« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
La pluie. Apparemment c'était normal en avril, surtout quand c'était combiné à une météo instable, deux choses qu'Anastasia détestaient plus que tout. Quand elle était partie, il faisait beau, les oiseaux chantaient et on se croyait au printemps, ce qui était effectivement le cas. Mais quand elle était ressortie de la prison de Dimitri, il pleuvait des hallebardes, un véritable scénario d'apocalypse. Hors de question de marcher jusqu'aux abords de la forêt où se situait la maison de Dimitri par ce temps avec Abigaëlle. C'était un coup à attraper la mort, sans aucun doute. Plus pour le bébé que pour elle, d'ailleurs. La rouquine se résolut donc à prendre le bus même si elle n'avait aucune idée de l'heure à laquelle il allait passer. Au moins allait-il passer, en dépit de la petitesse de leur bourgade perdue dans le Maine. C'était un luxe suffisant, sans aucun doute, pour que la jeune femme ait le droit de se plaindre. Aussi s'assit-elle sans faire de commentaire à l'arrêt de bus, son bébé sur les genoux. Abigaëlle s'amusait avec le hochet que Stella lui avait offert quelques temps plus tôt et ne semblait pas gênée par le temps épouvantable. Tant mieux. Une vieille dame ne tarda pas à s'asseoir à ses côtés, le sourire aux lèvres. - Vous avez vraiment une jolie petite fille, commenta t-elle. Ah ça pour être jolie... Abigaëlle était probablement le bébé le plus roux et le plus adorable de la ville si ce n'est de l'état. Voire du pays. Ou du monde. De la galaxie, peut-être ? Une chose était sûre, sa maman en était très fière. Apparemment, c'était un truc de maman relativement normal. Mais Anastasia, qui n'aimait pas trop se faire remarquer, se contenta d'un sourire aimable avant de révéler le prénom de son bébé, ce qui entraîna un petit échange de civilités bien distrayant quand on attend le bus. Après un quart d'heure, ce dernier pointa finalement le bout de son pare-choc et les deux femmes purent y prendre place. La vieille dame, apparemment une habituée, s'assit non loin du chauffeur et engagea la conversation. Elle était décidément très sociable, celle là. Pour sa part plus effacée, Anya s'installa au milieu du bus qui démarra aussitôt. Abigaëlle semblait ravie de tester ce nouveau moyen de locomotion. Mais au feu rouge suivant, le bus pilla, effrayant la petite merveille qui commença à pleurer. Plusieurs regards courroucés se tournèrent vers sa mère, comme si elle avait fait quelque chose de particulièrement grossier. Bah voyons, songea cette dernière au moins aussi agacée qu'eux. Comme si c'était ma faute si le chauffeur ne sait pas conduire ! Un peu plus et elle leur tirait la langue. Heureusement, le chagrin de sa fille lui importait plus que le reste et la jeune maman se contenta de la faire sautiller sur ses genoux en sifflant une mélodie que toutes deux aimaient bien, celle du Lac des Cygnes, le ballet préféré d'Anya. Elle le faisait souvent écouter à Abigaëlle pour la calmer - mais aussi l'initier dès son plus jeune âge à la beauté de l'art - et le sifflait volontiers quand la merveille avait un gros chagrin. Ou une grosse frayeur, en l'occurrence. La mélodie, heureusement, la calmait rapidement. C'était sa berceuse, tout comme Loin du froid de décembre avait été celle de sa mère, à une autre époque. Toute à son sifflotement, Anya ne fit pas attention au bus qui redémarrait, tout comme elle ne prêta pas attention à la jeune femme qui s'asseyait à ses côtés, son attention entière accaparée par sa petite fille.
Je ne savais pas vraiment ce que je faisais dehors. Il pleuvait, et un vent glacé se levait parfois, faisant s’ébouriffer mes cheveux à chaque fois que le bus ouvrait ses portes mécaniques pour laisser monter un nouveau passager. D'un main gantée, je m'accrochais à la barre métallique fixée au sol et au plafond dans le couloir du véhicule, comme si c'était une bouée de sauvetage. Les freinages étaient brusques, et j'avais été sur le point de tomber plusieurs fois. J'avais peur de m'écraser contre quelqu'un, même si la plupart des personnes qui avaient osés affronter le temps incertain étaient assises. Me laissant debout, alors que ma jambe blessée commençait à me lancer. Peut être qu'il aurait fallu que je demande à quelqu'un de me laisser la place, comme le faisait les vieilles femmes... Mais je n'osais pas. Je préférais garder un visage impassible malgré la douleur et fixer un chewing-gum grisâtre collé au sol en écoutant le « Sonate au Clair de Lune » de Beethoven. La mélodie s'échappait doucement des écouteurs reliés à l'Ipod caché au fond de la poche profonde de mon trench-coat beige. C'était un ancien modèle. L'écran était abîmé et il lui arrivait de s'étendre tout seul. Mais ça n'empêchait pas que j'avais peur que l'on me le vole. J'avais vu aux informations, le soir pendant le dîner, que les pickpockets sévissaient souvent dans les lieux publics et les transports en commun. Je ne voulais pas que mon Ipod finisse par servir à s'acheter un sachet de drogue.
