Je savais que cette nuit allait être mortelle. Je l'avais deviné en me levant le matin même, quand mes orteils avaient salué le bas de l'armoire d'une façon peu amicale. En gros, je m'étais violemment cognée. Ca avait continué quand j'avais découvert des traces de mayonnaise sur mes Rangers noires. Il y avait un raton-laveur qui risquait de finir tondu avant la fin de la journée. J'appréciais Rocky, mais fallait pas pousser non plus. Quand je me levais de la nageoire gauche, mieux valait éviter de me chercher. Heureusement pour lui, il n'était pas dans les parages. Je ne le vis pas de la journée... qui alla de mal en pis, accessoirement.

Je savais que je n'aurais pas dû faire un pari stupide avec Lily, surtout que je l'avais perdu et qu'en conséquence, je devais porter le déguisement qu'elle m'avait choisi. Evidemment, elle avait opté pour un truc monstrueux : la robe de la Belle au bois dormant. Je la soupçonnais de vouloir me torturer. Je portais des robes, ça ne me posait pas problème, mais j'avais l'habitude qu'elles soient courtes car je n'aimais pas avoir trop de tissu sur les jambes. Là, j'étais servie.

En me voyant dans le miroir, j'avais poussé un soupir exaspéré. Après avoir nettoyé mes Rangers noires, j'avais finalement décidé de les mettre car on ne les verrait pas sous les mètres de tissu qui formait les jupes. Au moins, je serai à l'aise dans mes chaussures. Histoire de parfaire le costume -j'aimais bien Halloween, on le fêtait chaque année au manoir avec Aaron et Egéon- j'avais éclairci mes cheveux car la princesse Aurore était blonde. Au moins, Lily ne pourrait pas se plaindre que je n'avais pas fait d'effort.

Aux alentours de vingt heures, je m'étais rendue sur les lieux de la fête, le Rabbit Hole. C'était un endroit d'ordinaire malfamé et glauque. J'y avais bu un verre une fois mais ça ne m'avait pas donné envie d'y retourner. Ce soir-là, la décoration donnait une ambiance toute autre : le niveau malsain était toujours élevé -les danseuses enfermées dans des cages suspendues, par exemple- mais on avait inexplicablement envie de faire la fête.

Je tapotai du doigt contre une statuette à l'effigie de Hadès avant de grimacer et de les dépasser. Le but ultime était de croiser Lily le plus tard possible car je craignais qu'elle ne veuille prendre quantité de selfies. Je détestais les photos. Si j'étais là, c'était uniquement pour me détendre et décompresser. Je n'avais de compte à rendre à personne.

... et surtout pas au grand type à quelques mètres qui me déshabillait du regard. Sous prétexte que le gars avait un costume de prince charmant, il pensait que j'allais être sa damoiselle en détresse. Il s'était trompé de prise en partant à la pêche.

Maussade, je m'appuyai contre le comptoir et laissai échapper un grognement en sentant mon diadème glisser dans mes cheveux. Je le réajustai puis interpelai le serveur qui était déguisé en docteur Frankenstein ou en créature de Frankenstein. Je n'avais jamais compris qui était le monstre et qui était le type à peu près normal du lot.

"Donnez-moi ce que vous avez de plus fort."

"Un cocktail 'debout les morts' ?" fit-il avec un grand sourire édenté.

"Ca risque pas de m'achever, alors allez-y." soupirai-je.

Machinalement, je passai une main dans mes cheveux et le diadème chuta au sol. Un juron franchit mes lèvres avant que je me penche pour le ramasser. Ca servait vraiment à rien, ce truc. Du coup, je mis l'une des branches en bouche et commençai à le mâchonner en attendant que mon cocktail arrive.

Le prince charmant en profita pour se ramener. Il portait même des collants. Des collants ! Il se croyait sexy comme ça ? Il exécuta une courbette avant de m'attraper la main. Je me dérobai avant qu'il ne bave dessus.

"Ecoute Machin, tu perds ton temps, je suis plus sur le marché." fis-je d'un ton sec, accoudée contre le comptoir.

Je coulai un regard désabusé dans sa direction et il me répondit par un sourire aux dents si éclatantes que c'en était surnaturel. C'était limite si elles ne brillaient pas dans la pénombre.

