Quand on ne sait pas nager, on sait couler

S'il y avait bien un trait de caractère qui définissait Aloysius, c'était la discipline athlétique qu'il s'acharnait à se donner. Bien moins bien lotis dans le monde des contes que dans celui-ci, il était parvenue avec le temps à se sculpter un corps d'athlète qui lui convenait parfaitement. S'il y avait un autre trait de caractère qui le définissait, c'était bien sa façon rigoureuse d'opérer ses journées, preque de façon aussi mathématique que chirurgicale. On était mercredi et le mercredi, c'était le jour de la piscine. Alors comme tous les mercredi, il avait fermé son cabinet un peu plus tôt, était remonté jusque chez lui pour récupérer ses affaires de sport et s'était dirigé vers le complexe aquatique, avait pouffé d'un rire méprisant en passant devant ce cactus qui ne se décidait pas à sortir de terre et avait entâmé ses aller-retours de façon aussi méthodiques qu'acharnées.

Aloysius n'avait pas peur de la routine, bien au contraire. Son esprit avait besoin de repère, de choses concrètes pour avancer et avoir cette douce impression que le monde tournait normalement. Il avait entendu de façon répété à la télévision, à la radio, il l'avait lu dans des journaux et des romans, les routines accroissaient considérablement l'occasion de devenir une victime mais le docteur Black s'en contre-fichait. Il ne serait jamais la victime, puisqu'il était le chasseur. Il ne pouvait être victime que du destin et pour cela malheureusement, il n'y pouvait pas grand chose.

Le destin, c'était sans doute cela qui l'avait poussé à stopper ses longueurs quelques minutes avant son temps réglementaire. Ce qui l'avait poussé à s'asseoir sur le rebord de la piscine pour souffler un peu et à lever les yeux vers le grand plongeoir pour y voir distinctement un homme chasser un petit garçon tout en se pavanant sur le plongeoir. Le lion avait alors haussé un sourcil, aussi surpris qu'intéressé par le spectacle qui se déroulait devant ses yeux. Ce maudit dieu qui remplissait son rôle de maire presque aussi bien que Mufasa son rôle de roi semblait s'être mis, lui aussi à la natation... mais à en juger à son observation des fonds et sa préparation à sauter, il venait juste de s'y mettre en réalité. Avec délectation, il le vit alors s'élancer dans une parallèle parfaite à la surface de l'eau. Un vrai don pour le plat, jamais il n'avait vu quelqu'un parvenir à une telle rigidité et une telle droiture dans le physique tout entier.

- Mais il est complètement con...

Sa réflexion n'avait pas été plus élevée qu'un murmure, juste pour lui-même, tandis qu'il suivait des yeux la chute inévitable du dieu en priant pour que celui-ci parvienne à ressentir la douleur malgré son origine supérieure à celle des humains. Et il sembla alors que la prière d'Aloysius Black fut entendue... Hadès éclata son corps contre la surface de l'eau, sans aucun doute aussi dure que du verre dans cette position, avec un bruit tellement significatif qu'Aloysius en pouffa d'un petit rire aussi mauvais que réjouit, se passant le bout de la langue sur ses lèvres avant de contrôler le rictus qui s'attarder sur son visage.

Ne le voyant pas remonter à la surface, le lion se releva avec calme et fit le tour de la piscine, se demandant si cet homme qu'il n'avait jusqu'alors vu que deux fois, ne s'était tout bonnement pas téléporter. Il se revoyait encore le jour de leur rencontre, tenter de calmer le feu qui l'animait face à l'Atlante qui demandait la fermeture de son bar alors qu'il était encore maire. Il revoyait son sourire ravi tandis qu'il était venu récupérer chez lui tous les objets de valeurs qu'il avait entassé dans sa cave après que le dieu soit devenu adjoint.

- Monsieur !! Je crois qu'il a coulé !

Aloysius releva la tête vers le petit garçon qui était à quatre pattes sur le plongeoir, observant l'eau et sans doute la masse informe d'Hadès au fond de la piscine. Etait-ce donc son jour de chance ? Allait-il réellement sauver un DIEU de la noyade ? Comme le destin le favorisait... Sans attendre plus que de mesure, il plongea dans l'eau dans une exécution parfaite, bien loin de celle misérable du dieu des enfers, et atteignit rapidement le fond du bassin. Tout en passant le bras d'Hadès autour de son coup, il donna une impulsion avec ses jambes pour remonter à la surface et alla placer le corps du débutant sur le rebord carrelé avant de sortir de l'eau sous quelques félicitations :

- Vous êtes drôlement fort m'sieur Black !
- Merci de votre intervention.
- Vous croyez qu'il est mort ?
- Du calme, du calme, mes amis, laissez-lui de l'air. Il ne peut pas mourir, c'est un dieu... et notre maire.

Il avait préféré bien préciser les choses afin qu'il soit bien inscrit dans la Gazette du lendemain qu'il avait non seulement sauvé un divin mais celui-ci qui serait bientôt son prédécesseur. S'agenouillant à côté du corps, il entreprit de faire un rapide massage thoracique afin de faire remonter le trop d'eau et il lui plaça la tête habillement pour qu'il régurgite. Avec un sourire en coin, il lui lança alors qu'il reprenait connaissance en toussant :

- J'ignorais qu'un dieu pouvait prendre la tasse, monsieur le Maire.