- Excusez-moi.
Le sourire de l'homme était poli, alors qu'il me tenait par le bras. Mais je ne pouvais pas m'empêcher d'écarquiller les yeux d'horreur à la vue de sa main posée sur moi. Le tissus épais de mon manteau me protégeait, mais j'avais l'impression de sentir ses doigts pressés contre ma peau. Il m'avait rattrapé alors que le bus s'était une nouvelle fois arrêté et que l'homme m'était rentré dedans, manquant de m'éjecter par terre. C'était gentil de sa part. Mais je ne pouvais pas m'empêcher de déglutir de dégoût juste parce qu'il avait « osé » me toucher. Que ce qui était le pire finalement, entre m'étaler sur le sol plastifié sali par les traces de pas boueux et un contact innocent ? Je n'arrivais même pas à choisir.
Je ne lui avais pas répondu, et tout en remettant l’embout de mon écouteur dans mon oreille droite, je m'étais faufilée jusqu'à une place assise disponible. Même si l'idée de m'asseoir sur un siège qui avait accueillit n'importe qui et n'importe quoi me rendait malade, ma jambe n'en pouvait plus. Je n'avais bêtement pas pris ma cane, que j'avais laissé dans le hall d'entrée de la maison. Idiote. J'avais voulu sortir sans qu'on me jette des regards dégoulinants de pitié, ou pire, de curiosité. Je n'aurai pas du tout sortir du tout.
Mains posés sur mes genoux, je me tenais droite. La personne assis sur le siège juste devant moi avait posé son front contre la vitre éclaboussée par les gouttes pluie sur la surface à l'extérieur, un casque imposant et blanc lui entourant la tête, comme un serre-tête. Est-ce que c'était censé être beau ? Probablement que c'était très lourd. Je n'en avais jamais essayé. Ma mère n'était pas particulièrement adepte des nouvelles technologies. J'avais dû me battre pour avoir le droit d'obtenir un ordinateur à la maison. Même si l'accès était toujours très limité.
La musique de Beethoven finit par s'arrêter. Tout à coup, c'était comme si la bulle qui me tenait éloigné du reste du monde venait de se briser. J'entendis très nettement le martellement de la pluie contre le véhicule, les conversations bruyantes des gens, les reniflements enrhumés de la personne assise derrière moi et la chanson qui s'échappait du casque de celui devant moi. C'était un rap agressif, qui devait faire saigner ses tympans tant le son avait l'air fort. Et puis juste à côté de moi, il y avait un sifflement. Une mélodie. Un souvenir.
- Le lac des Cygnes Suite Op.20a, de Piotr Ilitch Tchaïkovski.
J'avais retiré mes écouteurs, et je fixais d'un air sérieux la jeune femme rousse qui tenait son bébé. Les mots étaient sortis tout seuls, mécaniquement. J'avais entendu ce morceau tellement de fois... J'avais dansé dessus jusqu'à ne plus rien ressentir à part la puissance des instruments, jusqu'à devenir à mon tour le cygne maudit. J'avais vécu à travers cette musique.
- Pardon.
En me rendant compte de ce que je venais de faire, j'avais baissé les yeux en sentant le rouge me monter aux joues, et j'avais détourné la tête pour reporter mon attention sur autre chose. Tout plutôt que d'affronter les froncements de sourcils et les regards surpris. J'avais l'impression d'entendre l'accent russe prononcé de ma grand mère dans ma tête, ses yeux bleus glacés me faisant me recroqueviller sur moi-même. « Quand est-ce que tu comprendras qu'il n'y a aucun intérêt à parler si ce n'est pour rien dire ? Apprends donc un jour à tourner sept fois ta langue dans ta bouche avant de te ridiculiser. ».
- Je ne parlerai plus pour rien dire, je te le promets...
J'avais murmuré pour répondre à la voix, les yeux baissés sur mes doigts gantés qui trituraient le fil noir de mes écouteurs. Personne ne semblait m'avoir entendu. Comme personne ne pouvait avoir entendu ce que mon imaginaire m'avait dit. C'était comme si ma grand-mère avait réellement été là, assise à côté de moi, à la place de la femme qui connaissait ma chanson. Ma perception de la réalité recommençait à être floue. Il fallait que je rentre prendre mes médicaments avant de me mettre à voir des choses étranges. Plus étrange que cet homme aux cheveux verts fluo qui traversait la route, je veux dire.
