En voyant Théodore s’élancer dans les flots déchaînés, Jamie sentit son coeur tombé lourdement dans son estomac. Une pierre de glace. Les éclairs déchirèrent le ciel à l'instant où la première vague happa son ami.
"THEO!"
La voix de Jamie n'était rien en comparaison du vacarme qui s’abattait, sans cesse, sur le sable de la plage, pourtant il crut se casser la voix tant celle-ci dérailla. Ce n'était pas un cri comme il avait l'habitude d'en pousser, pas un cri dû à un 'bouh!' tonitruant de l'un de ses camarades, pas un cri découlant d'une scène effrayante qu'il regardait en douce tard le soir, non c'était un cri qu'il n'avait encore jamais poussé, un cri de peur. De vraie peur. La peur totale et viscérale pour son ami, qu'il voyait se faire engloutir par les flots orageux. Pendant un instant, il faillit lui aussi plonger dans l'eau, sans retenu. La vie de son ami était en danger, il n'avait que cela en tête. Qu'est-ce donc, la prudence, dans ce genre de situations? Mais à l'instant où Théodore émergea avec peine des flots, un éclair déchira le ciel, comme un avertissement. Tout ce que Jamie allait réussir à faire, c'était se noyer à son tour. Sur le terreau de la plage il se figea. Etait-il donc complètement impuissant? Allait-il... En rester là?
Non! Jamie tu dois sauver Théodore! AGIS!
Son esprit bricoleur se mit en route, les rouages de son cerveau coulissant plus vite qu'aucun moteur qu'il avait réparer jusqu'ici. L'idée lui vint après un instant et il se rua à l'intérieur de la cabine de marin. Si ils avaient trouvés des fils pour faire voler cette fichue maquette, il devait y avoir des cordes. De vraies cordes. Assez solide pour sauver Théodore. Des cordes nom de non! Ce fût un autre éclair qui les lui montra et Jamie sortit en trombe sous les éléments furieux, aussi vite que ses petites jambes lui permirent de le faire. Attachant le cordage à la proue d'une vieille chaloupe abandonnée -mais solidement enfoncée- sur le sable de la plage, il s'élança à son tour dans les flots. Il eue l'impression que Théo tentait de lui crier quelque chose mais le fracas des vagues couvraient toutes tentatives de communications.
Théodore nagea vers lui, et après quelques autres grosses frayeur, la main de Jamie se referma sur le poignet de son ami. Tirant ensemble sur la corde, et priant sans doute pour qu'elle ne se brise pas, ils parvinrent à se hisser hors de porter des vagues. Les poumons brûler par le sel et l'adrénaline, ils se laissèrent tomber sur la plage, criblés par la fatigue et les crampes.
« J'ai pas pu rattraper la maquette... je suis désolé »
A bout de souffle, Jamie tourna les yeux vers son ami. Sérieusement? Était-il sérieusement
en train de déplorer la perte du jouet? Bon sang, ils étaient en vie, et quelle aventure! Jamie, à cet instant, se fichait bien de sa maquette. Il avait gagné bien plus que l'admiration de Théodore pour son jouet, plus qu'il n'avait oser espérer.
La pluie cessa doucement de tomber et les deux enfants reprirent peu à peu leur souffle. Le vent continua de balayer la plage mais au moins ne risquaient-ils plus de s'étouffer avec les diamants qui tombaient du ciel. Lentement, les deux garçons s'assirent sur sable, leur souffle devenant peu à peu régulier à nouveau.
« On est pas bien là ? C'est cool le sable. »
Jamie acquiesça. C'était même carrément génial.
"Purée, jura-t-il, presque avec bravoure après un instant. qu'est-ce qu'on a eue chaud!"
Malgré lui il partit dans un fou-rire des plus revigorant. C'était tellement bon d'avoir été en danger et de ne plus l'être. Son rire était contagieux, ou alors Théodore ressentait la même chose, mais très vite il se mit à rire lui aussi. Sortis d'affaires, ils pouvaient se permettre d'être insouciants.
"T'es un peu fou Théo, c'était super dangereux! Tout ça pour un jouet! Je peux en faire tout plein, des maquettes, tu sais. T'avais l'air... Tellement sûr de toi. t'es soit super courageux soit super fou! s'exclama-t-il avec un sourire."