(Au cas où on ne l'avait pas bien entendu la première fois).

- Vous allez bien ?

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Quand on ne sait pas nager, on sait couler

Aloysius n'était guère spécialiste des dieux mais il avait l'impression d'avoir peut-être trouvé le plus fous d'entre tous. C'était inattendu... et tout à fait jouissif à découvrir. Un cas encore jamais identifié, une folie psychiatrique chez un divin devait forcément être une autre paire de manche à analyser... en plus de lui accorder une gloire éternelle ou tout du moins un impact puissant dont il avait présentement besoin pour revenir sur le devant de la scène, il lui offrait également un cas clinique de toute beauté. Aloysius était intérieurement en train de se demander si l'individu lui laisserait ouvrir son crâne afin de trifouiller dedans, ne serait-ce qu'une poignée de minutes. Après tout, cela ne devrait pas lui poser de problème, il était un dieu, il ne pouvait pas mourir d'une si petite opération... ni d'une noyade d'ailleurs.

Un peu surpris, le psychiatre laissa le "Maire" prendre sa main dans la sienne, résistant à l’irrépressible envie de lui enfoncer deux doigts au fond de sa gorge blanche et mal rasée, se concentrant plutôt sur ce discours maladroit qui chantait à ses oreilles comme une ode à sa gloire. Il fallait bien sûr passer outre le tutoiement et le fait qu'il ne semblait vraisemblablement pas savoir qui il était, un coup direct en plein de son égo, mais en serrant les dents et en gardant le silence, il observa que le meilleur était à venir. Voilà qu'il le divinisait presque, comment pouvait-on être un abruti fini et savoir apprécié la Beauté et la Force à sa juste valeur ? Une incoherence qui devait sans doute être également ancrée dans ce cerveau malade qui lui tardait d'analyser.

Il eût un court moment de réticence tandis qu'il voyait sa main délicate s'approcher de force du torse poilu du dieu de la mort. Généralement, les seuls torses d'hommes qu'il manipulait était ceux qu'il tuait ou qu'il réanimait pour mieux les tuer par la suite. Il y avait aussi tous ces cadavres qui lui servaient de boucherie fine, meilleure viande, au meilleur prix, dans toute la ville. Mais encore une fois, il avait l'impression que ce sacrifice n'était pas vain, voire même nécssaire au cadeau de la vie qui arriva juste après. Une statut à sa gloire. Un sourire apparu à la commissure de ses lèvres tandis qu'il en rougissait presque d'un plaisir orgeuilleux et indécent. Jamais jusqu'alors il n'avait été fait de telle promesse. Il marquait définitivement l'histoire de cette fichue ville, maire ou non, en recevant ce qu'il n'avait jamais pu faire pour lui même. L'idée d'avoir une statue à son effigie lui avait bien des fois effleurer l'esprit, mais il n'avait pu que ce contrôer face à ce rêve démagogique et peu démocratique. April aurait sans doute été la première à hurler au scandale et cette petite idiote l'aurait fait tombé de son piédestal, bien avant qu'il n'en décide lui-même. Alors il n'avait pas pu mais imaginer à présent que ce trésor lui venait d'un successeur, cela était encore plus fou que dans ses rêves, surtout lorsqu'on savait que ce-dit maire n'était rien d'autre qu'un dieu. Pas le plus sain, certes, mais apparamment son nouveau meilleur ami s'il avait su lire entre les lignes et il comptait bien tirer avantage de ce succès jusqu'à ce que la corde ne se brise.

- Merci, Monsieur le Maire, j'en suis fortement touché. Je ne suis qu'un honnête citoyen qui s'est contenté de faire son devoir.

Il essayait de faire le modeste mais il avait bien trop peur que le dieu change d'avis pour faire quoi que ce soit.

- En revanche, si vous désirez que nous discutions de tous ces moments heureux de votre vies qui semblent aussi dangereux que grandiloquent, je serai fortement ravie de vous accueillir à mon cabinet qui se situe d'ailleurs non loin de notre nouvelle mairie au Rabbit Hole. Dans la rue principale, en face de la boulangerie.

Il lui donna une petite frappe amicale dans le dos, histoire d'aider l'information à monter jusqu'au cerveau.

- Si vous voulez bien m'excuser à présent, je dois retourner à mon travail. C'était un honneur de vous rencontrer et de vous sauver la vie.

Il inclina la tête en signe de salut avec un léger sourire et sorti de la piscine sans un mot de plus. Pour que ce genre de chose prenne de l'importance, il fallait surtout manier l'art de ne pas en faire trop, au risque de tout rater. Il viendrait bien assez vite, ce temps où il remettrait la main sur ce dieu, où il pourrait étudier son cerveau farfelue et voir à quel point il aurait peut-être l'occasion de le mettre de son côté. En attendant, il se contenterait de savoir chaque jour la vision de sa statue, d'ailleurs déjà en place, non loin de la mairie, en mémoire de ce grand homme qu'il était et qu'il continuerait à être. La vie était parfois fite de heureux hasard et de petits bonheurs.

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