"Oh dommage. Je pensais être celui capable de réveiller votre coeur, douce Aurore." roucoula-t-il.

Je fronçai les sourcils, la bouche entrouverte, et expirai un peu d'air avant de secouer la tête. Il allait insister quand l'arrivée de Rocky lui arracha un petit cri loin d'être viril.

"Ah, une souris géante !" fit-il avant de s'éloigner, sa main tremblante autour de son épée à sa taille.

Ok, il était vraiment bizarre. Je baissai les yeux vers le raton laveur qui avait trottiné vers moi.

"Oh mon pauvre vieux, t'es aussi ridicule que moi. Mais tu as davantage la classe que l'autre plouc."

Je faisais allusion au prince de pacotille. Rocky portait un costume de mousquetaire, mais il n'avait pas l'air d'apprécier le chapeau dotée d'une plume car il l'avait enlevé et le tenait entre ses pattes avant pour le grignoter comme un biscuit. Puis, il s'en désintéressa pour se focaliser sur ma robe. Il se saisit du bord de la jupe, sembla réfléchir et soudain, disparut en dessous.

"Eh ! Tu te crois dans un bar à sushis ?" m'écriai-je. "Sors de là !"

Je remontai mes jupes jusqu'aux cuisses pour récupérer le raton laveur et le secouer dans les airs d'un air réprobateur. Ce dernier avait les yeux rieurs. Je plissai les miens et en apercevant Emmet à quelques mètres, je compris le petit manège. Rocky avait fait en sorte que je dévoile mes jambes pile au moment où son acolyte arrivait. Pourtant, il les avait déjà vues, et plusieurs fois.

"Bande de pervers." grommelai-je avant de laisser tomber l'animal.

Je redescendis mes jupes et attrapai mon verre bleu électrique d'un geste nonchalant.

"La prochaine fois, quand tu veux voir un truc, suffit de demander." dis-je d'un ton éloquent sans regarder Emmet.

Je pris le temps de boire une gorgée du cocktail, reposai le verre puis pivotai vers l'homme pour passer mes mains autour de sa nuque et l'attirer vers moi. Au premier coup d'oeil, je remarquai qu'il n'avait pas tellement soigné son costume. Il était vêtu de noir et portait une cape. C'était censé représenter quoi ? Son sourire me dévoila deux canines aiguisées. Il en semblait très fier.

"Tu trouves pas que j'ai du mordant ?" fit-il, taquin.

En guise de réponse, je me mis sur la pointe des pieds et posai ma bouche contre la sienne. Je l'embrassai pendant quelques secondes, avant de lui mordiller très légèrement la lèvre inférieure.

"Pas autant que moi." murmurai-je en plongeant mon regard dans le sien, nos visages toujours très proches.

J'avais haussé un sourcil en l'entendant parler de son costume. Edward le vampire, ça venait de quel film ? Je n'étais pas très cinéphile, mais ça ne me disait vraiment rien. Je passais plus volontiers mon temps libre dans les profondeurs de l'océan que dans les salles obscures. Quant à la télévision, c'était surtout Rocky qui la regardait.

"Je sais pas comment se débrouillent les princesses pour être toujours en détresse." répliquai-je en haussant les épaules. "A croire que c'est un lot avec la couronne, la robe et le cerveau de poisson lune."

J'esquissai un petit sourire en remarquant qu'Emmet était fasciné par ma chevelure. L'air de rien, je passai ma main dans quelques mèches afin qu'elles ondulent dans les faisceaux lumineux qui balayaient la salle. J'aimais quand il m'observait de cette façon. Ca faisait du bien de se sentir belle dans les yeux de quelqu'un.

J'emboitai le pas à Emmet pour retourner à l'entrée, vers le buffet. Rocky trottinait tristement à côté de nous, la tête basse. Je ne savais pas quoi dire pour lui remonter le moral.

"Eh, il y a de la béarnaise !" fis-je en attrapant un petit récipient rempli d'une sauce jaune. "C'est presque comme la mayonnaise. Parole."

Je posai le pot au sol, devant le raton laveur qui joignit les pattes avant comme s'il effectuait une petite prière silencieuse.