Anastasia Romanov
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- Le lac des Cygnes Suite Op.20a, de Piotr Ilitch Tchaïkovski, lâcha une voix de femme semblant sortir de nulle part. Anastasia sursauta, s'arrêtant tout net, aux aguets. Par chance, Abigaëlle s'était calmée et commençait à somnoler, probablement bercée par la mélodie et le cahotement enfin régulier du bus. Un peu décontenancée, Anya tourna la tête sur sa droite, réalisant qu'une femme qui devait avoir son âge s'était installée à côté d'elle. Ouf. Elle avait l'air normal et gentille, en plus d'être cultivée vu la quantité d'informations qu'elle venait de débiter, presque mécaniquement. Une fan, sans doute, ou une spécialiste. Les deux convenaient bien à Anastasia, bien contente que sa voisine ait reconnu son sifflement plutôt que les beuglements de rap qui s'échappaient du casque du jeune homme un siège en avant. Radoucie, la rouquine sourit à sa voisine avant de noter son air passablement perturbée. On aurait presque dit une écolière prise en faute. Mais pas en faute de goût, ça c'était certain ! Dans l'esprit d'Anastasia, connaître la musique classique en général et Piotr Ilitch Tchaïkovski en particulier était un gage de qualité. La jeune femme avait l'impression d'avoir rencontré une personne intéressante. Potentiellement étrange, car elle avait commencé à agir d'une bien drôle de façon pour une femme qui venait simplement d'entamer la conversation, mais intéressante. Et maintenant qu'Abigaëlle était apaisée, rien n'empêchait sa mère de parler au lieu de siffler. - J'ai affaire à une connaisseuse, à ce que je vois, commenta t-elle, tous sourires. C'est bon de voir qu'une partie de la population a encore du goût. Le Lac des Cygnes, c'est vraiment un très beau ballet, très poignant. Vous allez trouver ça dingue mais il me rappelle une personne que j'ai connue quand je donnais à manger aux cygnes étant adolescente. Y avait un lac pas loin de mon orphelinat. Il gelait en hiver, ça je m'en rappelle très bien. Et y avait vraiment beaucoup de cygnes. Ce sont des créatures très gracieuses, un peu comme les danseuses... Enfin, excusez moi, vous ne vouliez peut-être pas que je vous raconte toute ma vie, conclut Anya en désignant les écouteurs de sa voisine d'un signe de la tête. Anya lui adressa un sourire désolé puis se cala un peu plus dans son siège - somme toute peu confortable - et commença à bercer Abigaëlle, totalement endormie à présent.
J'étais surprise. Je ne m'étais pas attendue à ce que la jeune femme me réponde. J'avais commencé à remettre mes écouteurs, prête à lancer un nouveau morceau de classique, et à fermer les yeux pour avoir l'impression d'être sur une piste de danse plutôt qu'assise dans un bus sentant le chien mouillé. Mais elle me parlait. Elle ne savait rien de moi, elle ne me connaissait pas, mais elle me parlait. Je croyais que les gens étaient hautains, renfermés, violents. J'avais cette image du monde extérieur qui ressemblait à un champ de bataille. Je pensais aux voleurs, aux violeurs, aux tueurs. Pas à une mère qui discutait comme si c'était de rien n'était.
- Je... Ce ballet est mon préféré.
Je lui avais adressé un sourire un peu timide, tout entortillant les fils de mes écouteurs sans me soucier des nœuds. J'avais besoin de m'occuper les mains. Mon regard faisait des allers-retours entre le dossier du fauteuil devant moi et le visage de la jeune femme, n'osant pas la fixer trop longtemps. Personne ne doit aimer être dévisagé trop longtemps. Moi non, en tout cas. Je rougissais si l'on me regardait, parce que je ne supportais pas de savoir ce qu'il se passait dans les esprits des gens alors qu'ils détaillaient mon physique et mes agissements. J'avais entendu dire que les yeux reflètent notre âme. Mais j'étais incapable de déchiffrer ce qu'il se disait dans les regards.
- Il est magnifique. Il est romantique. Il est violent. Il est tragique. À travers cette histoire, on passe par toutes les émotions. C'est terriblement.... intense.
J'étais la mieux placée pour le savoir. Ma vie avait été contée en musique et en danse. J'avais joué mon propre rôle. J'avais joué Odile. J'avais aimé Siefried. Je l'avais perdu à nouveau. Et j'étais morte, encore une fois.
Je fis passer une mèche de cheveux derrière mon oreille, d'un geste lent et gracieux. Je continuais à me mouvoir comme une danseuse, du moins tant que je ne marchais pas. Si je me levais pour avancer, je ressemblais plus au vilain petit canard que le cygne blanc. Étant assise, ça ne se voyait pas. J'avais l'air normale. Ça se compliquerait lorsqu'il faudrait descendre du bus. La marche allait être un obstacle difficile. Et je ne me voyais pas demander à quelqu'un de m'aider. Qui accepterait ?
- Un lac... près d'un orphelinat ?
J'avais penché la tête sur le côté, les sourcils se fronçant légèrement, pas totalement certaine de ce que je venais d'entendre. Je me souvenais, moi aussi. De ce lac, de ces cygnes, de cette jeune orpheline qui venait nous jeter du pain. J'avais à peine seize ans, et cela faisait déjà un an que j'étais maudite. J'avais suivi les autres cygnes pour ne pas être seule. Au fil du temps, j'avais appris à me faire accepter la journée, lorsque j'étais un oiseau. Quand le soleil s'était couché, j'avais été surprise par une jeune fille aux cheveux roux. Est-ce qu'il se pouvait que...
