Les scientifiques se devaient d'être un minimum habitués à la presse et surtout à la presse spécialisée qui ne manquait pas de s'intéresser (et de comprendre, surtout) aux découvertes qu'ils faisaient. Et parfois, quelqu'un recevait un prix pour son travail, ce qui suscitait un surplus de célébrité dans le milieu. Pour avoir découvert les trous noirs primordiaux puis les trous blancs dans son univers, Honey Lemon avait déjà eu affaire aux journalistes.
Bien sûr, elle comprit rapidement que Kara Walters n'avait rien d'une spécialiste en chimie ou en physique. D'ailleurs, elle avait eu l'occasion de lire le journal pour lequel elle travaillait - le Daily Mirror - et savait pertinemment que ce n'était pas une revue scientifique. Apparemment, Storybrooke n'en produisait pas, ce qu'elle trouvait dommage bien que Google lui ait largement permis de se faire une idée de l'état de l'art (scientifique !) dans ce monde qui avait au moins cela de commun avec le sien : le digital remplaçait de plus en plus souvent le papier.
Le Daily Mirror égrenait les nouvelles quotidiennes de la petite ville, des petites annonces aux phénomènes plus paranormaux qu'elle semblait subir continuellement. C'était un peu la vitrine des curieux et Honey ne s'étonnait pas d'attiser cette curiosité. Même sur sa Terre ce n'était pas banal de voyager en pièce jointe, il était cohérent que les gens cherchent à en savoir plus. Elle-même ne faisait pas grand chose pour le cacher, plus par fascination pour les progrès en matière de transport que la science permettait que par réelle envie de se vanter - bien que cela puisse être interprété comme tel, malheureusement.
La jeune femme blonde accueillit donc Kara avec bienveillance et l'entraina dans le salon de la maison que son père (qui paraissait plus jeune que la fille mais c'était sans doute une autre avancée technologico-magique dont elle n'avait pas encore saisi les subtilités) avait trouvé pour elle et Violette. Cette dernière était à l'étage et semblait trop renfermée à la scientifique pour qu'elle la convie à l'entretien. Mais elle ne pouvait pas garantir que Kara ne lui sauterait pas dessus (elle avait l'air aussi énergique que passionnée donc c'était possible, à défaut d'être probable) si d'aventure elle s'aventurait au rez-de-chaussée.
En attendant, Honey et Kara n'étaient que toutes les deux, assises l'une en face de l'autre.
- Selon toute vraisemblance, vous êtes ici pour parler de mon arrivée à Storybrooke et la faire connaitre à toute la ville. Je me trompe ?
Honey adressa un franc sourire à la journaliste et replaça ses lunettes correctement au bout de son nez.
- Oups, pardon. En fait c'est à vous de poser les questions. Désolée c'est ma première interview pour un journal grand public. Je vais essayer de parler en termes clairs que tout le monde comprendra. La vulgarisation scientifique, vous savez, c'est pas toujours évident. Mais allez y, je vous écoute.

Kara rit, ce qui fit plaisir à Honey. Les scientifiques de sa trempe n'étaient en principe pas connus pour leur sens de l'humour mais elle aimait à croire qu'elle en avait. Parfois, cependant, elle tombait à côté et ça pouvait devenir gênant. Mais comme elle n'avait pas pour ambition ultime de finir comique, Honey ne s'en formalisait pas réellement. Par contre, elle aimait se servir de ces moments pour détendre l'atmosphère ou apaiser les cœurs. Au vu des signaux qu'envoyait le corps de la jeune journaliste, cela avait l'air de fonctionner.
Puis elle adopta une mine plus sérieuse et Honey comprit que l'interview allait commencer. La jeune femme se tint bien droit et croisa les mains sur ses genoux, fin prête. Maintenant c'était l'heure d'être sérieuse, sauf si l'interview finissait par lui donner une impression contraire. Ce n'était peut-être qu'un journal qui l'interrogeait mais Honey aimait faire les choses selon les règles, que ces choses soient importantes ou pas. Plus généralement, la scientifique aimait la précision, ce qui était sans doute une déformation professionnelle de sa part.
- La première de ce monde à m'interviewer, corrigea-t-elle presque malgré elle. Je ne voudrais pas avoir l'air de me vanter et, à proprement parlé je ne pense pas qu'on puisse dire qu'un scientifique est une star - sauf peut-être dans le cas d'Albert Einstein et Galileo Galilei - mais... J'ai déjà eu l'occasion de parler avec vos confrères de chez moi. Sauf que c'était des journalistes spécialisés pour des revues scientifiques et qu'ils ne me regardaient pas de travers quand je commençais à parler de l'ère de Planck...
Honey sourit de toutes ses dents (encore une fois) puis s'aperçut qu'elle ne renvoyait pas forcément la meilleure image possible et qu'elle avait digressé. Encore.
- Pardon, j'ai recommencé. Ca m'arrive tout le temps, faites pas attention. Donc...
