« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
Après un doux et long été indien qui s'était prolongé bien après octobre, un froid mordait s'était immiscé dans les moindres recoins de la ville, annonçant la venue de l'hiver. Plus que jamais, l'atmosphère de Storybrooke rappelait celle de Saint-Pétersbourg à l'approche de Noël et plus que jamais, un bon feu de cheminée était le bienvenu, d'autant plus par ces soirées venteuses et pluvieuses qui se succédaient depuis ce qui paraissait mille ans. Il arrivait fréquemment à Anastasia de travailler dans le salon, délaissant le bureau que lui avait si agréablement aménagé Dimitri, afin de profiter de la douceur et de la clarté des flammes pendant que Hoover et Winston se reposaient juste devant l'âtre. Bien que les journées aient sensiblement raccourcies, Dimitri rentrait de plus en plus tard, à des horaires indues et indignes de son métier de journaliste-adjoint du maire-enquêteur-passionné par des choses peu communes. A moins qu'ils ne soient très occupés à la mairie et au journal ? Il y avait bien longtemps qu'Anastasia avait cessé de poser la question puisque Dimitri s'arrangeait toujours pour rester vague sur son travail avant de faire repartir la conversation en la centrant sur la personne de sa fiancée qui était bien trop contente de susciter son intérêt pour protester.
Il n'avait étrangement pas encore plus, en ce vendredi 27 novembre, ce qui avait permis à Anya se braver le froid pour une petite promenade du chenil en fin de matinée. Après un repas sommaire consommé devant l'écran de son ordinateur, la jeune femme avait assez insidieusement commencé à se sentir mal, comme si quelqu'un ou quelque chose essayait de lui déchirer les entrailles de l'intérieur. Et si la douleur avait d'abord était tout à fait gérable, les choses avaient très rapidement dégénérées. De nature réfléchie, Anya avait tâché de se remémorer tout ce que les médecins avaient bien pu lui dire sur la fin de la grossesse, les contractions, la perte des eaux et tout le tralala, mais rien de ce qui lui revenait en mémoire ne l'aidait à se calmer. Au contraire, son coeur semblait sur le point d'exploser tandis que la jeune femme regrettait soudain d'avoir emménagé dans une maison perdue au milieu de nulle part, ou plus exactement de la forêt. Eut-elle été dans son ancien appartement, il n'aurait pas été trop difficile pour elle de marcher jusqu'à l'hôpital - car elle sentait que c'était là bas qu'elle devait aller et vite - mais depuis la maison de Dimitri, les choses étaient tout autre. A cet instant, la rouquine regrettait également de ne jamais avoir appris à conduire, même si la voiture n'était de toute façon pas là. Comme Dimitri, en somme. Fébrile, Anya attrapa son téléphone portable et commença à lui envoyer un message avant de s'interrompre. Comment diable pouvait-elle lui présenter la situation en deux lignes sans l'inquiéter trop mais juste assez pour qu'il rentre tout de suite ? Mordillant nerveusement sa lèvre inférieure, Anastasia réfléchit un instant avant de laisser tomber poésie et lyrisme pour en venir simplement aux faits, ce qui était encore la méthode la plus efficace pour obtenir ce dont elle avait besoin, quitte à ne pas, il est vrai, ménager le jeune homme :
Je dois aller à l'hôpital. Il faut que tu viennes.
A peine soulagée de l'avoir informé de son état, Anya se rassit près de la cheminée et attendit. Quinze longues minutes passèrent sans aucune réaction de la part de Dimitri. Bon. Il était peut-être occupé, encore. La jeune femme n'en avait pas moins mal. Mais puisqu'elle ne pouvait pas compter sur son homme - et sur les hommes en général - elle attrapa à nouveau son téléphone et composa le numéro d'Ava, une interne qu'elle avait rencontré en s'essayant aux cours d'accouchement. Elle saurait l'aider, non ? - Salut Ava, c'est Anya. Écoute, je sais que tu es en plein boulot et crois moi j'aurais pas appelé si la situation ne l'imposait pas... Voilà, il y a quelque chose avec le bébé, je sais pas quoi et mon compagnon ne répond pas au téléphone... J'ai besoin d'aller à l'hôpital, je crois. Est ce que tu pourrais... Anastasia n'eut pas le temps d'achever sa phrase que déjà Ava lui conseillait de se préparer, l'assurant qu'elle prenait les choses en main et arriverait en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.
Ava n'avait effectivement pas menti. Elle avait été plus qu'efficace, presque aussi rapide que le froid qui avait surpris tout le monde quinze jours plus tôt. Un quart d'heure après cet appel désespéré, Anastasia était donc à l'hôpital avec Ava, restée au cas où. On allait s'occuper d'elle, on allait la rassurer et son bébé ne craignait absolument rien, lui avait-on promis. Anya n'en était pas moins méfiante mais la présence d'Ava la rassurait somme toute un peu. Les mains crispées sur son ventre, la jeune femme ne pouvait s'empêcher de faire les cent pas, ne trouvant que cette technique pour calmer ses nerfs, quand soudain Anya rougit jusqu'aux oreilles en ayant la désagréable sensation de s'être fait pipi dessus. Tournant un regard confus vers Ava, Anya songeait déjà à courir se cacher au sous-sol, mais fut interpellée par le grand sourire d'Ava. - Tout va bien, tu vas juste avoir ton bébé, commenta t-elle en la prenant par le bras. - Mais... Mais... Le terme... c'est que dans une semaine et... Dimitri est pas là, paniqua Anastasia en se laissant porter par ses pieds.[/color] Comme elle l'avait annoncé, Ava, qui connaissait bien l'endroit pour y passer ses journées, prit les choses en main, interpelant la bonne personne, trouvant une chambre, le médecin, tout ce qu'il fallait... sauf le plus important : Dimitri. - Je vais l'appeler, promit-elle. Contente toi de rester zen et de penser au bébé. Dimitri arrive. Facile à dire... Eut-elle été plus maitre de ses émotions, Anya s'y serait donné à coeur joie pour critiquer les hommes, ces êtres tellement inutiles par moments. Dis lui de se bouger et de se bouger vite, aurait-elle aimé demander à Ava. Mais la rouquine avait bien d'autres priorités, ainsi que le lui rappelèrent une sage femme et son air bienveillant mais sérieux.
Je fixais le vide devant moi, immobile à l’arrière de la voiture de police. Le monde autour s’agitait, tempêtait, fluctuait sans que cela ne parvienne jusqu’à la moindre de mes oreilles. Je ne les voyais pas, juste des ombres allants et venants sans directions précises. Je n’entendais pas leur charabia. Je ne captais même pas de ce qui pouvait être ou de ce qui ne devait pas être. Le vide. L’absolu et l’immense vide de toute la situation, voici tout ce qui me restait. Le sifflement sourd qui résonnait dans mon crâne était douloureux, pourtant je restais sans rien dire, adossé contre le dossier de la banquette. Tout était fini. Tout venait de prendre fin. Clarisse n’était plus là et… Aloysius n’était pas revenu. N’était pas réapparu. Rien n’avait changé. Rien ne le ferait revenir. Je venais de le comprendre et ça avait détruit les dernières connexions qui restaient dans mon esprit, le laissant plongé dans une obscurité macabre. Plus de liens. Plus de fils. Plus de toiles. Plus de menace ni d’épée de Damoclès. Juste le vide, le grand vide de l’âme, le mélange du conscient et de l’inconscient qui vous plonge dans un état second et vous fait dériver dans un sens puis dans l’autre. Rien n’avait plus d’importance. Rien n’existait plus. Rien ne…
Mon téléphone vibra dans ma poche. Et il me fallut plusieurs minutes pour parvenir à comprendre de quoi est-ce qu’il s’agissait. Faisant fi des menottes à poils roses que m’avait passé Angela autour des poignets, j’extrayai l’appareil de la poche de ma veste et l’ouvrit. Un message. D’Anya. Je dois aller à l'hôpital. Il faut que tu viennes. … Muré dans un silence, je fixai ces quelques mots comme pour en saisir tout le sens. Qu’est-ce qu’elle voulait ? Pourquoi est-ce qu’elle m’écrivait à une heure pareille pour me dire qu’elle allait à l’hôpital ? Il faisait nuit, les consultations étaient fermées. Plus personne ne restait dans les bâtiments la nuit, hormis les urgences et… Je me mordis l’intérieur de la joue. Les urgences. Comme l’ambulance que je devinais un peu plus loin, les urgences étaient toujours ouvertes. Pour toutes les situations. Pour toutes les raisons. Pour tout ce qui nécessite de l’aide médical et pour tout ce qui peut survenir n’importe quand. Et c’était ce soir, précisément ce soir, qu’Anastasia semblait en avoir besoin.