- Anastasia ?
J'avais soufflé le prénom, incertaine. Je n'étais pas sûre que c'était elle. Mais, tout à coup, j'espérai. Je n'avais revu personne de mon passé. Je fuyais mon prince, je fuyais ma jumelle. Mais revoir une ancienne amie... Ce n'était pas pareil. Ça faisait si longtemps que je n'avais pas revu cette adolescente qui avait égayé ma solitude pendant quelques temps. Je m'étais souvent demandé ce qu'elle était devenue. Si elle avait retrouvé sa famille. Et peut être que maintenant, elle était une femme et une mère. Peut être.
Anastasia Romanov
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La voisine de bus avait été surprise qu'Anastasia lui réponde. Mais si elle parlait c'était bien pour avoir une réponse, non ? Anya préféra ne pas lui demander, se contentant d'un sourire en apprenant qu'elle avait au moins un point commun en plus de leur bon goût. En effet, la jeune femme aimait le Lac des Cygnes autant qu'Anya qui ne s'y était pas trompée : cette femme ne pouvait pas être mauvaise. Ou alors ce serait très décevant. Les gens de culture se font si rares, de nos jours... Ceci étant dit, la voisine aurait très bien pu être une idiote qui se contentait d'aimer la mélodie sans en comprendre le sens profond, sans ressentir toutes les émotions, de la joie la plus extrême au désespoir le plus total, que les notes transmettaient. Mais non. La jeune femme timide connaissait son sujet et parlait du ballet avec une justesse appréciable. Le sourire d'Anastasia s'était étiré au fur et à mesure que sa voisine parlait, jusqu'à ce que la rouquine se laisse aller à quelques confidences, ce qui était presque aussi rare que le passage de la comète de Halley. - Un lac... près d'un orphelinat ? commenta ladite voisine, surprise. Anastasia ne s'était pas attendue à ce qu'elle réagisse et encore moins à ce que son récit la surprenne autant. Des lacs près des orphelinats, il devait y en avoir des centaines, pas de quoi casser trois pattes à un canard. Ou à un cygne. - Euh... oui, oui, c'est exact, répondit la rouquine, décontenancée à son tour. Le plus étrange, cela dit, c'était le comportement de la jeune femme sur sa droite. Elle avait penché la tête et l'observait, incertaine mais concentrée. Finalement elle l'appela par son prénom, suffisamment fort pour qu'Anya l'entende mais suffisamment faible pour trahir son incertitude. Anastasia, de son côté, tourna vivement la tête, semblant découvrir sa voisine pour la première fois. Elle avait changé, un peu, mais pas tant que ça. Et Anastasia se rappelait très bien d'elle, ses souvenirs n'étant flous que sur les huit premières années de sa vie. Malgré tout, elle avait l'impression de rencontrer un fantôme du passé. D'abord il y avait eu Bartok, puis le cygne. C'était troublant comme le hasard pouvait parfois opérer, vous laissant chercher votre moitié pendant une demie année et vous ramenant des souvenirs que vous pensiez ne plus avoir. Et pourtant tout revenait d'un coup, comme si ces moments n'avaient jamais quitté l'esprit d'Anastasia. De l'eau avait coulé sous les points, néanmoins, depuis leur dernière rencontre, peu de temps avant les 18 ans de la rouquine. Anya avait vogué vers son destin et Odile... Oui, elle l'avait un peu oubliée au profit de sa famille et de Dimitri, le sort noir faisant le reste. Coupable, Anastasia se mordilla la lèvre inférieure avant d'acquiescer : - Odette... murmura t-elle, pensive. Je... oui c'est bien moi. Avec quelques années de plus. Et un bébé en plus, Abigaëlle. Je suis désolée, je ne suis jamais revenue en Russie après avoir quitté l'orphelinat près du lac. Tu... tu t'en es sortie, toi ? Siegfried. Le magicien. La malédiction. Anya en avait bien sûr entendu parler, pour la simple et bonne raison qu'elle avait assisté à la transformation du cygne un soir qu'elle ne voulait pas rentrer. Quelques explications s'étaient donc imposées.
C'était... surprenant. La vie était faîte de hasards. Si je n'étais pas sortie, ou si je ne m'étais pas assise sur ce siège... Si elle n'avait pas chantonner ce morceau, ou si j'avais préféré me taire... Mais non. Le destin avait décidé de me donner, pour une fois, un petit coup de pouce. Et finalement, c'était ça qui était le plus surprenant.
- Anastasia. Je n'arrive pas à réaliser, enfaîte.
Je n'arrivais pas non plus à retirer le sourire qui étirait mes lèvres et illuminait mon visage d'un éclat nouveau. J'avais levé la main pour cacher mon expression, mais un petit rire m'échappa. Un rire qui n'était pas moqueur, attention. Il était juste surpris. Et joyeux. Mais je savais qu'il était surtout nerveux.