Bientôt, la tête me tourna. Je m'appuyai contre la table du buffet froid et sentis mes jambes se dérober sous moi. Ce n'était pas comme quand mes nageoires apparaissaient contre ma volonté. Non, à cet instant précis, c'était mon corps tout entier qui ne me répondait plus.

Je voulus lutter mais je sombrai dans une brève inconscience.

L'esprit comme engourdi, je soulevai les paupières. Une musique épouvantable tapait contre mes délicates oreilles. Le sol était dur et froid. Je me redressai sur mon séant et enveloppai l'étrange salle d'un oeil étourdi. Anxieuse, je passai un revers de main contre mon front.

"Ciel, où suis-je ?"

La salle de bal des plus étranges était emplie d'autres personnes qui semblaient s'éveiller, elles aussi. Oh, le sort avait donc été rompu ! Maléfique avait été vaincue ! Dans ce cas, où donc se trouvait Philippe ? Pourquoi n'était-il pas auprès de moi ?

Désemparée, je tapotai mes lèvres, comme si je cherchais la trace fugace d'un baiser. Puis je me relevai gracieusement en faisant voleter mes jupes dans les airs. Non loin de moi se tenait un homme vêtu sobrement de noir. Sans doute un page. Je m'approchai de lui et lui adressai un sourire charmant.

"Auriez-vous vu un prince ? Le prince Philippe. Je pense qu'il m'a réveillée d'un baiser mais il a dû s'abstenter. Il faut absolument que je le retrouve pour que nous puissions danser la valse de notre amour sincère ! Oh, j'espère qu'il ne lui est rien arrivé d'affreux !"

Je joignis les mains contre mon coeur, une expression chavirée sur le visage. Puis, mon regard fut attiré par un éclat doré au niveau des pieds du page. Un raton laveur était assis sur son arrière train et mordillait une couronne.

"Mais... c'est à moi !" me rappelai-je.

Je me penchai vers lui afin de la récupérer mais le petit animal la serra jalousement contre son ventre rebondi et poilu. Il n'en fallut pas davantage pour que mon coeur fonde.

"Il est tellement mignon ! J'ai beaucoup d'amis comme lui dans la forêt !" appris-je au page d'un ton important tout en me redressant. "Un hibou, un écureuil, un rossignol, un moineau, un rouge-gorge... il y a même une hirondelle qui se joint à notre chorale improvisée de temps à autre, mais elle est fort occupée, c'est pour cela qu'elle ne vient pas tous les jours."

Après les avoir tous énumérés, les mains dans le dos, j'ajoutai à l'adresse du raton-laveur :

"Tu peux garder ma couronne puisqu'elle te plaît. J'en aurais sans doute une autre. Mes marraines les bonnes fées m'ont toujours dit qu'il est important de tout partager."

J'adressai un grand sourire adorable à l'animal qui cessa de mordiller le diadème. Il paraissait choqué de me voir si radieuse. Etais-je décoiffée ? Ma chute avait sans doute défait quelques unes de mes boucles blondes. Il me faudrait un miroir afin de vérifier tout cela dans peu de temps.

Il parlait bien, il avait une voix au timbre envoûtant et pour un page, il était plutôt séduisant. Je plaçai les mains contre mon coeur en l'entendant parler de sa dulcinée. Cette Bella avait beaucoup de chance d'être autant aimée. Cependant, je l'étais encore plus qu'elle car Philippe me chantait son amour en plus de me le montrer. Existait-il une plus belle preuve de dévotion ? Il avait bravé un dragon, des ronces, une sorcière Maléfique pour me délivrer d'une malédiction. A présent, j'ignorais où il se trouvait, mais il avait sans doute une raison excellente de ne pas être à mes côtés. Je ne doutais pas de lui.

J'allais préciser que je serais enchantée de l'aider à retrouver sa Bella, quand il attrapa le pauvre raton-laveur pour l'approcher de sa bouche grande ouverte. Ses canines semblaient aussi coupantes que des lames. Je réprimai un cri et portai les mains à mon visage, tétanisée. Mon visage avait perdu toute couleur. Je me sentais défaillir. Une grande faiblesse m'envahit et je chancelai, mais chose étonnante, je ne m'évanouis pas. Surprise, je baissai les yeux sur ma robe. Comment cela se faisait-il que je ne perde pas connaissance ? D'ordinaire, il m'en fallait moins pour que je défaille.