Elle m’avait fait promettre d’être là pour elle. De ne jamais oublier qui elle était et de toujours croire en elle. J’avais le vide. Je ressentais le manque et la froideur du silence. Alors pourquoi est-ce que je pensais à elle ? Pourquoi ce message s’était-il affiché en grand dans ma boîte crânienne vide ? Pourquoi est-ce que la première chose à laquelle je pensais, après m’être déconnecté de tout, c’était à elle ? Pourquoi est-ce que j’avais osé l’oublier, ce soir, alors qu’elle aurait dû être tout en haut de mes priorités ? J’avais perdu le fil. La ligne conductrice. La normalité des choses et le rythme que j’aurais dû m’imposer. Je ne savais plus qui j’étais ni ce que je faisais, je ne savais plus si Aloysius était encore vivant ou non, je ne savais plus ce qui était bon ou mauvais. Mais je savais que je devais partir d’ici car ce n’était pas ma place. Pas la bonne place. Un monde parallèle au mien venait de s’ouvrir, m’offrant une autre réalité où je décidai de m’échapper sur un soudain élan de témérité.
Je me penchai vers la portière encore ouverte. Les deux hommes armés qui étaient censés me surveiller discutaient en observant quelque chose au loin. Un coup d’œil autour de nous pour m’assurer que les bruits de la police et des ambulances n’avaient pas encore attirés trop de curieux… On garde toujours le suspect à part quand il s’agit d’un meurtre. On cache son visage et on ne le révèle à la presse que plus tard. J’avais été un peu trop docile sans doute, voilà pourquoi ils n’avaient pas pris la peine de fermer la portière. J’avais obéi sans rechigner quand on m’avait soulevé de là pour me conduire à l’extérieur. J’avais tout fait comme ils le voulaient, et ils avaient cru à ma rédemption soudaine. Alors, je profitai de cette accalmi pour me glisser hors du véhicule. Les pas lourds et le corps douloureux, je me baissai un peu pour filer droit devant moi. Je savais où je devais me diriger. Je savais par où passer. Je savais quel chemin emprunter pour fuir cette mairie. Comme si être un fugitif était inscrit dans mes veines depuis bien longtemps désormais….
Je mis presque une heure à rejoindre l’hôpital de la ville. L’esprit bouillonnant, j’essayai de trier les choses qui y apparaissaient et disparaissaient. Prendre conscience de la réalité et de ce qu’il se passait, me forçant à songer à Anya pour ne pas perdre de vue mon objectif. J’avais toujours mis le Docteur Black en objectif central, un point autour duquel tout gravitait et tout devait graviter… Ce soir, tout était en train de basculer. Rien n’était clair. Rien n’était satisfaisant. Mais je ne pouvais pas faire autrement : il fallait que je la vois. Que je lui parle. Que je sois avec elle pour répondre à ce message qu’elle m’avait adressé. Elle ne m’avait jamais appelé à l’aide, ni donné d’ordres dans ce sens. Elle n’avait jamais osé avouer qu’elle avait besoin de moi, sauf quand elle avait fait ses derniers cauchemars. Elle était forte. Solide. Résistante. Mais seule. Et c’était cette solitude installée entre nous qui était en train de nous tuer l’un et l’autre. Revoir ses priorités. Refaire la liste des choses essentielles. Replacer les dalles dans le bon ordre. Une énigme contre laquelle je m’étais fracassé et qui commençait à m’engloutir sans m’offrir de quoi rester en surface.
Juste une dernière fois. Un dernier élan d’égoïsme.
Je longeai le mur des urgences, ayant rabattu ma capuche sur ma tête, afin d’accéder aux toilettes. Là, m’assurant qu’il n’y avait personne, je pris quelques instants pour passer de l’eau sur mon visage. Beaucoup d’eau. Il fallait que je chasse le sang qui s’y trouvait, que je rince cette barbe carmin, que je lave ces mains recouvertes e que j’efface le souvenir cuisant du meurtre que je venais de commettre. Mes doigts tremblaient et, plus je les frottai, plus ils chancelaient. Je dis me rattraper au lavabo pour ne pas tomber, forcer ma respiration alarmiste à se calmer pour éviter de chanceler. Je n’avais pas beaucoup de temps. Je ne savais pas où elle était. Je ne savais pas ce qu’il se passait. Mais je ne pouvais pas rester comme ça. Les cheveux détrempés, je jetai un dernier regard au miroir en semblant plutôt satisfait du résultat. Restaient les vêtements… Mon pantalon sombre dissimulait mal les tâches qui s’y trouvaient, ma chemise était recouverte d’éclaboussures et seule ma veste semblait plus ou moins épargnée. Il fallait que j’en change. J’hésitai un instant à assommer quelqu’un pour lui voler ses affaires, mais je préférai rapidement me glisser jusqu’à un vestiaire et en ouvrir un après avoir fracassé le cadenas sans ménagement. Un autre jean. Un polo bleu. Je fourrai mes anciennes affaires dans un sac de linge, renfilai ma veste et sortis de là avec un désagréable bourdonnement dans mes oreilles.
Il me fallut d’autres minutes pour parvenir à enfin trouver quelqu’un de compétent… Ou de concerné. Ou plutôt, elle me trouva la première : Marie. La grand-mère d’Anastasia qui, au décours d’un couloir, sembla me reconnaître et m’interpella après un instant d’hésitation. Si elle était là, c’est que quelque chose de grave était arrivé… Ou arrivait. Me figeant dans le couloir, je la vis s’approcher de moi rapidement pour s’assurer de qui j’étais. Sa bouche pincée et son regard courroucés en disaient long sur l’opinion qu’elle avait de moi, mais je n’avais pas vraiment le temps de l’étudier d’avantage. « Anya m’a envoyé un message. » Justifiai-je d’un ton rauque, les premiers mots prononcés depuis des heures. Elle me répliqua quelque chose que j’entendis à peine, refusant de quitter la bulle fragile dans laquelle je m’étais enfermé. Anastasia. Juste retrouver Anastasia. C’était tout ce qui devait compter, et tout ce qui comptait. Marie accepta donc enfin de me diriger, attrapant mon coude comme si nous étions coutumiers de tant de familiarités, et me guida à travers les étages jusqu’à une double porte fermée. Elle ne pouvait pas entrer, les familles n’étaient pas autorisées. Pas dans les salles d’accouchement.
Je dégluti en réalisant, peu à peu, le pourquoi du comment. Anya n’était pas fondamentalement en danger, ni malade. Elle n’avait pas été attaquée ou blessée. Elle allait bien, au possible et… Et comme une coïncidence douloureuse, notre (future) fille avait décidée qu’elle naîtrait ce soir. Je l’avais compris en voyant Marie. Je l’avais compris en reconnaissant l’étage. Je l’avais compris et je n’avais pas fait directement le lien. Pourtant, lorsque je découvris Ava, une jeune femme qui semblait connaître ma fiancée, celle-ci ne me laissa pas vraiment le temps de me justifier. Adressant un dernier regard à la grand-mère russe qui m’accompagnait, je franchi les derniers mètres qui allaient sceller la suite de mon destin. Du notre, plutôt. En m’aventurant ici, j’acceptai d’affronter mes responsabilités. Jusqu’à quand ?
L’ambiance était chaude. Doucereuse. Mais une tension palpable se laissait ressentir alors que je posai ma veste à l’endroit où Ava me l’indiqua, lavant à nouveau mes mains en refusant d’affronter le miroir juste en face de moi. Je ne voulais pas me voir, ni découvrir l’heure qu’il était. Je ne pouvais pas penser au reste, au monde extérieur, à ma fuite et aux nouvelles qui n’allaient pas tarder à se déverser dans toute la ville. Une bulle. Juste une bulle… Le temps de la retrouver, elle, et de ne pas faillir à ma promesse. La jeune femme me guida dans le couloir jusqu’à l’une des pièces, m’invitant à y entrer d’un mouvement de tête encourageant, avant de me prévenir que la sage-femme n’allait pas tarder à revenir nous voir. Je poussai un soupir, avisant la poignée, avant de la tourner pour enfin entrer à l’intérieur. Et elle était là. Comme décrit, comme promit, elle était là… Une princesse en robe d’hôpital, en train de souffrir sous les contractions vu la grimace qui se dessinait sur son visage. Il n’y a pas que le peuple commun qui souffre quand il s’agit d’enfants, tout le monde est à la même échelle. Absolument tout le monde.
Hésitant au premier abord, je ne pus cependant pas reculer d’avantage lorsque je la vis trembler en étouffant un gémissement douloureux. Comblant la distance entre nous, je passai mes bras autour d’elle pour la soutenir et l’empêcher de chuter sur le sol, collant son dos à moi. « Je suis là. » Parvins-je à articuler, difficilement, sentant ses mains se resserrer sur mes bras. « Ca va aller, je suis là... » Je n’avais aucune idée de ce que je devais faire ou de ce qu’il fallait faire, je n’avais jamais assisté à un accouchement ou même pensé le faire un jour. Mais je savais que c’était extrêmement douloureux tant qu’elle ne recevait pas de péridurale et que chaque contraction provoquait une souffrance innommable… Les bébés aussi peuvent être cruels.
