser, ce qui était un raisonnement totalement erroné. Malheureusement, des raisonnements erronés, il y en avait presque autant que d'humains sur Terre.
Honey avait laissé Michel-Ange s'exciter, balancer ses théories et envies, attendant en quelque sorte que la tempête passe avant de répondre à ses demandes. Et quand il ne tint réellement plus en place, la jeune femme put enfin demander :
- Pourquoi je te "conterais l'histoire approximativement de tête" quand je peux te prêter ma liseuse ? demanda Honey, toujours incertaine de comprendre la logique de Michel-Ange dans sa première demande, qui avait été émise depuis de longues minutes à présent.
D'ailleurs, elle le regardait probablement avec un air de merlan frit, sans doute décuplé par les épais verres de ses lunettes. Le fait était que les émotions et réactions de la scientifique avaient toujours pu se lire très facilement sur son visage. La plupart du temps, on y lisait une joie pétillante un peu fatigante et l'irrésistible envie de découvrir toujours plus de choses ou la surprise excitée d'une découverte. La tristesse passait rarement sur ses traits, ce qui rendait, sans doute, son passage d'autant plus remarquable. Cette fois, cependant, Honey était simplement interloquée.
La jeune femme finit par hausser les épaules et se pencher vers la poche arrière de son fauteuil dans lequel elle rangeait quantités de choses parmi lesquelles la fameuse liseuse.
- Tiens, je te la prête. T'auras qu'à me la rendre quand tu auras fini ou alors tu télécharges les livres sur ton ordinateur. Je crois que les ports usb de Terre 2 et ceux d'ici sont compatibles. Si ça l'est pas, je peux fabriquer un adaptateur, remarque.
Le cerveau de Honey avait déjà commencé à y réfléchir alors que l'idée venait de naître dans son esprit. C'était sans doute ça, être un génie. Il n'aurait cependant pas eu accès au calme nécessaire pour accoucher proprement de cette idée car l'enthousiasme de Michel-Ange était presque aussi intense que celui que dégageait Honey la plupart du temps. Et ça le rendait incroyablement mignon. Honey ne pouvait s'empêcher de sourire.
- Ce sera bien mieux si tu découvres ça tout seul, assura la jeune femme, une lueur malicieuse dans les yeux.
Ensuite, elle décida de revenir sur sa théorie un peu farfelue mais qu'elle avait déjà trouvée sur Internet. D'ailleurs, dans son univers aussi les théories existaient à profusion. Honey appréciait son enthousiasme décidément très communicatif mais ne croyait pas en cette théorie. Il ne restait qu'à le dire avec tact et bienveillance, sans utiliser trop de mots complexes, aussi, accessoirement. Dans tous les cas, elle comprenait la logique de son argument.
- Ta théorie sur Dumbledore a quelque chose de passionnant - et pas que pour toi si j'en crois Google, malheureusement ce n'est pas possible. Le Wiki Harry Potter est très spécifique à ce sujet : le retourneur de temps ne peut remonter que cinq heures, n'en déplaise à L'Enfant Maudit - d'ailleurs, cette pièce n'existe pas sur Terre 2 parce que nos Potterheads n'ont pas besoin de fanfictions purement mercantiles - qui n'est pas canon, de mon point de vue et que je ne prendrai donc pas en compte dans la démonstration qui va suivre.
Honey marqua une pause, réalisant quelque chose d'important. Elle adressa un air désolé à Michel-Ange.
- Désolée, j'ai recommencé à parler comme un livre. Mais c'est plus fort que moi ! Tout est science c'est tellement passionnant ! Tu comprends ?