- Excuse moi. Tu es la première personne de mon passé que je revois, et ça me fait un drôle d'effet. Je ne pensais jamais te revoir, enfaîte ! C'est tellement étrange... La dernière fois qu'on s'est vu, tu étais une adolescente, et maintenant tu es une femme. C'est fou. Complètement fou.
J'avais cessé de rire, mais mon sourire était toujours là. Ça faisait longtemps que je n'avais pas souris comme ça, d'ailleurs. Un vrai sourire. Qui exprimait de la vrai joie. Et pas juste des muscles du visage que l'on actionne pour faire croire que l'on est heureuse alors que nos yeux hurlent.
- Moi ? C'est compliqué. Tellement... compliqué. Je n'ai pas vraiment envie d'en parler. J'ai plutôt envie de savoir tout ce qui a pu t'arriver. Parce que... tu es mère, quand même ! Est-ce que ça veut dire que tu as trouvé un beau prince ?
Je lui avais donné un petit coup de coude, avec un air mi-mystérieux, mi-amusé. Avant de laisser s'échapper un nouveau rire plus léger cette fois. J'avais l'impression d'être redevenue une adolescente, qui retrouvait juste une amie après autant de temps. Je la voyais toujours telle qu'elle avait été à l'époque. Peut être qu'elle avait énormément changé, qu'elle n'était plus la même. J’espérai que non. Parce que, peut être, j'avais retrouvé quelqu'un de mon passé qui comprendrait ce qui m'arrivait. Je rêvais de redevenir Odette, maudite mais encore insouciante. Ne plus être l'Aegis qui perd la tête pendant une heure ou une poignée de minutes.
Mais au même moment, le bus s'arrêta de nouveau. Mon arrêt. J'arrêtais de jouer avec les fils des écouteurs qui m'occupaient toujours les mains sans que je ne m'en rende vraiment compte, pour fixer avec horreur la porte qui s'ouvrait avec un sifflement qui semblait tout droit sortir d'un film de science-fiction. Je tournais la tête vers Anastasia, qui berçait sa fille dans ses bras, et la gorge serrée, tentait de lui adresser un nouveau sourire.
- Je descends là. Est-ce que... tu t'arrêtes ici aussi ?
Moi-même, je me rendais compte que le ton de ma voix était plein d'espoir. Je devais avoir l'air désespérée. En même temps, je l'étais. Si je n'étais pas autant dégoûtée par le contact avec quelqu'un d'autre, je lui aurai probablement attrapé la main. À la place, je tentais de lui faire le même regard que ce chat portant des bottes que l'on voit dans un dessin-animé. Toutes les filles à l'école de danse s'extasiaient sur ce passage à l'époque, quand il était sorti au cinéma. Je n'avais jamais compris pourquoi. Mais peut être qu'Anastasia n'était pas insensible aux charmes d'un petit chat qui s'habille à moitié ?
Anastasia Romanov
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- Moi non plus, la rassura Anastasia, étonnée de revoir cette si vieille amie. Surprise, mais positivement, pour une fois. Elle qui était habituée aux coups du sort était vraiment impressionnée de le voir lui faire une fleur. Une récompense, peut-être. Ou un simple hasard auquel elle voulait donner trop d'importances. Il était, après tout, possible que les deux femmes se soient déjà croisées maintes fois sans le savoir et que la taille de la ville - ou celle du bus - ait fait le reste. Qu'importe, Anya était ravie de retrouver l'une de ses rares amies. L'une de ses meilleures, sans doute. En tout cas, il avait été un temps ou le cygne esseulé et l'orpheline avaient été très proche, justement quand Stella s'était éloignée d'Anastasia... Qu'il était curieux de revoir ces deux femmes à seulement quelques mois d'intervalles ! Et le fait est que la situation était apparemment cocasse, ainsi que la rouquine put s'en apercevoir tandis qu'Odette portait une main à sa bouche pour faire taire un ricanement incontrôlable. Soit. Le rire était bien trop soudain pour qu'Anya ait eu le temps de masquer son étonnement. - Un drôle d'effet, certainement, commenta Anastasia tandis que les commissures de ses lèvres s'étiraient elles aussi presque involontairement. La dernière fois qu'on s'est vues tu étais un cygne et maintenant tu es une femme h24. Ca aussi c'est complément étrange, ajouta t-elle avec un regard complice. Odette devait se rappeler de ses taquineries, après tout. Autant reprendre là où elles s'étaient arrêtées, comme si trente ans ne séparaient pas leur dernière rencontre. Et Odette avait toujours su bien le lui rendre. Après tout, elles étaient adolescentes à l'époque. Jeunes et aussi insouciantes que les aléas de la vie leur permettaient d'être. Odette parlait de Siegried et Anya de son projet d'aller à Paris pour retrouver sa famille perdue. Ensemble, elles avaient longuement rêvé de jours meilleurs loin de ce lac sans s'apercevoir qu'il faudrait pour cela se dire au revoir. Secrète comme elle l'avait toujours été - Anya avait effectivement du lui tirer les vers du nez pendant un certain temps pour obtenir des