Je sentais son souffle saccadé, la chaleur brûlante de son corps transpirant, pourtant je déposai un baiser sur sa joue. Si elle savait. Si elle savait ce qu’il venait de se passer… Elle me détesterait. « Désolé… Je suis en retard. » Pas assez visiblement, et heureusement sans doute. « Ça va aller ? » Je connaissais d’avance la réponse mais je préférais quand même lui demander, attendant que la contraction se décide enfin à finir pour l’aider à se rasseoir sur le brancard. La regarder, elle et son visage crispé. Sa main perfusée. Ses cheveux légèrement en bataille. Ses yeux bleus cherchant des réponses. Quand elle attrapa mon visage pour l’embrasser, je ne résistai même pas et savourait le contact de ses lèvres contre les miennes. Anya. Mon Anastasia. Celle qui me permettait, ce soir, d’être encore debout et de braver les interdits de la loi pour la retrouver. Celle qui allait donner naissance à notre bébé… Envers et contre tout. Celle que je ne reverrais peut-être plus avant un long moment, quand la police m’aura retrouvé. Mais qu’importe. J’étais là. Avec elle. Et c’était tout ce qui comptait.
Anastasia Romanov
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Mais pourquoi il ne vient pas, bordel de merde ?! Anya avait envie de hurler et les contractions n'étaient pas les seules responsables. Même si elles étaient vraiment douloureuses. L'absence de Dimitri l'étaient également, au détail près d'elle n'avait aucune incidence physique sur la mère en devenir, ce qui la rendait d'autant plus terrible. Plus que jamais, Anastasia se sentait seule, horriblement seule. Même ces dix ans passés à l'orphelinat semblaient une partie de campagne à côté isolement dans cette chambre. Pourtant Ava, ainsi que le reste du personnel médical, lui avaient assuré que tout allait bien et que Dimitri allait arriver. Ouais, peut-être. Mais pour le moment il n'était pas là et Anastasia tournait comme un lion en cage, n'ayant trouvé d'autre idée que de faire les cent pas entre le lit et la porte pour passer le temps. La douleur, en revanche, ne passait pas, quoi qu'elle fasse et même si le fait de marcher occupait un peu l'esprit d'Anastasia. De temps en temps, les traits de son visage étaient déformés par la douleur avant que l'exaspération ne reprenne le dessus. Mais qu'avait-il de plus important à faire, bordel ? Il avait promis qu'il serait toujours là pour elle, alors zut, c'était le moment de prouver que ce n'était pas que des mots ! - MAIS ILS VONT LA FAIRE LEUR PERIDURALE DE MERDE OUI OU CROTTE ???? s'emporta finalement la jeune femme entre deux contractions, réalisant la seconde d'après que crier lui avait fait un bien fou en laissant parlant sa frustration d'être seule mais aussi sa douleur et son stress. Et comme ce raffut n'avait fait venir personne, la jeune femme reprit ses cent pas, ne pouvant qu'attendre et tourner en rond. Fichue infirmière incompétente. Fichu fiancé qui n'est pas là. Soudain, la porte s'ouvrit et Dimitri apparu, l'air un peu sonné et totalement à côté de ses pompes. Mais au moins il était enfin là. Soulagée, la jeune femme se laissa littéralement tombée contre lui - qui avait, heureusement, des réflexes - comme si ses jambes ne pouvaient plus la porter. Ou ne voulaient plus. Ou peu importe. Il était là, c'était bien tout ce qui comptait. - Oui, tu es là, soupira la jeune femme en enroulant ses bras bras autour de sa taille, le serrant peut-être un peu trop fort du fait d'une nouvelle contraction. Le visage enfoui contre son torse, Anya s'autorisa à grimacer comme bon lui semblait jusqu'à ce que finalement, la contraction passe. Jamais, ô grand jamais plus je ne plaindrais de mes règles, songea la jeune femme tandis que ses muscles se détendaient peu à peu. Prenant un peu les choses en main, Dimitri l'aida finalement à s'assoir, chose qu'elle n'avait pour le moment pas fait. Mais mieux valait ne pas le lui dire, pas vrai ? Docile, Anya se laissa faire, bien trop contente qu'il soit venu, finalement. Il demandait si ça irait. Drôle de question dans pareil moment. On voyait bien que ce n'était pas ses entrailles qu'on était en train de labourer avec plaisir. Mais si on omettait un moment la douleur, en fait, ça allait mieux. Et pour le lui faire comprendre, Anastasia attrapa le visage de Dimitri pour y déposer un long baiser. - Ca... va aller, répondit Anya en déglutissant. S'ils me font cette satanée péridurale de malheur ça ira déjà mieux. Dieu merci tu es là... j'allais devenir folle... ou tuer quelqu'un, je sais pas trop. Viens plus près. Je crois que j'ai peur. Tu crois que je vais y arriver ?souffla t-elle tout bas.
Elle venait, malgré elle, de faire un trait d’humour particulièrement noir qui manqua de peu de me faire de nouveau chavirer. Ne pas se concentrer sur le passé, uniquement le présent. Uniquement sur elle et le bébé. Uniquement sur ce qu’il se passait et non pas ce que je venais de réaliser en perdant toute notion de bien ou de mal. Je n’avais même pas idée, actuellement, de ce que je devais faire ou non. Je savais juste que je devais être là, c’était la bonne place pour une fois, et je ne devais absolument pas la quitter. Quoi qu’il advienne et quoi qu’il en coûte, je ne devais pas partir ni fuir. Il n’était plus l’heure d’être un bébé, mais bien celui d’être l’homme qu’elle attendait… A défaut de pouvoir être le père que j’étais censé devenir. Elle se rpéparait depuis des mois à tout cela, à cette situation et au tournant que ça incluait. J’avais eu ma chance de le faire, toutes les armes pour m’y mettre mais j’avais quand même soigneusement évité le problème. Alors aujourd’hui, quand elle me regardait avec ses yeux effrayés et son ton un peu tremblant, je me rendait doucement compte de tout ce que j’avais gâché par pur égocentrisme.
« Je crois que j'ai peur. » Murmura-t-elle a mon attention, ses mains posées sur mon visage blafard tranchant radicalement avec la chaleur qui émanait de son corps à elle. Tout organisme en travail dégageait de la chaleur, une réaction fondamentale qui prouvait à quel point nous étions étonnement bien fait… Ou au contraire, très mal préparé à tout cela. Donner la vie était un don précieux, restait à se montrer suffisamment digne pour cette chance étrange que de perpétuer notre sang. Si je n’avais pas été aussi méritant que j’aurais dû l’être, j’espérais qu’elle au moins puisse l’être complètement. J’embrassai encore son front pour essayer de la rassurer, incapable de savoir quel conseil lui donner. Je n’avais jamais assisté à des accouchements. Je n’avais pas d’enfants. Je n’avais jamais rien connu de tout ça avant de la rencontrer elle. « Tu crois que je vais y arriver ? » C’était un appel à l’aide. Une question qui pouvait sembler bégnine alors qu’elle recelait de désespoir et d’inquiétude à peine voilées. Ce n’était pas franchement le moment d’être terre à terre ou fatalement rationnel, elle ne me le pardonnerait jamais.
« Tu t’en sors déjà très bien. » Répondis-je en tout et pour tout, essayant de ne pas regarder l’appareil qui émettait des « bip » réguliers juste à côté de nous. Je restai alors à côté d’elle, serrant ses mains et supportant sa poigne lorsqu’une contraction la prenait à nouveau et la faisait se crisper de douleur. J’étais, en quelque sorte, heureux de ne pas avoir à subir un pareil traitement de mon côté… Mais la voir souffrir, même pour une bonne raison, m’enserrait le cœur au point d’écraser mes organes et mon cœur. Je détestais la voir dans cet état et me rendre compte à quel point j’étais aussi inutile qu’impuissant. C’était fou comme la nature choisissais précautionneusement ses acteurs sans demander leurs avis aux principaux protagonistes ; une répartition inégale pour un résultat pourtant égalitaire entre les deux parties. Avait-elle fait ça pour nous empêcher de fuir ? Satanée croyance russe.
Il fallut attendre. Attendre que les contractions se rapprochent et qu’une sage-femme revienne examiner l’avancée d’Anya avant qu’elle ne puisse avoir cette fameuse péridurale. Un dur moment à passer, sans doute faible face à ce qu’elle subissait depuis plusieurs heures, mais loin d’être une partie de plaisir. Surtout quand le type derrière son masque vous demandait de la tenir et de ne pas bouger, alors qu’elle se tordait de douleur entre vos bras… Il voulait que je lui mette son aiguille où je pensais ou il allait se décider à aider ma petite amie ? Une fois la chose faite, nous avions pu respirer un peu plus et j’avais apprécier de la voir avec un visage un peu plus détendu quand l’anesthésiant avait fait son effet sur elle. Anya avait pu parler un peu plus tranquillement, essayant sans doute de chasser son trouble en bavardant maladroitement ; des paroles auxquelles je répondais parfois, me contentant pour le principal de quelques hochements de tête ou de sourires significatifs. Ses doigts entrelacés aux miens, nous n’avions d’autre choix que d’attendre que notre future fille décide de son moment.