L'astrophysicienne et chimiste espérait que oui. Elle reprit :
- La théorie veut que le voyage dans le temps soit possible uniquement en passant par ce qu'on appelle les trous de ver. Malheureusement, ils apparaitraient de façon aléatoire dans l'univers et seraient tellement petits - une taille de l'ordre de dix puissance moins trente trois - qu'il serait très aléatoire de les détecter. S'ils existent, ce qui n'a même pas été prouvé dans mon monde, précisa sérieusement la jeune femme. Un trou de ver est composé de deux entrées qu'on appelle des bouches. L'une permet d'aller dans le futur et l'autre dans le passé. Chaque bouche mène à un autre point dans l'espace temps qu'il est impossible de prédire avant de l'atteindre. Il s'agirait, en fait, d'un raccourci dans l'espace-temps. Pour le traverser il faudrait l'agrandir pour entrer dans le tube qui se trouverait dans l'hyper-espace et que nous ne pourrions donc voir de l'extérieur. Le souci serait que le passage dans ledit trou de ver agrandi serait immédiatement détruit dans une gigantesque explosion engendrée par l'univers pour supprimer les paradoxes temporels. Tout ça pour dire que Ron et Dumbledore se parlent et se voient dans les romans, ce qui serait un paradoxe, or, nous venons de le voir, l'univers ne tolère pas les paradoxes. CQFD.
Honey reprit enfin son souffle et observa la réaction de Michel-Ange. Elle avait fait au mieux pour parler en phrases courtes et expliciter les termes clés.
- Je t'ai pas donné la migraine, pas vrai ? Si c'est le cas j'ai de l''acide acétylsalicylique, que tu dois connaitre sous le nom d'aspirine, sauf si tu es allergique, auquel cas j'ai aussi du paracétamol, plus communément appelé doliprane.
La jeune femme avait presque hésité à chercher les deux boites de cachets avant d'avoir la réponse de Michel-Ange.
Il restait, en tout cas, enthousiasmé par Harry Potter et c'était sans doute le principal. Alors Honey relança ce sujet :
- Tu serais un excellent professeur de métamorphose, approuva Honey. Mais c'est comme tout : il faut travailler les matières avant de les connaitre. Je suis sûre que quand tu es passionné tu peux soulever des montagnes. Peut-être littéralement, d'ailleurs.
Honey peinait encore à croire qu'il existait des mondes des contes et aussi des dieux, de la magie etc. Pourtant, tout le monde le lui affirmait, même Evelyn dont l'âme sœur avait disparu sous ses yeux. Alors... il y avait des chances pour que ce soit vrai. En bonne Potterhead qu'elle était, la jeune femme avait rêvé d'aller à Poudlard mais n'avait jamais considéré un seul instant que cela soit potentiellement possible. Mais Michel-Ange avait peut-être raison sur ce point et elle devrait peut-être un jour l'admettre.
- Tu me manquerais si tu y allais pour du vrai, commenta la jeune femme. Je ne sais pas encore comment mais il est peut-être envisageable d'éprouver ta théorie. J'y réfléchirais, si tu veux. Je... je dois avouer que je serais un peu curieuse de voir Poudlard en vrai, sourit la blondinette. Tu voudrais voir quoi et rencontrer qui ?
Pour l'heure ce n'était que de la fiction alors elle n'avait pas trop de mal à se projeter, trouvant même le jeu amusant.

- Là encore, c'est une fiction, expliqua posément Honey lorsque Michel-Ange souleva le point intéressant de l'auto-sauvetage d'Harry Potter.
Comme tout scientifique qui se respecte, la jeune femme avait l'habitude des débats et plus généralement des discussions. La science, après tout, n'était qu'une série de débats et de remises en cause qui aidaient à progresser - bien que cela n'aida pas spécialement la jeune femme à accepter l'existence de la magie, prouvée, apparemment, de manière aussi radicale par cette Terre première. Pour revenir à notre affaire, Honey s'était contentée d'énoncer les faits, ni plus, ni moins.
Michel-Ange n'avait sans doute pas cette approche mais l'astrophysicienne n'aimait pas passer sa vie entourée de scientifiques aguerris. Elle avait besoin de faire des rencontres, de connaitre des gens différents pour se nourrir de la richesse qu'ils pouvaient lui apporter. En l'occurrence, elle ne pouvait que se délecter de l'enthousiasme - qui s'approchait du fanatisme, au sens premier du terme - de Michel-Ange.