informations - Odette coupa court à ce qu'elle était devenue, préférant reporter toute la conversation sur Anastasia, son bébé et son bonheur apparent. Il est vrai qu'avec une petite merveille comme Abigaëlle sur ses genoux, elle ne pouvait que susciter l'intérêt et les taquineries d'Odette. - Pas un prince, non. Un garçon de cuisine. Une longue histoire... Est ce que j'ai une tête à épouser un prince à la con, d'abord ? Non, Dimitri est beaucoup chose et s'y connaît en galanterie mais ce n'est pas un prince, dieu m'en garde. Ceci étant dit, crois le ou non mais l'orpheline Anya est en fait la princesse Anastasia de Russie. Rien que ça... Anastasia prit un air faussement snob et releva le menton avant de pouffer. Par chance, elle n'avait jamais eu à régner, seulement à apprendre le protocole - ce qui, en soi, était déjà bien assez. Petite, pourtant, elle s'était imaginée en princesse et avait du en faire part à Odette lors de leurs rêveries. Mais y avait-elle cru un instant ? Pas vraiment, le matelas de paille sur lequel elle dormait à l'orphelinat la rappelait bien trop vite à la réalité. Il y avait encore beaucoup à dire sur toute cette histoire. Anya n'en était même pas au quart quand le bus s'arrêta une nouvelle fois. L'arrêt d'Odette. Mais pas le sien. Il fallait choisir et vite, le bus n'avait pas toute la journée devant lui, ni les autres passagers, d'ailleurs. - Je... OK, je descends avec toi. On est pas pressées, Abigaëlle et moi, sourit Anya en se levant, suivant Odette vers la sortie. Il pleuvait encore. Heureusement, Abigaëlle avait un bonnet et des vêtements bien chauds, elle ne risquait pas d'attraper froid. - Ca te dirait d'aller quelque part pour rattraper le temps perdu ? Il pleut encore, fit remarquer inutilement la rouquine. Et j'avais commencé mon histoire passionnante sur Anastasia la princesse de Russie. La Odette que je connais adorerait ça, pas vrai ?
Elle était descendue avec moi. Je ne pouvais plus m'empêcher de sourire. D'un vrai sourire réel. Un grand sourire qui n'avait plus eu depuis longtemps sa place sur mon visage. Il ne s'effaça même pas quand je descendis avec difficulté du bus, en me tenant de toutes mes forces aux rambardes mises là pour facilité la descente des personnes en difficulté, servant le plus souvent aux vieilles femmes dont le squelette n'était plus aussi solide qu'avant.
Je rentrais la tête dans les épaules quand la pluie s'écrasa dans ma chevelure. Je regrettai de ne pas avoir pensé à prendre un parapluie. Les gouttes glissant le long de ma nuque m'arrachèrent un frisson, et je resserrais les pans de mon élégant trench-coat autour de mon cou, en espérant que cette petite excursion sous la pluie ne se terminera pas en rhume et obligation de rester au lit pour m'en remettre. Je commençai à m'ennuyer de ma chambre, malgré son aspect réconfortant. C'était ma forteresse, mon rempart contre le monde extérieur. Mais le papier peint beige qui décorait les murs et les peluches se transformaient peu à peu en quelque chose de moins agréable.
- Je t'avoue que je connais pas vraiment les endroits qu'ils valent le coup en ville. Je passe plus de temps au parc que dans les boutiques ou les restaurants.
Je fis une grimace désolée. Il y avait l'école de danse et le grand théâtre, mais ce n'était pas un endroit où on se rendait en général « juste comme ça ». Et je n'avais plus envie de m'y rendre depuis que j'avais été privée de mon plus grand plaisir. L'hôpital m'était familier sinon, mais je préférai qu'elle ne sache pas pour séance avec un psychologue. Et puis qui emmènerait une ancienne amie dans une salle d'atteinte bondée de gens malades et de blessés ?
- Mais j'ai tellement envie d'en savoir plus te concernant ! Princesse de Russie c'est sacrément... impressionnant comme titre ! Je veux tout savoir, connaître tout les détails !
Derrière une orpheline pouvait se cacher une princesse. Une histoire digne d'un conte de fée. J'en éprouvais presque de l'envie. Ça devait être merveilleux d'épouser l'homme que l'on aime et donner naissance à une petite fille. Avoir une vraie famille. Autre chose qu'une mère et une grand-mère tout droit sorties du conte de Baba-Yaga. Et si j'avais retrouvé Siegfried, que nous avions vécu un amour véritable comme toute histoire de princesse qui se respecte, est-ce que j'aurai moi aussi présenté à Anya ma propre descendance ? Je me surpris à observer la petite Abigaëlle avec un sourire un peu différent des autres. Ça me faisait quelque chose à l'intérieur. Est-ce que mon instinct maternel se réveillait ? Ce n'était clairement pas le moment. J'étais plus que seule.
- J'étais tout de même persuadée que tu finirais avec un prince. Ça devait sûrement être parce que je sentais la royauté en toi. Une jeune fille avec un caractère comme le tien ne pouvait qu'être appelée à régner un jour.