Cette fois-ci, je me sentais animée d'une fougue inconnue et terrifiante : je voulais protéger ce petit animal à tous prix. Mon instinct profond me paraissait très différent à d'habitude. Quoi qu'il en soit, je ne parvins pas à y résister plus longtemps. Je m'avançai d'un pas et... mon poing partit tout seul. Il heurta son visage à la symétrie intéressante. J'en profitai pour attraper le raton-laveur qu'il lâcha alors qu'il plaquait les mains contre son nez.

"Tu n'as qu'à boire ton propre sang, créature de l'enfer !" lançai-je d'un ton si acerbe que j'en frémis moi-même.

Tremblante de la tête aux pieds, je serrai le raton-laveur contre moi. Ce dernier me parut étrangement calme, comme si mon câlin avait suffi à l'apaiser. La main avec laquelle j'avais frappé l'homme ne m'élançait même pas. Peut-être n'avais-je pas cogné très fort ?

"Vous allez mieux ? Vous êtes calmé ?" demandai-je prudemment à Edward qui me tournait le dos.

Je poussai un cri aigu en entendant quelque chose vibrer à ses pieds. Il s'agissait d'un petit objet rectangulaire qui faisait de la lumière. J'avais l'impression de savoir de quoi il s'agissait même si cela était nébuleux dans mon esprit. Gardant le raton-laveur serré contre moi d'une seule main, je me penchai pour ramasser le-dit objet. J'appuyai sur l'écran machinalement et collai l'appareil contre mon oreille. Tous ces gestes me semblaient si naturels, comme issus d'une autre vie !

"Quel est ton film d'horreur préféré ?" demanda une voix à l'intérieur de l'objet.

Il s'agissait d'une femme qui tentait d'emprunter un timbre plus grave, presque menaçant.

"Je vous demande pardon ?" fis-je, perplexe.

Il y eut un petit silence à l'autre bout du fil, puis la femme insista :

"Ton film d'horrrrrreurrrr prrrréférrré ?"

"Ca dépend lesquels..." répondis-je, prise au dépourvu.

Il y eut un rire et la femme lança, amusée :

"C'est qui ? C'est bien le téléphone d'Emmet ? Je suis plus sûre du coup ! Pourtant il m'aurait prévenu je pense, s'il avait changé de numéro !"

"Qui... êtes-vous ?" demandai-je, hésitante.

Qui était cet Emmet dont elle parlait ? S'était-il égaré à l'intérieur du petit appareil, comme la pauvre dame avec qui je dialoguais ?

"C'est Capucine !" dit-elle d'un ton évident. "Tu peux me passer Emmet ? Je suis sûre qu'il est à côté de toi ! Attention, si tu raccroches, la mort frappera !"

Cette menace m'arracha un cri et je tendis l'objet à Edward d'une main tremblante.

"Parlez-lui !" chuchotai-je, les yeux écarquillés d'angoisse. "Parlez à la voix ! Elle... elle a dit que si je raccrochais, la mort frapperait ! Je pense qu'elle travaille pour Maléfique ! Faites-lui croire que vous êtes cet Emmet avec qui elle veut discuter ! Dites-lui la vérité qu'elle veut entendre !"

Je caressai nerveusement le raton-laveur lové dans mon cou, sans cesser de fixer Edward. Oh, quelle terrible nuit ! Pourquoi Philippe ne venait-il pas ? Etait-il en proie à un autre dragon ? Maléfique avait-elle gagné, cette fois ? Toutes ces incertitudes me plongèrent dans un effroi sans précédent. Bientôt, mes lèvres tremblèrent et de grosses larmes roulèrent sur mes joues. Curieux, le raton-laveur approcha son museau de mon visage et cueillit une larme du bout de sa langue.

C'était un véritable cauchemar ! A travers un rideau de larmes, je vis une foule d'araignées se précipiter vers nous, leurs nombreuses pattes provoquant un bruit abominable sur le sol. J'en oubliai de pleurer, trop choquée par cette vision.