- Oui, l'homosexualité est moins taboue chez moi que chez toi. Ou disons qu'elle ne l'est plus autant depuis plus longtemps. Pour le reste, il faudra lire, ajouta la jeune femme d'un air mystérieux. Ou comme dirait River Song : spoilers !
A ce moment du récit, Camille se satisfit pleinement d'avoir placé cette référence avant d'enchainer dans sa rédaction.
Honey avait visionné le premier volet de la série de films dont Michel-Ange parla ensuite et écouta attentivement ce qu'il avait à en dire sur la première suite. Là-dessus, elle ne s'était pas renseignée. Tout ce qu'elle savait, c'était que cette pentalogie n'existait pas dans son univers et que le premier film souffrait de sérieuses facilités scénaristique (ce que Camille pense également). Elle avait aussi eu vent de la suite annoncée pour la fin d'années.
- Tu es quelqu'un de rare, Michel-Ange, nota Honey avec satisfaction. Tu as de très belles convictions que je ne peux que saluer mais.... Je suis beaucoup trop curieuse de connaitre la suite en dépit de tout, avoua la jeune femme dans une grimace un peu coupable. Je ne suis pas très convaincue par le choix du casting, cependant. Pourtant j'ai visionné des films de ces acteurs... comment ils s'appellent déjà ? John Depp et Jude Low je crois. Ca doit être quelque chose comme ça. C'est pas très important, balaya la scientifique avec bonne humeur.
Celle-ci fit place au sérieux le plus scientifique qui soit quand Michel-Ange lui expliqua comment la communication avec les "mondes des contes" fonctionnaient. La jeune femme trouva rapidement une analogie. Son visage s'éclaira et elle s'empressa de la partager :
- En fait c'est comme les trous de ver dont je parlais mais en plus stable ! C'est très intéressant ! J'espère qu'on en trouvera un pour que je l'étudie !
Aller à Poudlard était un fantasme des plus plaisants mais étudier la façon d'y parvenir était au moins tout aussi excitant. Pour Honey, du moins. Pour la plupart des gens, aller à Poudlard était le seul phénomène intéressant.
Le chocolat n'était pas un phénomène, c'était simplement un produit délicieux dont Honey raffolait, comme une importante part de la population. Elle regarda avec intérêt la cachette de Figue et avec un intérêt encore plus grand ce fameux chocolat Wonka. En effet, ce nom ne lui disait absolument rien. Mais si c'était du chocolat spécial, elle était extrêmement curieuse d'y goûter - en dépit du fait qu'il avait plus ou moins été volé. Tout n'était peut-être qu'une question de perception, comme dans la théorie de la relativité formulée par Albert Einsten en 1905.
- C'est absolument fan-tas-tique ! s'écria Honey en y ayant goûté, quelques instants plus tard. Je n'avais jamais rien mangé de pareil ! Figue a très bon goût. Et toi aussi. Tu crois que je peux en reprendre un morceau ? J'aimerais essayer de le synthétiser en laboratoire. Si tu dis qu'il vient d'un autre monde et qu'on n'y accède pas très facilement je suppose que vous n'avez pas de stocks illimités.
Pour Honey, c'était totalement logique et la meilleure solution. D'autre part, elle synthétisait rarement de la nourriture mais elle était persuadée que ce serait une expérience dingue.
- N'hésite pas si tu veux me faire découvrir d'autre chose de ta planète, surtout, reprit la jeune femme tout aussi sérieusement. J'ai beaucoup lu à votre sujet. Votre histoire, vos découvertes, vos normes sociales. Mais je pense que l'expérimentation surpasse la théorie. Tu n'es pas d'accord ? demanda la scientifique aux yeux brillants.

Michel-Ange avait le don de faire sursauter Honey, avec ces sursauts aussi impressionnants qu'imprévisibles - alors même que la jeune femme était exactement pareille ! Sauf que depuis quelques semaines, elle ne pouvait plus littéralement bondir quand lui venait une idée, à moins d'accepter de se ramasser comme une crêpe à cause de la gravité terrestre et de sa loi impitoyable (mais plus complexe qu'on ne pourrait l'imaginer, comme l'avait démontré Albert Einstein pendant les années cruciales durant lesquelles il formulait sa brillante théorie de la relativité générale).