Je lui lançai un regard légèrement moqueur, sur le ton de la taquinerie. Je me souvenais d'une adolescente forte malgré ce qui lui arrivait. Elle était clairement la plus forte de nous deux. C'était une orpheline, et elle n'avait pas fini comme moi, à avoir peur de tout et dépressive. On a la volonté de luter ou pas. Elle était ce genre de personne. Et je la respectais encore plus pour ça.
Anastasia Romanov
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| Conte : Anastasia | Dans le monde des contes, je suis : : Anastasia Romanov
Odette souriait. Malgré la pluie qui lui battait le visage et la difficulté qu'elle avait eu pour descendre du bus - difficulté sur laquelle Anya ne revint pas, par souci de ne pas mettre son amie mal à l'aise. Mais son sourire se changea bientôt en une moue contrite quand elle avoua ne pas connaître d'endroits où aller. Ce qui était embêtant car Abigaëlle pouvait prendre froid. Là était le principal souci d'Anastasia. La pluie ne pouvait pas lui faire trop de mal, mais à un bébé ? Anya prit donc les choses en main : - Eh bien, on est descendu à ton arrêt donc on pourrait aller chez toi, avança t-elle. Si tu en as envie, bien sûr, ajouta t-elle immédiatement pour lui donner une porte de sortie, se rappelant qu'Odette était plutôt secrète. Sinon, si on prend à droite au bout là bas y a le Granny's mais c'est bruyant... Odette avait donc deux possibilités. A elle de trancher, rapidement, de préférence. Heureusement, les deux femmes s'étaient machinalement mises à marcher sous la pluie, probablement pour ne pas rester plantées là à regarder l'herbe pousser. Et le temps qu'Odette ne se décide, Anya avait le temps de lui conter son histoire, perspective qui faisait briller les yeux d'Odette. Et qui avait fait briller d'autres yeux avant. Princesse, c'était vendeur, rêveur. Toutes les petites filles veulent être des princesses et Anya en avait rêvé. Mais elle n'avait jamais imaginé le poids du passé qui tomberait sur ses épaules ou encore le protocole interminable qu'on lui avait inculqué. Par dessous, elle ne rêvait ni de richesses ni de palais, seulement d'une famille. Mais on y viendrait peut-être plus tard. Odette voulait du rêve, pas le revers de la médaille. Contrairement à ce qu'elle affirmait, elle ne voulait pas tous les détails - seulement les détails glamours. Et romantiques : - J'étais tout de même persuadée que tu finirais avec un prince. Ça devait sûrement être parce que je sentais la royauté en toi. Une jeune fille avec un caractère comme le tien ne pouvait qu'être appelée à régner un jour. - Moi ? Un prince ? Tu rigoles ! S'il n'y avait pas eu Dimitri je ne me serais jamais intéressée aux hommes, je crois ! Je l'ai connu après avoir quitté l'orphelinat, quand j'ai eu 18 ans. Je suis allée à Saint-Pétersbourg comme je l'avais toujours prévu pour prendre un train pour Paris mais je n'avais pas visa... Tu le savais, toi, qu'il fallait un visa ? Comment j'aurais deviné ? Bref, j'ai croisé une vieille qui m'a dit d'aller au palais et de demander Dimitri pour aller à Paris, ce que j'ai fait. J'étais déterminée. Et il m'a dit que je pourrais bien être la princesse disparue, Anastasia. Je ne demandais qu'à aller à Paris et je n'aurais pas été contre alors... voilà. On a pris le train. On a déraillé. On a pris le bateau. J'ai failli me noyer, un vrai cauchemar. On est finalement arrivés à Paris et j'ai appris des tonnes et des tonnes de trucs inutiles sur mon passé puis j'ai rencontré Sophie, la cousine de l'impératrice. Et elle nous a emmenés à l'opéra. L'opéra, tu te rends compte ? Je n'y étais jamais allée et crois moi, j'y ai pris goût. On a vu le ballet Cendrillon, c'était grandiose ! Et puis je devais rencontrer l'impératrice mais je l'ai entendu dire que Dimitri était un aventurier qui faisait passer des auditions pour trouver l'Anastasia parfaite... Des auditions ! Alors que je voulais simplement trouver ma famille !... Tu me connais quand je suis en colère. C'est pas joli. Sa joue en a fait les frais et je suis partie en courant. Un vrai scandale. Mais quelques heures plus tard, l'impératrice est venue me voir... Je crois que c'est grâce à Dimitri. En tout cas, il s'est avéré que j'étais sa petite fille et Dimitri a raflé les dix millions de roubles de récompense. Puis il est parti. J'ai su plus tard qu'il n'avait finalement pas accepté la récompense, qu'il... voulait autre chose... On s'est retrouvés par la suite. Quand le sorcier qui avait tué ma famille a décidé de me faire la peau. D'essayer, du moins. Et voilà. Voilà comment je suis devenue une princesse amoureuse d'un garçon de cuisine. Anya sourit et se tourna vers Odette. Elles étaient arrivées au bout de la rue et non plus loin, Anya ayant un débit particulièrement rapide. Indigne d'une princesse, certes. - Désolée, j'ai beaucoup parlé. Mais je pense que tu sais l'essentiel. Alors ? Granny's, chez toi ou sous la pluie ? IL va falloir se décider avant qu'Abigaëlle ne tombe malade...