La tempête du coeur est souvent plus violente que celle de la nature

Quand il entendit Théodore lui dire que sa maquette était le premier cadeau que l'on lui offrait, comme ça, Jamie sentit une pointe percer sa poitrine. Ce n'était pas de la culpabilité, pas plus que de l'orgueil. A dire vrai, c'était un peu plus complexe. C'était comme une forme de défi. Une forme très particulière de défi personnel qu'il dédiait à sa propre personne. L'avenir se chargea de ne jamais vraiment enlever cette pointe de son plexus solaire.
«Je sais pas trop ce qui m'a prit en fait, lui confia son ami, pour répondre à son interrogation. Je sais pas … c'était comme si dans une vie antérieure j'avais été un viking , invincible contre les éléments remplis de force et de courage. ».
En l'entendant parler de viking, Jamie comprit tout à coup que les dragons n'étaient pas la seule chose que Théodore cachait au fond de sa vérité. C'était bien plus profond que cela. Les dragons n'étaient qu'une petite parcelle de l'infinie de sa vérité.
Penchant la tête, il observa Théodore, qui rapprocha ses jambes de sa poitrine, assit sur le sable. C'était vrai qu'au premier coup d'oeil, Théodore n'avait vraiment pas l'air d'un viking. Il faut dire que les rares images que Jamie en avait vu se résumait aux pages 30 à 38 de son manuel d'histoire, il y avait de cela quelques années déjà. Jamie y avait vu, comme ses camarades, de fières armoires à glace rousses, aussi larges que des troncs d'arbres, aux croyances bizarres mais assez intéressante. Jamie s'était plus intéressé à l'idée d'Yggdrasil, et des neufs royaumes qu'il portait -l'idée d'un arbre monde étirant ses branches à travers l'infini de l'espace lui avait beaucoup plût et il avait tenté de le reproduire en maquette, mais cela avait été vain- qu'à leur barbarie militaire. Mais de ce qu'il avait retenue, il savait que les Vikings étaient des personnes assez violentes. Or si un adjectif ne pouvait pas être attribuer à Théodore, Jamie en était certain, c'était bien 'violent'. Pourtant, il avait montrer, quelques secondes à peine auparavant, toute la force dont il était capable. Une force un peu folle, du courage. Théodore avait très bien résumé ce que Jamie avait vu, à travers les vagues. De la force et du courage. Théodore était courageux et fort.
« Mais ce n'est pas le cas. Je ne suis pas et je ne serais jamais un vrai viking... parfois même .. je me demandes si les dragons existent ... ».
Aussitôt, Jamie se redressa. Non, il n'allait certainement pas laisser son ami dire de telle chose. Non, cela était proscrit. Il refusait de laisser son ami sombrer dans un tel pessimisme, après la grandeur qu'il venait de démontrer. Et surtout, surtout, il refusait de le voir sombrer dans une banale et morose 'normalité' qui ne laissait pas de place aux dragons. Cependant, son ami fût plus rapide que lui, se relevant sur ses pieds, avant de se tourner vers lui.
« Viens, on va à l’intérieur .. je commences à avoir froid et toi aussi .. ça sert à rien d'attraper froid alors qu'on vient d'échapper à la mort. ».
Prenant la main de Théodore, Jamie se releva à son tour, frigorifié soudain. Le temps s'était calmé mais en rien réchauffer et il devait avouer que son échine frissonnait tant il avait froid. Jamie n'avait jamais été un très grand admirateur du froid, il suivit donc Théodore avec impatience. La cabane sembla être le plus haut luxe auquel il avait jamais accéder quand il referma la porte derrière eux. Théodore était déjà en train de fouiller dans un placard proche, et il revint vers le centre du palais, triomphant.
« Je penses que ce serait peut être mieux si on enlevait nos habits pour les faire sécher. Ça ne sert à rien comme j'ai déjà dit de se chopper un truc .. et puis regarde y a pleins de couvertures.. Bon d'accord ça sent pas bon et en plus elles vont gratter mais c'est mieux que rien. Et puis .. si tu veux je regardes pas .. ».
Jamie acquiesça, son t-shirt collant à sa peau et semblant soudain aussi gelé que sale. Il ne comprit pas tout de suite la fin de sa phrase, mais quand il enleva son t-shirt, Jamie tourna également le regard. Pas qu'il soit particulièrement gêné mais il respectait l'intimité de son ami. Il n'avait jamais apprécier les moments passé aux vestiaires de l'école, et il ne comprenait pas pourquoi ils ne pouvaient pas simplement avoir des cabines, comme à la piscine. Ce n'était pas parce qu'ils étaient des enfants qu'ils n'avaient aucune notion de la gêne. Ou de la cruauté.
Rapidement, Jamie enleva ses chaussures, dont les lacets étaient littéralement noyés. Il eut du mal à enlever ses chaussettes, tant elles collaient à sa peau. Si bien qu'il était à peine pieds nus quand il entendit le cuir du fauteuil couiner alors que Théodore s'asseyait. Il entreprit d'enlever son pantalon kaki quand son ami se racla la gorge.
« Pour te rassurer … enfin vu notre âge mais quand même .. je n'aime pas les hommes hein enfin comme ami ça va .. mais … après voilà .. bref … pas trop fatigué ? »
La main encore sur le bouton de sa braguette, Jamie considéra les yeux fuyant de Théodore un petit moment avant de comprendre. Aussitôt il rosit. Ah... ça....
"Je, euh... moi non plus. Enfin. Les garçons."
Sa voix était aussi hésitante que celle de Théodore avait été fuyante, et il baissa les yeux en finissant de se déshabiller. Rapidement, il jeta son pantalon dans un coin, près de ses chaussures, avant d'enlever son t-shirt et de s'enrouler dans sa couverture. Effectivement, elle ne sentait pas très bon. Mais ça demeurait plus chaud que ses vêtements. Il grimpa à son tour sur le canapé, mettant ses genoux contre sa poitrine. Il y eut un petit silence gêné.
"... Et toi pas trop fatigué?"
Jamie dit surtout cela pour rompre le silence pesant, car il n'avait pas envie qu'ils restent ainsi jusqu'à ce que le soleil se lève. Tiens, d'ailleurs, le soleil avait disparue pour la nuit.
"Tes parents, ils vont pas être inquiets pour toi?"