J’étais arrivé en début de soirée à l’hôpital pour la rejoindre, il était désormais plus de vingt-trois heures. La journée n’allait pas tarder à se terminer, à clore les souvenirs de tout ce qui s’y était déroulé, et pourtant j’avais l’impression qu’elle ne cessait jamais de s’allonger. De durer, s’étirer, refusant de m’abandonner pour sans arrêt me rappeler ce que j’avais fait. Je refusais d’y songer ou de m’y attarder. Je ne voyais qu’elle et cette pièce. Cette petite pièce où nous étions… Et dont on nous déplaça lorsque les contractions commencèrent à dangereusement se rapprocher et s’intensifier. Ava était passé plusieurs fois nous voir, s’assurant de la santé d’Anya, et cette fois elle avait été formelle : il étant presque temps. Encore un peu, juste un peu. La nouvelle pièce que nous rejoignirent était bien plus grande et plus éclairée, dénuée de chaleur malgré ce qui s’y passait pourtant continuellement. Mais on n’en avait rien à faire, j’aidais ma princesse à s’installer et deux femmes nous rejoignirent calmement. J’observai l’appareil qui captait les battements de cœur du bébé, comme hypnotisé par les lignes qui apparaissaient et se régulaient comme des petites horloges. Je sentais sa main dans la mienne, je ne l’aurais de toute façon jamais lâchée.
Tout sembla alors filer à une vitesse hallucinante. Nous qui attendions depuis des heures nous retrouvâmes brutalement propulsé au tout dernier moment. Déjà ? Comme cela ? C’était ainsi que ça devait se dérouler, sans qu’aucun de nous deux ne puisse plus reculer ? J’eu l’irrépressible envie de fuir, encore. Sentant le sang quitter mes tempes pour affluer dans mes jambes, il fallut que je la fixe un moment pour enfin parvenir à calmer cette affolement qui s’emparait de moi ; pour la simple et bonne raison que je la sentais aussi paniquée que moi. Elle ne savait pas ce qui nous attendait. Elle aussi, découvrait. Anya avait étudié seule tout ce qu’elle avait put, mais elle n’avait jamais pratiqué tout ceci. C’était le début, le commencement, la découverte, et nous ne pouvions la faire qu’à deux. Ensemble. Envers et contre tout, juste tous les deux…
Enfin, plutôt, à trois.
Il était vingt-trois heure quarante-six lorsque notre fille poussa son premier cri au cœur de la pièce chaude, faisant résonner sa gorge et laissant l’air de la vie emplir ses poumons fraichement créés. Je l’entendis, lointaine et pourtant si proche, retenant malgré moi mon souffle comme si plus rien d’autre ne comptait. Je l’avais entendu, elle était là. Enfin là. Réellement là. Un cri dans l’au-delà pour nous ramener à la surface et, lorsque je la vis enfin, ce fut comme si tout l’oxygène que je pouvais retenir s’enfuyait à tire d’aile. Je ne pensais pas éprouver quelque chose, je ne savais pas ce qui allait se passer et je ne me doutais absolument pas de comment j’allais réagir. Je craignais sans doute même de ne pas parvenir à éprouver quoi que ce soit, à me contenter de rester apathique face à cela. Après tout, les enfants ne m’avaient jamais franchement interpellés et je ne me passionnais pas pour les bambins des autres.
Mais celle-ci, c’était la mienne. La nôtre. Celle que nous avions fait ensemble avec Anastasia… Une petite fille qui était toute à nous et enfin parmi nous. La sage-femme la déposa doucement sur la poitrine d’Anya, offrant ce premier contact en la recouvrant d’une couverture alors que l’accouchement se terminait. Je n’osai la toucher, alors que la princesse avait déjà lâché ma main pour poser ses deux paumes dans le dos du nouveau-né. Fébrile. Incertaine. Hésitante. Comme effrayée de lui faire mal mais éprise d’une puissante volonté de la serrer contre elle. Ce bébé, elle l’avait attendu. Plus que moi. Bien plus que tout le monde ici. Elle avait donc le privilège de la première rencontre que je lui laissai volontiers, me contentant de jouer l’observateur silencieux à ses côtés sur des jambes qui me portaient plus par mécanisme que par réelle conscience.
Je me rendis compte que je pleurais lorsqu’une goutte tomba sur le bras de ma fiancée. Portant la main à mon visage, je l’essuyai rapidement pour ne pas me laisser avoir par ce genre d’émotions. Il y eut encore du mouvement, les deux femmes finissant leur travail avant de doucement prendre notre fille quelques minutes. De quoi la peser, la mesurer et surtout l’habiller chaudement. Qu’elle ne puisse pas prendre froid alors que l’air environnant semblait soudain redescendre, l’adrénaline s’évacuant peu à peu de mon sang. Je ne la quittais pas des yeux, retrouvant la main d’Anya dans la mienne et embrassant même ses doigts doucement. Je ne parvenais pas à la regarder, je ne pouvais pas détacher mon regard de notre fille. Comme si on pouvait nous la prendre. Nous la voler et la faire disparaître.
Heureusement, elle nous revint rapidement quand l’auxiliaire nous la rendit dans un demi sourire. « Comment va s’appeler cette petite merveille ? » Demanda-t-elle innocemment en nous fixant tour à tour pendant qu’Anastasia récupérait le bébé contre elle.
Je n’avais qu’un seul prénom qui me venait en tête. Mais ce n’était pas à moi de prendre cette décision. Pas après tout ce qu’il s’était passé.
Anastasia Romanov
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- Tu t'en sors déjà très bien, assura Dimitri. Autant dire que ces mots ne tombèrent pas dans l'oreille d'une sourde. Déjà parce que l'audition de la jeune femme était excellente mais aussi, et surtout, parce que c'était exactement ce dont elle avait besoin. A ce moment là, Anya se foutait bien qu'il n'en pense pas un mot : du moment qu'il lui assura qu'elle était la meilleure, la plus forte et que tout irait bien, alors c'était vrai, point à la ligne. D'ailleurs, Anastasia se sentait beaucoup mieux depuis qu'il la serrait contre elle, lui permettant de presser allègrement ses mains à chaque nouvelle contraction sans broncher, se contentant de la tenir conte lui. Que c'était bon de sentir son odeur, son cœur battre, ses bras la soutenir... Pour un peu les contractions auraient paru plus supportable du seul fait de sa présence. Malheureusement, la biologie ne fonctionnait pas comme ça. "Tu enfanteras dans la douleur", la promesse était tenue et cela ne faisait que commencer.
Il fallut attendre, encore et encore. Plusieurs fois, Anya s'extirpa des bras de Dimitri - pour retourner s'y réfugier aussitôt - et exprimer le fond de sa pensée en des paroles bien fleuries. Depuis quand les hôpitaux se spécialisaient-ils en torture d'êtres humains ? Dimitri ne semblait pas savoir non plus et se contenta de la bercer contre son torse. Finalement, un infirmier revint l'examiner avant de décider qu'il était l'heure de faire cette fameuse péridurale. La rouquine en oublia même qu'elle n'aimait ni sa tête, ni le nom inscrit sur son badge et encore moins sa façon de faire et sa qualité d'homme. C'était donc trop demander qu'une femme s'occupe de vous dans un moment pareil ?! Anya ne pipa mot, souffrant trop mais envisageant de lui donner un coup de pied si jamais il s'avisait de révéler un nouvel aspect horripilant de sa personne. Seul Dimitri avait le droit de l'horripiler, même si, en l'occurrence, il se contentait de la tenir contre lui, comme pour la protéger. - Enfin, ne put s'empêcher de soupirer Anya, soulagée, quand l'affaire fut faite. L'anesthésiant agit rapidement et Anastasia s'en trouva soulagée, presque libérée (délivrée). Reprenant un peu son souffle, elle put bientôt s'adresser à Dimitri d'un ton moins saccadé, trouvant même la force de se réjouir de l'arrivée de leur petite merveille. Car s'il s'agissait de souffrir pour elle, Anya aurait été prête à recommencer dix fois. Anya se trouva même en mesure de faire la conversation avec Ava, qui était repassée plusieurs fois, outrepassant largement ses fonctions d'internes. La future mère ne fut particulièrement touchée, se plaisant à croire que cette naissance serait, finalement, parfaite.