Edward se cacha derrière moi et commença à me faire reculer en m'agrippant par les épaules. Tétanisée, je ne trouvai rien d'autre à faire à part pousser un hurlement strident. Pourquoi ne tombais-pas dans les pommes ? C'était pourtant beaucoup trop d'émotions en si peu de temps pour une princesse telle que moi. A croire que j'avais une meilleure constitution que je ne l'aurais cru. A mon premier cri, les araignées se stoppèrent d'un même élan. Elles semblèrent hésiter, puis elles reprirent leur marche effrénée. Je poussai donc un second hurlement, encore plus aigu que le premier -chanter dans la forêt avait fortement musclé mes cordes vocales- et inexplicablement, elles firent demi tour pour courir en sens inverse et disparaître sous un meuble.

Le souffle court, je restais pétrifiée quelques instants, avant de remuer des épaules pour forcer l'ignoble vampire à me lâcher.

"Vous êtes une personne abjecte ! Vous m'avez exposée au danger !" m'écriai-je, révoltée. "Vous méritez une fin sinistre à la hauteur de votre lâcheté !"

J'époussetai ma robe et mon corsage tout en affichant une expression réprobatrice. Je me sentais souillée par le fait qu'il ait osé me toucher. Quelle terrible nuit ! Devoir passer du temps avec ce pâle reflet d'être humain ! Le temps était venu de prendre congé.

"Je vous laisse et je ne vous salue pas !" dis-je, la tête haute. "Trouvez-vous un autre bouclier pour affronter de potentiels ennemis !"

L'idée d'être seule dans cet endroit inconnu me terrifiait, mais moins que le fait d'être accompagnée par ce monstre ! Je serrai le raton-laveur contre moi et m'éloignai, la tête haute et la démarche impérieuse. En chemin, je croisai un animal de méchante humeur qui grogna dans ma direction. Il avait le poil hirsute et ses yeux rouges luisaient dans la pénombre. Il ressemblait à un loup qui se serait levé de la très mauvaise patte.

"Non, non ! Tu ne toucheras pas à mon raton-laveur !" dis-je en agitant un doigt désaprobateur vers lui. "En revanche, tu peux aller taquiner le monsieur qui est là-bas !"

Après tout, Edward avait parlé de loups. Entre monstres, ils s'entendraient sans doute très bien. Il pouvait me remercier, je lui envoyais un ami ! Le loup suivit mon doigt et poussa un son guttural avant de se diriger à pattes de velours vers le vampire. Parfait.

Tout en continuant mon chemin, je serrais toujours le raton-laveur contre moi. Ce dernier s'agitait, comme s'il souhaitait retrouver Edward.

"Reste sage. Il voulait te croquer. Tu es bien mieux avec moi." dis-je en le compressant un peu trop contre mon corsage, si bien qu'il laissa échapper un couinement étranglé.

Je possédais vraiment une force peu commune. C'était déstabilisant.

Soudain, je me stoppai net en apercevant la silhouette caractéristique de...

"Maléfique !" chuchotai-je, interdite.

La sorcière cornée tourna la tête vers moi et nos regards se croisèrent un court instant. Je déglutis avec peine et sans attendre, courus retrouver Edward, soulevant mes jupes afin d'aller plus vite.

"C'est terrible ! C'est affreux !" m'exclamai-je, essoufflée. "Maléfique m'a retrouvée ! Je dois me cacher ! Cessez de faire l'intéressant et écoutez-moi !"

Agacée, je constatai qu'Edward ne m'écoutait pas, trop occupé à se battre avec le gros loup. Ce dernier l'avait plaqué au sol et le vampire lui donnait de violents coups de poing. Il parvint à se redresser quelques secondes, ce qui me permit de voir ses muscles saillants à travers sa chemise déchirée. Il était presque torse nu. Sa cape n'était plus qu'un lambeau de tissu. Très choquée par cette vision, je me contentai de le fixer avec des yeux ronds, tout en caressant le raton-laveur d'une main molle. Une part de moi trouvait cela incroyablement intéressant. Pourtant, ce n'était pas convenable ! Je ne parvenais pas à détacher mon regard de lui. J'en avais même oublié l'affreuse sorcière.