La tempête du coeur est souvent plus violente que celle de la nature

En entendant Théodore dire que ses parents ne s’inquiéteraient pas pour lui, Jamie sentit son coeur se serrer. Mais en l'entendant parler de sévices psychologiques, il sentit carrément son sang se glacer. Comment était-ce possible? Comment les parents de son ami pouvaient-il le considérer comme inadéquat? Cela pétrifia Jamie. Ce non-intérêt parental le rendait malade.Et triste. Si bien qu'il resserra la couverture autour de lui.
« Et toi alors ? Techniquement si tes parents sont normaux, nous devrions avoir la police à nos trousses d'ici une demi heure environ. Dit, tu veux pas m'adopter ? Un frère ça te tentes ? »
Malgré lui, Jamie serra un peu plus fort la couverture autour de ses épaules. Il aurait du le prévoir cependant. C'est lui même qui avait amené le sujet. Et puis... Ce n'était pas une honte. Après tout...? Il n'avait pas à cacher cela comme une vilaine cicatrice. Inspirant profondement, il changea de position, faisant pendouiller ses pieds dans le vide.
"Je, euh... fit-il après un silence. Je n'ai pas de parents. Je vis à l'orphelinat."
Il avait dit cela d'un ton calme et neutre, en fixant la table devant lui. Pas qu'il ai honte... Enfin. Timidement, il releva les yeux vers son ami. Il n'avait pas envie de voir de la pitié dans ses yeux.
"Mais ça va, hein? Je veux dire, on est pas maltraités là-bas. On a tous un lit et on mange pas trop mal."
Il ne savait pas au juste ce qu'il tentait de justifier. Il était juste mal à l'aise lorsqu'il parlait de sa 'maison'. Du fait qu'il ne connaissait pas ses propres parents. En fait, il se sentait un peu ridicule. Ne pas connaitre ses propres origines... Comment prétendre s'imposer où que ce soit? Il n'était pas si discret pour rien. Il était un élève sans histoire car il n'en avait pas. Cela le gênait, et il tâchait le plus souvent de l'oublier. Personne ne savait à l'école. Personne n'avait demander d'ailleurs.
"Techniquement c'est plus moi qui devrait te demander de m'adopter, osa-t-il avec un sourire."

La tempête du coeur est souvent plus violente que celle de la nature