C’était extrêmement étrange de me retrouver là, à ouvrir des cartons en essayant de comprendre ce qu’il y avait dedans et sourire en reconnaissant mes affaires. Elles n’avaient pas pris une ride et pourtant une mince pellicule de poussière les recouvraient… Depuis quand ne les avais-je pas mis ? Depuis quand n’avais-je pas enfilé ce pull ou bien ce jeans, que pourtant j’affectionnai tout particulièrement ? Il y avait des vêtements dans un grand sac et quelques affaires dans un autre, tandis que tout le reste se trouvait emballés méticuleusement. Je reconnaissais la manie de Carlisle de tout ordonner correctement… Combien de temps avait-il passé à les faire ? Dans quelles conditions ? Quel état d’esprit ? Et surtout, pourquoi ? Qu’est-ce qu’il s’était passé ? J’avais le pressentiment que c’était quelque chose de terrible pourtant, au fond de moi, je ne ressentais aucune peur. Aucune frayeur. Juste l’impression d’émerger d’un sommeil cotonneux avec quelques bribes mais pas de sentiments associés. Les images défilaient semblables à un mauvais film ou des vagues idées… Pourtant je ne sentais pas mon cœur se serrer ou quoi que ce soit. Sebastian avait dit que quelque chose avait été laissé derrière moi, ça aurait juste été pratique de m’en préciser la taille.
Comme il m’avait dit que j’avais le temps, je le pris. Quand Carlisle cuisinait c’était toujours avec concentration et je profitai de ces précieuses minutes pour organiser un peu tout ça. Aucune de mes possessions ne se trouvait dans l’appartement et j’avais bien envie que cela change ! Outre les dinosaures et les figurines que je laissai à leur place pour le moment, je ramenai quelques vêtements dans la chambre. En fouillant un peu avant de trouver le dressing, je remarquai qu’il avait laissé des espaces vides… Etaient-ils pour moi ? A ce que je sache, il ne vivait avec personne d’autre alors je déclarai que oui, ce terrain était désormais conquis : à moi. Je posai quelques tee-shirts, des sous-vêtements dans l’un des tiroirs et tendit deux pantalons comme lui.
Ma curiosité l’emporta et je tirai sur l’un des tiroirs pour voir le contenu… Des cravates. Toutes parfaitement pliées et alignées. J’esquissai un sourire devant certaines plus fantaisies que les autres, comme cette verte et grise au logo de Serpentard ; ou cette bleues avec des tyrannosaures… Explorant davantage, je ne tardai pas à mettre la main sur le tiroir à chaussettes ! Mon sourire s’élargit tandis que je constatais qu’il n’en avait pas perdu une seule. A chaque fois que je bougeais, que je faisais un concert ou que je découvrais un nouvel endroit, je lui en ramenais une paire. Il m’avait d’abord regardé de travers lorsque j’avais eu cette idée mais finalement il semblait s’y être habitué. Il avait juste demandé à ne pas devoir porter des choses trop stupides, il avait une « certaine réputation à respecter »… Réputation, toujours. N’empêche que c’était marrant.
Je sursautai en entendant sa voix et me retournai vivement pour découvrir le visage de Carlisle soudain livide et, rapidement, fermé. Papillonnant du regard, je penchai la tête sur le côté et il sembla comprendre que non, je n’allais pas bondir en arrière pour le fuir ni lui sauter à la gorge car il se racla la sienne pour m’annoncer que le dîner était prêt. Complétant la distance entre nous, je le rejoignis avant qu’il ne quitte la chambre et glissait mon bras autour du sien. Simplement.