Tout allait de mal en pis ! Maléfique était partie aux toilettes mais je me doutais qu'elle s'acharnerait sur moi dès qu'elle aurait fini de soulager sa vessie ! En tous les cas, son accent latino me rappelait quelqu'un d'autre sans que je me souvienne de qui il s'agissait, ce qui était encore plus déroutant que tout le reste.

Mon coeur manqua un véritable battement en apercevant Philippe aux prises avec des brigants qui lui lançaient des couteaux.

"Oh non, ils vont le blesser et il sera affreux ensuite !" m'épouvantai-je en plaquant les mains de chaque côté de mon visage.

Nous ne pourrions pas nous marier si mon prince était défiguré ! Comment pourrais-je prétendre l'avoir vu au beau milieu d'un rêve, dans ce cas ?

Sans plus attendre, j'attrapai mes jupes et me précipitai vers le groupe d'hommes qui jouaient au couteau en beuglant des obscénités. Je tapotai l'épaule du premier et à peine avait-il tourné la tête dans ma direction que je lui envoyai un direct du droit dans les mâchoires. Il tomba à la renverse et resta inerte. On pouvait presque entendre les petits oiseaux au-dessus de sa tête. Les trois autres me dévisagèrent, bouche bée. Je leur décochai un regard menaçant et il n'en fallut pas davantage pour les faire déguerpir, après m'avoir confié tous leurs couteaux. Voilà une belle collection ! Satisfaite, je les posai au sol et caressai le raton-laveur qui s'était hissé sur mon épaule durant le bref affrontement.

"Philippe ! Ô, Philippe !" m'écriai-je en battant des cils et me précipitant vers mon prince accroché.

Je le saisis par un bras et tirai pour le faire descendre de la cible géante contre laquelle il était fixé. On entendit le bruit d'un tissu qui se déchire et bientôt, mon prince fut délivré. Il manqua de me tomber dessus mais se rétablit de justesse. Je lui adressai un grand sourire auquel, profonde angoisse, il ne répondit pas.

"Qu'avez-vous fait ?" s'exclama-t-il en montrant son pourpoint déchiré. "Mon vêtement tout neuf est fichu ! Maman va me gronder ! Elle m'avait fait promettre de rester tout propre et bien habillé !"

"Certes, c'est terrible mais... le plus important est que nous soyons ensemble, non ?" avançai-je en voulant poser une main contre son torse.

Il m'en empêcha, me foudroyant du regard.

"Comment pourrais-je épouser une femme qui se moque de ma garde-robe ? Je trouverai une autre princesse. Une qui soit délicate !"

Il leva le menton très haut et s'éloigna en faisant voleter sa cape derrière lui. Curieusement, je me sentais plus en colère que peinée. J'eus même la terrible pensée de vouloir qu'il se fasse manger par un dragon. Si Maléfique revenait, je lui indiquerais la direction par laquelle Philippe était parti. Quel ingrat ! Je venais tout de même de lui sauver la vie !

"Je n'ai pas eu ma fin heureuse." soupirai-je.

Mon regard tomba brusquement sur Edward. Le bel Edward aux vêtements déchirés et qui ne s'en plaignait pas. Certes, il était un vampire, un monstre, mais je venais de m'apercevoir qu'il en était ainsi de tous les hommes. Lui, au moins, ne cachait pas véritable nature.

Mon coeur battit plus fort à mesure que je m'élançais vers lui au ralenti, mes cheveux et mes jupes voletant dans mon sillage. Une fois parvenue à sa hauteur, je me grandis légèrement pour poser mes lèvres contre les siennes en un baiser passionné.

A cet instant, je sentis comme une brume s'éloigner de mon esprit. La lumière se fit de nouveau sur ma véritable personnalité. Mes yeux s'agitèrent derrière mes paupières closes mais je n'interrompis pas le baiser pour autant. Je décidai même de l'intensifier : ainsi, peut-être qu'Emmet oublierait à quel point j'avais été ridicule ? Oh nom d'une méduse, ça avait été réel. Pour le moment, je savourai l'étreinte d'un vampire au sang chaud. C'était plutôt pas mal. J'aurai tout le temps de me draper ensuite dans ce qui me restait de dignité.