Après un moment, Anya et Dimitri furent conduit dans une autre pièce, celle où l'aventure allait prendre fin. Elle était froide et diablement médicale mais la présence de Dimitri rassurait la jeune femme qui s'installa à la place qui l'attendait avec son aide bienvenue. Il était alors 23h passées. Anya était impatiente de rencontrer sa fille mais surtout, impatiente que Dimitri la voit, la sente enfin autrement qu'au travers de sa peau. "Tu vas être papa", aurait-elle aimé lui crier au visage. Papa de mon bébé, papa de notre bébé, tu m'as donné une famille, tu as exaucé tous mes souhaits et je t'aime. Pourtant elle n'en fit rien, se contentant de caresser le dos de sa main avant de la serrer un peu plus. Levant ses grands yeux vers lui elle s'entendit l'implorer de ne pas la lâcher. Bon. La fierté et l'amour propre ce serait pour une autre fois, manifestement. Et maintenant, je fais quoi ? se demanda la jeune femme en regardant son ventre rebondi. La sage-femme s'avéra une alliée précieuse, voire vitale. Sûrement vitale, en fait, mais mieux valait ne pas y songer. Pas maintenant. Même la main de Dimitri qu'elle serrait, Anya devait l'oublier pour ne penser qu'à leur enfant qu'elle était en train de mettre au monde. Poussez, madame, poussez, lui disait-on. Allez, encore un effort, surtout ne vous arrêtez pas. Anya leur aurait fracturé la mâchoire si elle avait été en état. On voyait bien que ce n'était pas à elle de pousser, justement ! C'était épuisant, merde ! Si elle s'était écoutée, la jeune femme aurait presque envoyé son pied valser dans sa tête pour lui dire de la fermer. La jeune femme était en nage, épuisée, au bout de sa vie mais soulagée et plus heureuse que n'importe qui sur cette Terre quand, à 23h46, son enfant poussa son premier cri. Se laissant retomber sur l'oreiller, Anya se dit qu'elle avait réussi, finalement, à lui donner la vie. Elle criait mais c'était normal. Il fallait qu'elle essaye cette voix et qu'elle la leur fasse découvrir. Il fallait aussi qu'elle essaye de gonfler ses poumons et de saisir à bras le corps a vie qui commençait. Très vite, la sage-femme qu'Anya avait copieusement détesté à certains moments déposa la nouvelle née sur sa poitrine, lui laissant l'honneur de la première rencontre. Anya n'aurait su décrire dans quel état elle se trouvait tant les mots lui manquaient - ce qui, somme toute, lui arrivait rarement. - Dimitri... tu es papa, parvint-elle finalement à articuler en détachant difficilement ses yeux de leur enfant pour les lever vers lui. Regarde la, tu as vu comme elle est merveilleuse ? Elle est... elle est parfaite, mon amour. acheva t-elle en sentant une goutte humide sur son bras. Il... pleurait ? Anya ne l'avait jamais vu pleurer, jamais. Elle n'avait même jamais imaginé qu'elle le verrait pleurer un jour. Jamais il ne lui avait paru aussi beau et touchant qu'à cet instant précis. La jeune femme en aurait presque pleuré elle aussi. On emmena bientôt la nouvelle née. Instinctivement, Anya pressa plus fortement la main retrouvée de Dimitri. L'espace d'une seconde, le souvenir de ses cauchemars était revenu. Et s'il ne leur rendait pas leur bébé ? Et s'ils la faisaient tomber et qu'elle... ? Tout comme Dimitri, Anya ne pouvait détacher ses yeux de leur merveille.
Les minutes avaient semblé durer des heures. Pourtant, la merveille regagna bientôt les bras de sa mère qui se jura de ne plus la lâcher de si tôt. C'était trop éprouvant, presque cauchemardesque, même avec Dimitri à ses côtés. Après un regard attendri vers la mère et l'enfant, la sage-femme s'enquit du prénom de leur bébé. Enfin quelque chose de facile, songea la jeune femme après un regard complice à Dimitri. Reportant son entière attention sur leur fille, elle déclara, sourire aux lèvres : - Bienvenue au monde Abigaëlle. Puis relevant la tête, elle s'adressa à la sage-femme afin d'officialiser les choses : - Elle s'appelle Abigaëlle Alexandra Chostakovich. N'est ce pas ? ajouta Anastasia en regardant cette fois dans la direction de Dimitri. Il y a une certaine liste qui s'est avérée très utile que j'ai un jour fait tomber de ta veste en l'accrochant. Depuis c'est une évidence, elle s'appelle Abigaëlle.
« Dimitri... tu es papa. » Je ne voulais pas pleurer, je ne devais pas le faire. Et pourtant quand j’essuyai mes yeux, je les sentais clairement humides au point d’avoir envie de me cacher derrière mes mains. Je n’avais jamais rien vu de pareil, aucune scène de crime n’avait saisi mon cœur à bras le corps avec autant de violence, aucun acte barbare n’avait réussi à m’émouvoir à ce point, et aucun membre du chenil que nous avions à la maison m’avait offert cette étrange sensation. Je pensais qu’ils étaient tout ce que j’avais de plus précieux, avec Anastasia. Je venais littéralement de rencontrer une nouvelle chose qui les surplombait de manière écrasante malgré son apparente fragilité : ma fille. Celle que nous avions ce soir avec Anya, celle dont elle me parlait depuis des mois et que j’avais mis des semaines à accepter comme tel. Celle qui ouvrait des yeux curieux sur le monde, le découvrant pour la toute première fois avec un air surpris. Elle ne connaissait rien de cet univers. Rien de son histoire ni de ce qu’il se passait autour d’elle. Rien de ce que le monde lui réservait ni de ce que nous étions. Rien de ce qu’il s’était dit avant sa venue et nous allions devoir tout lui apprendre. Nous ? … « Regarde-la, tu as vu comme elle est merveilleuse ? Elle est... elle est parfaite, mon amour. » Je hochai doucement la tête, bien incapable de la contredire pour une fois.
La question fusa comme un petit poignard, mais la réponse d’Anastasia eut de quoi violemment me surprendre pour le coup. « Bienvenue au monde, Abigaëlle. » Abigaëlle… Comment est-ce qu’elle… ? J’ouvris de grands yeux en la fixant, incrédule. Je ne lui avais jamais rien dit, je n’avais même pas osé lancer le débat malgré ses demandes car je pensais que rien ne lui conviendrait. Nous ne nous étions jamais mis d’accord sur quoi que ce soit et pourtant elle venait de dire le prénom que je préférais impérieusement, celui que j’aurais voulu choisir pour cette petite fille… Et celui qui allait devenir le sien. « Abigaëlle... » Répétai-je doucement en finissant par hocher la tête, laissant l’information faire son petit chemin dans mon esprit. « … Alexandra. Chostakovich. C’est parfait. » Je n’avais jamais eu de frères ou de sœurs sur qui voir porter mon nom et nous n’étions pas mariés avec ma princesse, mais comprendre qu’elle préférait donner le mien à notre enfant était un sacré cadeau. En Romanov, Anya était très attachée à sa lignée et à ce qu’elle signifiait pour sa famille ; sacrifier cette continuité était en quelque sorte une sacrée preuve d’attachement. Pourquoi est-ce que j’étais aussi stupide pour ne pas y avoir fait attention avant ?
« Il y a une certaine liste qui s'est avérée très utile que j'ai un jour fait tomber de ta veste en l'accrochant. Depuis c'est une évidence, elle s'appelle Abigaëlle. » Avoua-t-elle. Je ne voyais pas vraiment de quelle liste elle parlait, j’en avais griffonné des tas même si le même prénom revenait assez régulièrement comme d’une évidence. Mais en soit, j’étais à des milles de penser à lui en vouloir pour ça. Il y avait ben d’autres priorités, comme d’avancer la main pour oser – enfin – toucher la joue de la petite fille qui fermait doucement les yeux. Un premier contact étrange, la sensation de pouvoir la briser en mille morceaux et l’étonnante impression d’appartenance qu’elle dégageait. La sage-femme sembla satisfaite de la réponse même si elle nous fit épeler l’orthographe, tous ne parlaient pas russe ou quoi que ce soit comme nous avions l’habitude de le faire ; une transition naturelle et inconsciente qui pouvait perturber notre entourage lorsque nous n’y prêtions pas attention.
Elle nous laissa enfin seuls, précisant qu’elle reviendrait un peu plus tard. Jeunes parents définitivement en face à face avec notre premier enfant, je ne parvenais décidément pas à regarder ailleurs que le visage du bébé. Elle était si belle. Si petite aussi… Je me penchai pour embrasser l’épaule d’Anya, appuyant mon menton contre sa peau avant d’y déposer un nouveau baiser. « Tu t’en es très bien sortie. » Murmurai-je à l’attention de la princesse, ne pouvant que constater qu’elle avait géré cela de la meilleure manière qu’il était possible. « Et tu n’as pas insulté la sage-femme, bravo. » Les noms d’oiseaux auraient pu pleuvoir mais elle s’était habilement retenue, ce qui avait eut le don de me donner envie de rire après-coup. Pourtant la situation ne prêtait pas aux rires. Pas à l’allégresse. Pas à toute cette joie qui débutait. J’avais une dette à payer et, tôt ou tard, celle-ci allait m’attraper violemment pour me faire avouer mon crime.
Minuit était passé quand Ava toqua à la porte, félicitant les parents pour cette naissance, mais me faisant signe de la suivre. J’échangeai un regard avec Anastasia, embrassant son front doucement avant de m’écarter de là pour la suivre juste à l’extérieur de la salle. La jeune femme avait l’air nerveuse, elle triturait ses doigts et évitait mon regard alors que sa mâchoire se crispait ; je connaissais très bien ce genre de mimiques. Cela signifiait que quelque chose n’allait pas et, même si je n’étais pas proche d’Ava, je me doutais de ce qu’elle allait bien pouvoir me dire. Restant à un mètre d’elle, la poignée de la porte fermée encore dans la main, je la vis me désigner du menton les doubles portes sécurisées au bout du couloir. « Ils… Il y a… » Elle bafouillait, sans doute incertaine de ce qu’elle devait dire. Je tournai les yeux mais je savais déjà ce que j’allais trouver. « La police nous a informé que tu étais recherché… Et nous ne pouvons pas refuser leur entrée même si c’est un secteur protégé. » Les forces de l’ordre surplombaient parfois le secret médical visiblement. Je déglutis, essayant de réfléchir à toute allure même si je la voyais peu à peu se décomposer.