«
Ca tombe bien, j’ai faim. Enfin, un peu, mais faim ! »
Je n’avais jamais un estomac gargantuesque mais, pour lui, je voulais bien faire un effort ! Je sentais qu’il en avait cruellement besoin et, comme pour faire bonne figure, je terminai toute l’assiette qu’il avait préparé. Si j’avais pu je lui aurais demandé une pizza mais c’était aussi très bien et, dans un sourire, je débarrassai la table tandis qu’il allait – par réflexe – s’occuper de notre fille qui s’était mise à pleurer. Nous n’avions pas échangé beaucoup de paroles dans ce repas mais j’avais fait des efforts pour que ce soit un peu plus léger. Un peu plus tranquille… ça allait être dur. L’organiste était pire qu’un animal sauvage à approcher et, si je n’avais pas la confiance absolue qu’il m’aimait, je prendrais encore plus de gants. Mais il était à moi, comme j’étais à lui. Il était blessé et il me manquait une partie de moi. Peut-être que tous les deux, on parviendrait à trouver un nouvel accord ? Heureusement qu’il y avait Tasha. Qu’il y aurait toujours Tasha. Et si elle avait permis à Carlisle de ne pas perdre toute son humanité durement acquise, j’avais encore plus de choses à me faire pardonner auprès d’elle.
Glissant vers le salon, je me surpris à en apprécier la vue plongeante de la baie vitrée sur l’extérieur… Ca changeait. On était toujours aussi haut mais l’endroit avait un charme un peu austère et moderne à la fois. Je me jurais d’installer tout mon bazar assez rapidement pour lui donner plus de couleurs mais, pour ce soir, on se contenterai de ça. Des odeurs. Des souvenirs. Des matières. Des cd que je retrouvai alignés et rangés soigneusement comme toujours. Des rares tableaux affichés, judicieusement choisis, élégamment organisés. Timothy savait toujours comment agencer et mettre en valeur les choses dans une maison ; j’eu un sourire en pensant au vieux majordome et aux soupirs désabusés que je lui avais fais pousser au manoir. Lui et moi ne nous entendions pas vraiment en matière d’organisation… J’eu un soupir amusé, longeant le canapé anthracite et rejoignant rapidement l’immense piano à queue qui trônait, royal, dans sa partie du salon. Il l’avait fait déplacer jusqu’ici, ça ne m’étonnait même pas. A défaut d’un orgue, Carlisle maintenait son lien amoureux auprès des instruments.
J’en un pincement au cœur quand j’aperçu une guitare électrique posée sur son support, à côté d’une acoustique. Celle-ci, c’était la sienne. Il n’en jouait pas souvent mais il savait que j’adorais lorsqu’il se mettait à gratter les cordes… La musique, c’était tout ce qui nous avait toujours lié. Il m’avait appris le classique quand je l’avais forcé à la pop, enseigné l’un pour l’autre, appris l’un pour l’autre. Il m’avait fait souffrir à en grimacer et je lui avais vrillé les oreilles à l’en faire s’exaspérer. Œil pour œil. Dent pour dent. Je grattai nonchalamment l’une des guitares et rectifiait très légèrement le serrage de la corde ; il n’en avait pas pratiqué depuis longtemps, il n’aurait jamais toléré le moindre défaut. Carlisle était parfait. Et moi, j’aimais sa perfection.
Mes doigts me démangèrent et, sans trop réfléchir, je m’installai au piano. Je passai mes mains sur les touches et inspirait, m’enivrant de la présence de l’instrument. De sa sensation. De ses promesses. J’avais appris à aimer le piano, à en découvrir les aspects et les secrets, à le détester voir le haïr aussi pour sa complexité. Je l’avais maudit et pourtant, quand je me laisse bercer par sa présence je sens quelque chose de rassurant. Parce que c’est son instrument. Parce que c’est ce qui le représente. Parce que c’est lui qui en joue lorsque je ne vais pas bien ou tout simplement pour le plaisir. Je le vois à travers le patio sortir de la chambre de notre fille mais je décide de leur laisser ce moment. Je n’avais pas joué du piano depuis longtemps.
Pourtant je me rappelle aisément l’air du Lac des Cygnes, son opéra préféré. En particulier une version réalisée par un jeune organiste bien avant notre rencontre…
- FIN -