Je buvais chacune de ses paroles, mes yeux s'écarquillant à certains passages chevaleresques, sans plus me soucier de la pluie qui ne cessait pas ou de la douleur qui remontait le long de ma jambe. Je la sentais qui commençait à trembler, mais je restais droite, en retenant une grimace douloureuse. Son récit était bien trop merveilleux pour la stopper. Ça, c'était une histoire. Ça, c'était un passé. Elle avait vécu des choses fabuleuses, mais aussi douloureuses, et elle avait gagné sa fin heureuse. Ça c'était terminé comme tout conte de fée est censé se terminer. Et même si elle était mon amie, je ne pouvais pas m'empêcher de ressentir une pointe de jalousie.
- C'est... Incroyable tout ce qui t'es arrivé ! Et... Oh pardon !
Je n'avais toujours pas décidé du lieu où nous allions nous rendre. Je n'avais même pas pensé à sa fille, qui risquait de tomber malade à cause du froid et de l'humidité ambiante. J'étais complètement inconsciente. Incapable de faire attention à un bébé.
- Allons chez Granny's. Je n'ai pas envie de rentrer chez moi. Il y a mes... Non. Chez Granny's ça sera parfait.
Je me remis en route, tête baissée pour affronter le vent qui venait tout à coup de se lever dans une grosse bourrasque qui fit fouetter mes cheveux contre mes joues rosies par le froid qui parcouru mon corps trempé d'un frisson. La tempête semblait devenir plus puissante. Il devenait nécessaire de se mettre à l'abri avant que le simple fait de rester dehors devienne un périple quasiment insurmontable.
Je suivis Anya jusqu'au dîner, qui ne se trouvait pas bien loin. Les vitrines étaient illuminées comme pour Noël, à cause de l'obscurité causée par les énormes nuages gris sombres qui assombrissaient le ciel. Même si j'avais hâte de me mettre au chaud, je pris une grande inspiration, pour tenter de me calmer. Je ne sortais pas beaucoup. Et là... Il y avait du monde. Il allait falloir parler à la serveuse. Et si j'étais ridicule ? Je ne savais pas m'adresser aux gens sans sembler idiote. Avec mes mains tremblantes et mon regard rivé au sol, incapable d'affronter celui de quelqu'un d'autre. J'avais toujours peur de voir une figure déformée, ou que quelqu'un me reconnaisse et se moque. J'étais la danseuse ratée qui passait son temps libre chez le psy et qui vivait encore chez sa mère. C'était pour ça que je n'avais pas voulu qu'on aille chez moi. Je ne voulais pas que ma famille pose des questions, me mette dans une situation embarrassante. Ou pire, qu'elles soient froides et désobligeantes avec mon amie.
Je m'asseyais sur un fauteuil en faux cuir rembourré, en me retenant pour ne pas demander du produit désinfectant afin de nettoyer le siège avant de m'y poser. Je devais quand même avoir l'air crispée, à ne pas retirer mes gants et à me tenir aussi éloignée que possible du dossier du fauteuil. Je ne pouvais pas m'empêcher de penser à toutes ces personnes qui s'étaient assises là, avec leurs vêtements sales qui avaient traînés n'importe où, et leurs cheveux peut être mal lavés qui auraient frottés contre le faux cuir, à hauteur de ma propre chevelure.
- Maintenant au moins, nous sommes au chaud.
Je lui adressais un sourire, qui même à moi me paraissait crispé. Je restais bien droite, mais je jetai des coups d'oeil en coin, à observer les quelques clients qui avaient eu le courage de braver la tempête pour boire leur café préféré. Ils ne m'observaient pas. Ils se fichaient de ma petite personne. Il fallait que je me calme.
- Je suis vraiment impressionnée par ton histoire. Dire que lorsque je t'ai connu, tu étais juste une orpheline parmi tant d'autres ! Et maintenant tu es princesse. Les contes de fées existent, finalement. Et si en plus tu as trouvé un homme qui t'aime... Tu dois être la plus heureuse des femmes ! De toute façon, les princes ne font pas les meilleurs époux, en général. Ça doit être bien rare d'en trouver un qui ne soit pas égoïste, intéressé et menteur.
J'avais dis ça un peu plus sèchement, incapable de cacher la rancœur que j'éprouvais. Mon prince, il m'avait tué. Peut être que j'aurai dû tomber amoureuse moi aussi d'un homme sans titre royal, au lieu d'un briseur de cœur.
- Mais tu m'as parlé d'un sorcier. Quelqu'un a vraiment tenté de te tuer ?
J'étais intriguée. Combien de sorciers avaient bien pu sévir ? À croire que certaines personnes n'avaient que ça à faire. Utiliser la magie noire et détruire la vie de princesses innocentes. Ça semblait être un passe-temps comme un autre.