« Qu’est-ce que tu… » Commença-t-elle, mais je l’interrompis doucement. « Anya n’est pas au courant. » Elle ne risquait pas, comment aurait-elle put l’être. Je sentis mon cœur s’accélérer dangereusement, l’adrénaline s’emparant de mon corps. Pas tout de suite. Pas maintenant. Pas alors que je venais de rencontrer Abigaëlle et que je n’avais qu’une seule envie : rester auprès d’elles. Ces deux femmes qui devaient être tout pour moi. Tout. « Donne-moi cinq minutes, s’il te plait. » La suppliai-je alors dans un murmure. Je n’avais pas cinq minutes à demander, je ne méritais sûrement pas ce délai alors que Clarisse ne l’avait pas eut. Je ne méritais rien d’autre que la prison, et sûrement pas de profiter de ma fiancée comme un homme libre. « Cinq minutes. Pour leur dire au revoir... » Elle ouvrit la bouche, semblant hésiter en lorgnant vers les portes. Je savais que les secondes étaient comptées. Le temps nous rattrapait. Aussi, quand elle hocha la tête d’un air effrayé mais résolus, je la remerciai d’un signe de tête en me dépêchant de retourner à l’intérieur.
Fermer derrière moi la porte soigneusement. Retrouver le visage souriant d’Anastasia et notre fille endormie. Son regard croisa le mien et son sourire disparu, laissant place à un doute qui revenait de plus bel. Elle allait savoir. Elle allait comprendre et découvrir. « Anastasia... Je dois te parler. » Et elle allait me détester pour ce que je venais de faire… Comme pour ce qui allait se passer.
Anastasia Romanov
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Anastasia était bouleversée, sans pour autant parvenir à comprendre ce qui la touchait autant. La rencontre d'avec leur enfant ? L'émotion de Dimitri ? Ses propres émotions qui explosaient en son sein tel un joyeux feu d'artifice ? Tout à la fois, sans doute. - C'est la plus belle personne que j'ai jamais vue au monde, parvint-elle finalement à murmurer, ne pouvant détacher ses yeux de leur petite fille. Dimitri, elle le sentait, était de son avis et c'était bien normal. Comment aurait-il pu en être autrement ? On dit que les femmes sont mères dès le moment où elles se savent enceintes mais que les hommes ne deviennent véritablement père qu'en voyant leur enfant. C'était sans doute vrai, particulièrement pour l'esprit rationnel de Dimitri qui exigeait toujours des preuves. Et quelle merveilleuse petite preuve ne pouvait-il pas à présent dévorer des yeux ! Délicatement, Anastasia avait déposé un baiser sur le front de leur fille, prenant soin de seulement l'effleurer, de peur de la casser, elle qui était si fragile ! Pourtant, Anya l'aurait volontiers couverte de baisers, tout comme ses lèvres brûlaient de rencontrer celles de Dimitri. L'ancienne orpheline avait à présent deux êtres à aimer de tout son cœur. Une petite famille, certes, mais une famille avant tout. Pouvait-elle être plus heureuse qu'en cet instant ? Difficilement. Pourtant, son sourire ne s'étira que d'avantage quand elle lut l'incrédulité sur le visage de Dimitri à l'annonce du prénom de leur fille. Abigaëlle. Comme il l'avait désiré. Comme écrit sur l'une de ses listes ou, plus précisément, comme il l'avait écrit puis souligné et entouré comme on le fait avec les bonnes réponses dans les questionnaires. Une évidence, donc. Mais Anya n'avait rien dit, préférant garder la surprise pour le jour J. La rouquine aimait lui faire de l'effet, qu'il s'agisse de le surprendre ou de l'agacer. En l'occurrence, la surprise était totale quand il répéta, toujours choqué, le prénom, son prénom. Un prénom parfait pour une enfant parfaite. Un prénom choisi avec l'amour le plus grand et dans le secret le plus total. Totalement digne de Dimitri. Une chance qu'il laisse trainer ses papiers sans réfléchir. - C'est parfait, approuva Dimitri, comme pour donner encore plus de poids aux pensées de sa rouquine. Il n'en dit rien mais Anastasia le sentit touché par cette histoire de nom de famille. C'était à présent officiel : il n'y aurait plus de Romanov. Mais de toute façon la lignée avait disparu depuis longtemps, non ? Anya n'avait d'ailleurs aucune envie de monter sur le trône. Cela n'avait jamais été dans ses projets. Je veux juste une famille, même petite, avait-elle souvent demandé au Père Noël. Rien de plus, même si, au fin fond de son orphelinat, couchée sur un lit de paille, elle avait parfois rêvé d'être une princesse. "Je suppose que toutes les petites filles rêvent d'être des princesses" avait-elle même confié à Dimitri le jour de leur rencontre. Puis elle l'avait et choisi et elle savait qu'elle continuerait à jamais de le choisir. Lui, son statut, le peu qu'il pouvait lui offrir et son nom. Si Anya devait être une princesse, elle voulait être la sienne et uniquement la sienne. Accessoirement, elle se souvenait du penchant traditionnel de Dimitri. Or, la tradition ne veut-elle pas que l'enfant prenne le nom de son père ? Et quel merveilleux père voyait-elle déjà en Dimitri ! Et quelle belle famille ! Non, vraiment, elle renonçait sans peine à son nom et à son histoire car celle-ci était déjà écrite. La leur, en revanche, leur appartenait et commençait à peine. Dimitri avança finalement un main hésitante en direction du visage d'Abigaëlle. Tout comme Anya plus tôt, lui aussi sembler craindre de lui faire du mal. Aucun d'eux ne se le serait pardonner. - Tu veux la prendre dans tes bras ? proposa Anastasia en caressant le dos de la main de Dimitri sans quitter leur merveille des yeux. C'était aussi sa fille, après tout. Il était normal que Dimitri et elle fassent plus ample connaissance. Et puis ce n'était pas donner son enfant à une inconnue, qu'elle porte ou non une blouse blanche. A cet instant, Dimitri était bien le seul qu'Anya se sentait capable de laisser s'approcher d'Abigaëlle. Un instinct de louve, en quelque sorte. Abigaëlle était bien trop fragile pour que sa mère ne fasse pas attention à qui l'approcher ! Et tandis que le père et la fille s'apprivoisaient l'un l'autre, Anastasia s'arma de patience pour épeler le prénom et le nom de leur enfant, demandant à vérifier ce que la sage-femme avait écrit, des fois que. Pure mesure de précaution, en fait. Tout devait être parfait pour Abigaëlle. La sage-femme sembla compréhensive puis se décida - enfin - à déguerpir. Enfin seuls, manqua de commenter Anastasia, satisfaite d'avoir sa petite famille pour elle toute seule. Elle n'en fit pourtant rien, se contentant de savourer l'instant présent. Détournant le regard d'Abigaëlle, elle observait Dimitri dans ses premiers instants en tant que père. Il était tellement beau... presque autant que leur petite merveille. Décidément, la paternité lui allait vraiment bien au teint. Il rayonnait. - Tu t'en es très bien sortie, commenta t-il après un instant, le menton posé sur son épaule. Fière, elle déposa un baiser sur cette joue qui avait la bonne idée d'être contre la sienne. L'instant d'après, le couple de jeunes parents reprenaient ses bonnes vieilles habitudes. Tout allait bien dans le plus parfait des mondes. - Et tu n’as pas insulté la sage-femme, bravo, la taquina t-il comme à son habitude. Tirant la langue comme une enfant, Anya rit de bon cœur. - Elle l'aurait pourtant mérité à certains moments, confessa t-elle joyeusement. Ca ou des coups de pied, j'avoue avoir hésité. Un commentaire de plus et elle y passait. C'était... intense. Mais je serais prête à recommencer mille fois pour notre Abigaëlle, ne put-elle s'empêcher de conclure en posant à nouveau ses yeux sur leur fille.
Anastasia se délectait de tout ce bonheur quand Ava les interrompit. Elle avait dû avoir vent de la naissance. D'ailleurs, elle les félicita plus d'une fois avant d'entraîner Dimitri à sa suite, laissant la mère et l'enfant seules après seulement un baiser. D'instinct, le cœur de la jeune femme se serra. Pourquoi lui enlevait-on la moitié de sa famille ? Pendant quelques secondes, elle ne put quitter la porte close des yeux, sentant ses entrailles se nouer. Il allait revenir, pas vrai ? - Ne t'en fais pas, papa revient vite, chuchota t-elle en baisant le front d'Abigaëlle. Anya était pourtant moyennement convaincue de ce qu'elle venait de dire mais il fallait qu'elle s'en convainc. Dimitri allait revenir, il le fallait, elles avaient besoin de lui. Pourtant il revint seulement quelques instants plus tard. - Tu vois ma chérie papa est déjà... Relevant la tête vers son fiancé, Anya avait croisé son regard et comprit qu'effectivement quelque chose n'allait pas tandis que la fin de sa phrase se perdait dans le néant. Les quelques mots de Dimitri ne firent que le lui confirmer. Il faut qu'on parle. Ca, ça n'annonce jamais rien de bon. Dans ce monde ou dans tous les autres. Les yeux écarquillés de terreur, Anya cala Abigaëlle de façon à ne pas avoir besoin de ses deux mains pour enfoncer ses ongles dans le matelas. Ses neurones fonctionnaient à toute vitesse, tâchant de comprendre, de trouver une explication, une raison, une justification, quelque chose de pas trop grave qu'elle serait en mesure de surmonter. Mais rien ne vint. Toutes les théories qu'elle échafaudaient s'avéraient cruellement douloureuses. L'affaire était grave, c'en était certain. Mais à quel point ? Fermant les yeux de toutes ses forces, Anya tâcha de se concentrer, de faire le vide et de trouver une force intérieure qu'elle ne pensait pas posséder puis exigea : - Parle. Ne fais pas durer mon supplice, tout est déjà gâché. Dis-le que tu nous abandonnes. Dis-le que j'avais raison de m'inquiéter. Dis-le que je t'ai déjà perdu. Ca ne peut être que ça, n'est ce pas ?