Honey ne quitta pas son ami des yeux, qu'elle avait écarquillés à un point presque surhumain. Il avait toute son attention. La jeune femme était d'ailleurs figée sur place car son cerveau était entièrement dédié à Michel-Ange, en cet instant précis.
- MAIS C EST BIEN SUR ! s'écria Honey, à son tour aussi excitée que lui. Notre version d'Alan Turing a vécu très longtemps, tu as raison ! Michel-Ange, te rends tu compte que tu viens probablement de faire une découverte RE-VO-LU-TIONNAIRE ?!
C'était autour de Honey de vouloir secouer Michel-Ange comme un prunier. Elle comprenait qu'il avait eu raison de le faire : ça avait dû l'aider à canaliser toute cette excitation qui bouillonnait dans ses veines.
Il fallait qu'elle se calme alors Honey vida sa bière d'une traite, espérant que sa fraicheur ventilerait ses neurones en pleine surchauffe. Elle avait à présent une folle envie de prouver cette théorie et d'y travailler nuit et jour pendant dix ans s'il le fallait.
Du coup, la scientifique ne fut même pas triste quand, dans une nouvelle précipitation, Michel-Ange partit lui chercher un livre manifestement destiné aux enfants pour ensuite expliquer pourquoi elle ne pouvait pas synthétiser le chocolat Wonka. Et même si tout cela se basait sur une fiction, encore, il avait l'air suffisamment sérieux.
- D'accord, pas de synthèse du chocolat Wonka, abdiqua Honey sans réellement regretter. Je lirai tout ça attentivement - il ne me faudra pas plus d'une heure et encore, je vois large... mais flou parce que je suis myope, commenta la jeune femme en observant le roman. C'est censé être marrant parce que voir large c'est une expression métaphorique et voir flou c'est au sens littéral donc c'est drôle de les mettre sur le même plan.
La blondinette n'était pas très douée en humour. Il fallait toujours qu'elle explique ses blagues, de peur que les gens n'aient pas saisi ce qu'elle racontait ce qui, en principe, tuait l'effet comique. Et elle s'en rendait compte. A chaque fois. Honey chassa donc une fois de plus cette dernière partie.
- Bref, je te le rendrai vite. Oublie ça, on a mieux à faire : IL FAUT PROUVER TA THEORIE ! C'est pas génial ??
Michel-Ange eut alors ce tic tellement adorable de se passer sa main dans la nuque. Ca, il le faisait quand il voulait dire quelque chose et qu'il avait peur de froisser, ce qui était d'autant plus a-do-rable.
- Aucun souci ! Je comprends totalement, j'avais pas dans l'idée de m'imposer très longtemps, de toute façon. Ca roule pour moi, t'en fais pas !
En l'occurrence, elle n'eut pas besoin de rouler, il s'occupa de tout, notamment des marches qu'il était difficile de franchir dans son fauteuil. Michel-Ange était rapide et donnait l'impression qu'elle était une plume, ce qui, pour son métabolisme particulier, était sans doute le cas, d'après ce qu'elle en avait vu.
Une fois sur le trottoir, il se planta devant elle, sempiternellement gêné, tandis qu'un bus passait. Honey comprit que c'était le sien. Pourtant, il ne tenta rien, peut-être résigné. Soudain, Michel-Ange plaqua un baiser sur sa joue. Honey frémit, surprise (agréablement) et rosit avant de sourire. Ses derniers conseils lui faisaient chaud au cœur. Elle était tellement contente de le connaitre !
Ca, elle n'eut pas le temps de le dire. Il fila comme un éclair et sauta, littéralement, sur le bus, à défaut d'aller dedans. Honey éclata de rire, applaudit et lui fit signe de la main jusqu'à ce qu'il tourne au coin de rue. Puis elle roula chez elle, heureuse.