Le temps d'un raclement de gorge et la scientifique reprenait plus posément pour, enfin, répondre à la question posée :
- Nous avons passé environ cinq mois dans l'email. Je pense que vous n'êtes pas venue chercher une durée exacte même si, en fait, je pourrais vous la donner. J'ai pas spécialement compté... C'est jute que je le sais, en fait. Nous avions accès à tous les paramètres de l'ordinateur sur lequel nous étions stockées et nous avons pu voir tout ce que son propriétaire y faisait. Entre autres choses. Je dois vous avouer que j'étais bien trop occupée à essayer de comprendre un peu mieux le fonctionnement d'internet et du langage informatique pour espionner ses petits secrets. Mais j'aurais pu. En fin de compte, ce fut une expérience absolument fascinante. Pour la science, ça va permettre des progrès de géant et je dis ça sans être experte. Je suis chimiste et astrophysicienne, si vous avez envie de le noter. Mais j'ai étudié d'autres domaines aussi donc je sais que nous - la communauté scientifique - allons pouvoir faire d'énormes progrès grâce à tout cela et c'est sans compter sur la technologie qui nous a permis, dans mon monde, de mettre en place le procédé d'envoi par email. Avouez que c'est pas banal, hein ?
Le silence retomba. Honey espérait avoir su transmettre son enthousiasme scientifique quant à cette question. C'était ce qu'elle voulait voir ressortir de cet article avant tout pour peut-être donner le goût de la science aux plus jeunes. Ou a n'importe qui, d'ailleurs.
Dans un second temps, elle prit conscience qu'elle avait peut-être trop parlé ou parlé trop vite - ce qui lui arrivait tout le temps.
- Vous me le dites, hein, si je dois répéter quelque chose. J'ai tendance à m'emballer un peu quand on parle de science. Mais... c'est tellement fabuleux tout ça ! Vous ne trouvez pas ?

Ah ! une curieuse ! une ouverte d'esprit et au monde ! une avide de connaissances ! Il n'en fallait pas plus pour que le sourire de la scientifique ne s'élargisse encore - si tant est que ce soit possible. Avec son carnet, son stylo, son application et ses lunettes, Kara avait presque l'air d'une étudiante studieuse et consciencieuse. Pile le genre de spectacle auquel Honey aimait assister. Et que dire de son enthousiasme aussi spontané ?
Finalement, c'était peut-être une bonne chose de s'ouvrir à la presse générale. Les journalistes de la spécialisés étaient bien trop au courant des choses pour s'en émerveiller encore - ce qui était aussi le cas de nombreux scientifiques.
Malheureusement, Honey n'avait pas la réponse à la prochaine question. Elle ne pouvait qu'émettre des suppositions dessus - ce qui était plus que ce que pouvaient faire la plupart des gens - et pourtant son sourire se crispa un peu. Elle s'apercevait qu'elle avait été tellement heureuse de découvrir un autre monde et qu'il s'était passé tellement de choses qu'elle n'avait, en fait, pas eu le temps de s'intéresser à la procédure suivie par Géo Trouvetout.
Accessoirement, elle était un peu gênée de devoir apprendre à Miss Walters que son père n'avait pas fait grand chose. Mais comme elle voulait des faits, Honey n'avait d'autre choix que de les présenter de la façon la plus juste et précise possible.
- En fait, ce n'est pas votre père qui a déchiffré le code, reprit la jeune femme dans une grimace contrite. Désolée mais il a une compréhension vraiment basique de l'informatique. Par contre, son ami Géo est une personne absolument BRILLANTE ! C'est lui qui a compris le code qui était caché dans l'email. Ensuite, il n'avait qu'à suivre l'encodage pour le déverrouiller. Je ne connais pas précisément la méthodologie avec laquelle il a procédé mais je suis absolument certaine qu'il sera ra-vi de vous l'expliquer, ajouta la scientifique avec un immense sourire confiant.
Comme elle était incapable de déterminer si Kara était déçue d'apprendre que son père n'était pas si brillant que ça (enfin, qu'il était d'une brillance dans la norme), Honey se leva et annonça :
- Vous savez quoi ? Je vais vous faire du thé. Ca va vous faire du bien pour digérer tout ça même si, en fait, ce n'est pas l'appareil digestif qui s'occupe du traitement des informations mais c'est une image. Bref, vous allez voir, je le fais très bien.
Honey s'éclipsa rapidement à la cuisine où elle s'affaira avec sa précision de chimiste, allant jusqu'à utiliser un thermomètre pour contrôler que la température de l'eau était la plus optimale possible à la réaction chimique provoquée par le trempage du sachet d'Earl Grey. Puis elle revint avec deux tasses et les déposa sur la table basse.
Ce n'est qu'à ce moment que Honey réalisa qu'elle aurait pu demander si Kara aimait le thé. Ce n'était pas la première fois qu'elle oubliait ce passage. Inconsciemment, peut-être aimait-elle se vanter de son célèbre thé parfait.
- On peut continuer, annonça-t-elle, joviale, pour chasser cette pensée de son esprit trop enclin à l'optimisme pour rester sur cette mauvaise pensée.