Pourquoi est-ce que ça devait se passer comme ça ? Pourquoi est-ce que tout devait sombrer à ce point dans les ténèbres ? Y étais-je autant enfoncé que je ne parvenais même plus à voir la lumière d’où j’étais ? La toile se refermait, le piège se verrouillait et je me rendais compte à quel point j’étais prisonnier de tout ça. J’étais allé exactement là où il voulait que j’aille. Je m’étais rendu dans le bon chemin, suivant ses indications, et je venais de trouver le nid de guêpe qu’il avait placé là pour m’accueillir. Lui, Aloysius Black. Un homme, un psychiatre, un ami mais aussi un mentor et un diable. La raison même de la déchéance qui venait de me prendre à bras le corps et de me faire chuter dans les abymes profonds de l’obscurité. Je venais de tuer quelqu’un. Je venais de mettre un terme à l’existence d’une femme qui avait remplacé un ami, et je l’avais fait sans un seul geste de remords. Pire, je m’étais enfuis des mains de la justice pour assister à la naissance de ma fille et j’avais pu avoir plusieurs heures de répit quand d’autres croupiraient déjà en prison. Je ne méritais pas tant d’attention et de chance. Je ne méritais aucune clémence ni aucun pardon. J’avais cru voir Aloysius dans le regard de la maire puis plus rien. Plus personne. Pourtant, c’était son sourire que je devinais derrière moi alors que je faisais face à Anya.
« Parle. » M’ordonna-t-elle d’une voix blanche en me dévisageant, tenant contre son sein la petite Abigaëlle qui n’écoutait déjà plus la conversation. Qui n’avait aucune idée de ce qui était en train de se jouer et qui ne l’apprendrait que bien plus tard. Que je ne verrais peut-être pas grandir. « Ne fais pas durer mon supplice, tout est déjà gâché. » Je détournai le visage, me mordant l’intérieur de la joue sous l’accusation qu’elle venait de porter à mon encontre. Tout gâcher. J’étais effectivement le spécialiste pour foutre toute notre histoire en l’air, depuis le début jusqu’à la toute fin, je ne saurais jamais faire preuve d’un peu de bon sens nécessaire à notre pérennité. J’avais tissé moi-même la corde que je m’apprêtai à me passer autour du coup. J’avais aiguisé mes propres poignards. Je me plantais une lame en plein cœur. « Dis le que tu nous abandonnes… Dis)le que j’avais raison de m’inquiéter. » Je secouai la tête, sans doute plus pour me persuader moi-même que pour réellement la contredire.
« … Je ne vous abandonne pas… » Murmurai-je doucement, à peine audible alors que je me répétais cette phrase inlassablement. Je ne les abandonnais pas. Je ne voulais pas les abandonner. Je ne voulais plus. J’avais rencontré Anya. Puis je découvrais aujourd’hui Abigaëlle. Je ne pouvais pas les laisser ni les abandonner, je… « Dis-le que je t’ai déjà perdu. » ça par contre, c’était vrai. J’étais perdu, et le regard empli de regrets que j’osais enfin affronter au sien ne pouvait que confirmer ma culpabilité. J’étais perdu depuis longtemps, j’avais dévié de sa route et tout nous avait séparé ; nous qui pensions être si unis que nous n’avions même pas vu le coup venir. Je n’avais rien prévu, c’était arrivé comme ça. Une occasion. Un moment. Une décision. Et des vies qui basculent l’arme à gauche sans même avoir put décider de quoi que ce soit. Au fond, je n’étais que l’instrument macabre d’un plan qui me dépassait… C’était ce que j’essayais de croire. Accuser l’autre était le propre de l’être humain, je n’avais même pas retenu la bonne leçon.
« Ca ne peut être que ça, n’est-ce pas ? » Je déglutis avant de m’avancer à sa hauteur. « Anya, ne… » Mais je retins ma main. Je ne pouvais pas la toucher. Je ne pouvais pas toucher ma fille. Je le devais mais je n’en avais aucun droit, c’était plus qu’illégitime de ma part de réclamer une telle attention. Ce soir. Maintenant ? Immédiatement. « Anya, je t’aime. Je t’aime plus que tout… » Commençai-je à parler, soudain pris de cours par le flot de paroles qui ne demandaient qu’à sortir. « Je t’aime toi. Et ce soir j’aime notre fille, Abigaëlle. Je vous aime… » Ma voix tremblait malgré moi, sous la pression et la peur. La peur de ne pas avoir assez de temps. De ne pouvoir leur dire la vérité. De les décevoir, car c’était ça que je lisais au fond de ses yeux : j’étais en train de gâcher la naissance de notre fille. La chose qui comptait presque le plus pour elle, qu’elle avait tant attendu, et mon égoïsme balayait tout comme d’un vulgaire chiffon.
Je saisis sa main dans les miennes. Je la serrai entre mes paumes et déposai un baiser sur ses doigts. Mon souffle était saccadé, je tentais de le mesurer mais j’avais beaucoup de mal à garder la maîtrise de moi-même. Mes blessures me lançaient à nouveau. Mon état commençait à faire peser le poids de son mauvais traitement. « … Mais j’ai fait quelque chose d’horrible ce soir. » Je le reconnaissais pour la première fois depuis le début de la soirée. Je reconnaissais que j’étais l’auteur macabre d’un crime dont tous les journeaux allaient parler le lendemain. « Je t’avais dit que, quoi qu’il arrivait, je t’aime. Tu as voulu m’aider mais tu ne pouvais pas... » Je n’arrivais pas à le dire si facilement, finalement. Lui avouer mon acte. La mettre dans la confidence et voir son expression effrayée quand elle saurait. Parce qu’elle le saurait, tôt ou tard. « Je te jure que je t’aime. Quoi qu’il arrive maintenant, je t’aime… Alors s’il te plait. N’oublie pas. » Je pressai un peu plus sa main, tendant le bras pour caresser la tête de notre bébé.
Plus le temps. Plus aucun temps. Sa morsure est fatale.
« Demain tu vas entendre beaucoup de choses à mon sujet. Les journalistes vont écrire beaucoup de choses. Mais ne les croit pas. Ne les écoute pas. Je n’ai pas fait ça par folie ou par appât du gain. Je n’ai pas fait ça parce que j’étais jaloux… » Non. Je l’ai fait parce que je voulais sauver Aloysius et que ceci aurait dû le ramener. Je l’avais fait parce que c’était le meilleur moyen de protéger ma famille. Je l’avais fait parce que tout était prévu comme ceci et que rien ne pouvait échapper à son destin. Je fixai ses yeux bleus, l’obligeant à me regarder malgré les multiples réactions que je lisais dans son regard ou sur son visage. La colère. L’ébahissement. La fureur. Le dégoût. Le désespoir. « Ils sont venus me chercher, tu sais ? » Murmurai-je, comme pour lui expliquer ce qu’on savait tous les deux. Je ne voulais pas qu’elle les voit. Qu’ils la voient et qu’ils approchent notre fille. Je ne voulais pas qu’Abigaëlle soit exposée à ces personnes ni qu’Anya n’ai à subir ça.
Mais ce n’était plus à moi de décider de ça.
J’entendis la porte s’ouvrir derrière moi et je fermai les yeux. Des secondes qui durent des heures. Juste croiser son regard brièvement. « Tout ce que je voulais, c’était vous protéger. Toi et… Abigaëlle. » Je ne comptais pas fuir. Ne ne comptais même pas résister, alors qu’une main s’abattait sur mon épaule et la pressait avec force. « Monsieur Chostakovich ? Vous êtes en état d’arrestation pour le meurtre de Clarisse White et tentative de fuite. » Deux grands gaillards armés qui me regardaient, alors que moi je n’avais d’yeux que pour elles. Ces femmes. Ces personnes qui comptaient le plus pour moi. « … Je t’aime. » On me tira en arrière avec fermeté et on m’obligea à poser genoux à terre. Je remontai les mains derrière mon crâne alors qu’ils sortaient les menottes, l’un d’eux tenant leur arme de service dans les mains par sécurité, et me les passait aux poignets. « Prévient le central qu’on l’a récupéré. On l’embarque. »
Je me levai quand ils tirèrent sur mes bras pour m’entraîner à leur suite. Un seul regard à Anastasia, puis je me détournai. J’étais venu pour elle. Je m’étais enfuit pour elle. Et désormais je devais payer pour cela. Je croisais le visage désolé d’Ava lorsque je passai à côté, la suppliant presque du regard de s’occuper d’Anastasia. Mon visage était neutre. Creusé. Epuisé. Comme le poids d’un fardeau qu’on venait de lâcher sur mes épaules pour me rappeler ma place. On m’éloigna de là. On m’écarta de ma famille. Passant par un escalier de secours sécurisé pour l’occasion, ils appuyèrent sur mon crâne pour le faire entrer dans la voiture. Deux policiers autour de moi pour s’assurer que je ne m’enfuyais pas cette fois… Quel honneur.
Je n’avais plus l’intention de fuir. Je ne pus que prendre mon visage entre mes mains et supporter le poids de ma culpabilité.
Anastasia Romanov
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| Conte : Anastasia | Dans le monde des contes, je suis : : Anastasia Romanov
Il parait que les condamnés à mort français demandaient souvent à ce que la lame de la guillotine soit aiguisé avant l'heure fatidique afin que le couperet tombe nettement et proprement. Beaucoup trouveraient cette idée grotesque mais pas Anastasia et surtout pas en cet instant. Que Dimitri y aille vite et bien, comme quand on arrache un pansement, histoire d'en finir au plus vite. Sinon c'était l'ulcère assuré. Le regard de Dimitri annonçait des choses atroces. Sa fuite également. Anya le voyait serrait des dents. Il était fébrile, peut-être plus qu'elle même ne l'était. Anya ne l'avait jamais vu comme ça. Cette vision était tout bonnement terrorisante. Finalement, il reporta un regard empli de regrets sur elle et Anastasia comprit qu'effectivement, la situation était grave. Pas besoin de mots. Ses deux iris et ce que la rouquine y lisait valaient cent discours sinon mille. Mais Anya était bien incapable de poser la moindre question, se contentant de le regarder et d'attendre qu'il parle, comme elle le lui avait assez froidement demandé. Et il parla effectivement, plus que jamais. D'ordinaire, pourtant, il lui fallait bien dix minutes de réflexion pour placer trois mots, mais pas cette nuit là. Cette nuit là, il y avait urgence. C'était maintenant ou jamais et il fallait jouer cartes sur table avant qu'il ne soit trop tard. Alors Dimitri dévoila peu à peu son jeu et ses sentiments, qu'il exprimait si rarement d'ordinaire. Sauf ce soir, parce qu'il y avait urgence et que le temps allait leur manquait. Jamais il n'avait autant répété je t'aime. Ce n'était pas son genre, à lui qui était aussi avare en mots. D'ailleurs, ils n'avaient souvent pas besoin de mots pour se comprendre. Sauf ce soir où les mots étaient nécessaires parce que c'était peut-être la dernière fois qu'il pourrait les lui dire. Après le regard et les mots, il avait tendu la main vers Anastasia et Abigaëlle avant de se raviser. Anya s'était alors demandée si elle devait la lui prendre, si c'était réellement leur dernière occasion, mais elle non plus n'avait rien fait. L'esprit vide, la jeune femme se sentait bien incapable de quoi que ce soit, y compris de parler. Pour une fois, c'était lui la pie bavarde et elle qui écoutait, elle qui réfléchissait même si sa réflexion n'était pas réellement fructueuse. Son esprit, débordant généralement d'idées et de projets, était désespérément vide. Seules les paroles de Dimitri y résonnaient tandis que la jeune femme essayait d'en trouver le sens caché. Dimitri saisit finalement cette petite main qu'il avait envisagé de prendre avant d'abandonner - temporairement - l'idée. Anastasia le laissa faire, se contentant de presser ses doigts maladroitement tandis qu'il caressait leur enfant endormie. Puis l'aveu, car il s'agissait bel et bien d'un aveu, tomba, tel le couperet qu'elle avait imaginé. Il avait fait quelque chose d'horrible et, à défaut d'avouer le crime, il avouait la culpabilité avant de marteler de nouveaux je t'aime comme pour penser ses plaies invisibles et imprimer cette idée dans l'esprit de la jeune femme. - Tu aurais dû me laisser essayer, au moins essayer, murmura t-elle d'une voix blanche, sentant une larme rouler sur sa joue. Anastasia ne prit pas la peine de l'essuyer et la laissa rouler librement sur sa joue puis dans son cou et jusqu'à son décolleté. Dimitri n'avait rien dit de plus concernant la chose horrible qu'il avait faite et Anya ne voulait pas en savoir d'avantage. De toute façon, ainsi qu'il ne tarda pas à le rappeler, elle le saurait bien assez tôt. Vivre avec un journaliste lui avait en effet montré que tout finit toujours par se savoir, et d'autant plus les choses horribles. Les journaux et leurs lecteurs sont friands de ce genre d'histoire, après tout. Donc elle saurait. Fatalement. A demis mots, Dimitri avoua que la police était venue pour lui. Anya frissonna à cette idée mais ne cilla pas, continuant de le fixer de ses grands yeux bleus étonnamment vidés de leur animation habituelle. Inconsciemment, elle tâchait d'en mémoriser chaque centimètre, remarquant pour la première fois une plaie fraiche sur son cou. La jeune femme réalisa alors qu'elle n'avait vraiment vu u ce qu'elle avait bien envie de voir alors que la vérité avait toujours été sous son nez. Que devait-elle dire ? Que devait-elle faire ? Qu'aillaient-ils devenir ? Tant de questions et si peu de réponses. Une seconde larme roula le long de sa joue, bientôt suivie d'une troisième. - Tu aurais dû me laisser essayer, répéta t-elle. On en serait peut-être pas là, devant tout ce gâchis. Je me fiche de ce que tu as fait. Tout ce qui importe c'est notre famille. Vous êtes tout ce que j'ai toujours voulu. Je ne voulais pas d'argent. Je ne voulais pas de belle maison. Juste une famille, notre famille et on l'avait. C'est elle qui devrait compter. Est ce que tu as pensé à elle ne serait ce qu'une putain de fois ? Tu es papa, Dimitri. Tu es SON papa et Abigaëlle a besoin de son papa autant que j'ai besoin de mon compagnon. Je suis censée faire comment sans toi ? Comment tu veux me protéger si tu n'es pas là ? Comment tu veux la protéger ? Je t'aime, merde ! L'instant d'après, Anastasia fondait en larmes tandis que la police débarquait dans cette chambre qui aurait du être un havre de bonheur et d'amour. Relevant la tête et les yeux embués de larmes, Anya observa impuissante l'arrestation du père de son enfant. Il la regardait sans ciller, tout comme elle ne cilla pas. C'était maintenant ou jamais. Après, dieu seul savait de quoi demain serait fait. Dimitri ne résista pas pendant qu'une brute épaisse le maîtrisait. Anya avait envie de vomir devant l'horreur de la scène. Et puis la sentence tomba : Dimitri, à présent à genou à quelques mètres du lit, était arrêté pour meurtre et tentative de fuite. Ces quelques mots semblèrent s'imprimer plus rapidement et plus durablement que tous les je t'aime qu'il avait pu égrainer pendant leurs derniers instants. Ce n'était pas possible. Dimitri n'était pas un meurtrier. Dimitri était une bonne personne. Cela ne pouvait pas être réel. Mais pourtant ça l'était. Et c'était en train de se produire, juste sous le nez d'Anastasia et de leur bébé. Par chance, cette dernière dormait et n'aurait jamais aucun souvenir de ce moment. La mère, en revanche,... comment pourrait-elle oublier l'arrestation de l'homme de sa vie, qui plus est à un moment pareil ? Et surtout, que devait-elle faire ? Aucun des livres pour préparer la maternité ne mentionnait ce cas de figure. D'ailleurs, aucun livre tout court n'en parlait, parce que ça n'arrivait pas, ou alors ça n'arrivait qu'aux autres, voire dans les séries. Sauf cette nuit là. Dimitri était à nouveau debout - et menotté - prêt à suivre les deux policiers, prêt à quitter cette pièce et potentiellement la vie de ses deux femmes. Dieu seul aurait pu le dire. C'est maintenant ou jamais, songea Anastasia aussi blême que la mort ou, du moins, que les draps de son lit. - Si déjà tu m'arraches le cœur emmène le et prends en soin, il a toujours été à toi, de toute façon, reprit elle en essuyant enfin ses yeux. Là, tout de suite, c'est pas vrai mais moi aussi je... ! lança t-elle plus vivement tandis que la porte se refermait sur l'homme de sa vie. Et puis plus rien en dehors du silence sépulcral, terriblement pesant et de la solitude. Baissant les yeux, Anastasia regarda sa merveille endormie, réalisant qu'à présent elles n'étaient plus que deux. la jeune maman déposa délicatement Abigaëlle dans son berceau avant de se recroquevillée seule sur son lit, pleurant en silence par égard pour la merveille qui dormait non loin d'elle.