Comment dire? Il existait des gens qui croyait aux miracles de Noël. C'est vrai. Le mois de décembre était un mois propice aux douces surprises, avec son cargo de neige, de décorations lumineuses, de vin chaud aux épices et de chocolat chaud à outrance... Le Granny avait même un petit côté... Magique. Oui, c'était en décembre que Jamie aimait le plus travailler. A croire que les marshmallows qu'il glissait dans les cacaos étaient saturés de poussière de fées. Couple qui se rabiboche, familles apaisées et heureux, crise de dents miraculeusement interrompue par un lait chaud au sucre, même la pleine Lune du mois semblait perdre ses effets sur Ruby, qui portait avec une fierté non dissimulée sa couleur préférée, revenue l'espace d'un mois dans le top trois des couleurs en vogue. Alors oui, Jamie pouvait bien concevoir que des gens, quelque part, croyaient aux miracles de Noël. Mais là tout de suite, ce n'était vraiment pas son cas.
Comment il en était arrivé là? Qu'est-ce qui avait fait qu'il se retrouve là, planté comme bonzaï devant la porte ouverte de celle qu'il avait mit une vie entière d'orphelinat à détester? Avec des fleurs en plus! Non mais pourquoi, pourquoi nom d'une nébuleuse enragée est-ce qu'il avait encore une fois écouter les conseils des autres et pas son foutu instinct?! L'expression de Robyn exprimait la même exacte question qui lui fusillait la cervelle. Pourquoi? comment? Pourtant tout les deux savaient. Ils savaient qu'ils étaient tout simplement tombés dans le guet-happen le plus tordus de l'histoire et pourtant, ils habitaient dans une ville déjà bien tordue à la base.
-Sam, murmura-t-il, au moment où Robyn faisait de même.
Evidement. Qui d'autre? Qui d'autre avait pu imaginer une telle idée? Une idée tordue, bizarre, limite flippante. Les réunir, eux?! D'accord, Sam était souvent droguée mais là, elle devait s'être grillé un fusible et de façon extrêmement sérieuse! En même temps, pourquoi est-ce qu'il l'avait écouté? Pire, pourquoi est-ce qu'il avait acceptée ce plan foireux? Oui, d'accord. Depuis l'épisode du Cavalier, et même déjà un peu avant, Jamie avait plutôt refréné ses sorties et ses soirées. D'accord, ça faisait un très long moment qu'aucune nouvelle tête n'était venu croisé son chemin, et ça faisait autant de temps qu'il n'avait pas cherché à en croiser. Et pour cause! Les rares fois où il avait croisé une nouvelle personne, ça c'était révélé être un dieu ou une créature magique quelconque qui lui avait fait perdre un petit bout de sa cervelle et de son âme par la même occasion! Alors oui, d'accord, c'est vrai, Jamie n'était pas vraiment demeuré le gars 'cool' de ses années lycées. Et alors? C'est ce qu'il aurait du répondre à Sam ce jour là.
Mais Sam était une personne têtue. très têtue. Et très peu capable d'accepter un 'non' quand elle a une idée derrière la tête. Et autant dire que ça avait quasiment tourné au harcèlement lorsqu'elle s'était mise en tête d'envoyer Jamie au bal de Noël. Or lui n'en avait aucune envie. Un bal? Pour quoi faire? Certes, il aimait bien danser, et oui, il aimait bien l'ambiance de Noël mais entre 'aimer bien' et 'vouloir y aller', il y avait déjà un petit gouffre. Gouffre que Sam avait rempli au fur et à mesure, à force de patience, et aussi, oui, à force de remarque plus ou moins bien placée visant à le faire réagir. En gros, Sam l'avait eue à l'usure. Et puis, ce n'était pas la première fois qu'il acceptait un 'blind date' organisé par Sam. C'était ce qu'il s'était dit, en lâchant finalement un 'D'accord, ok!' exaspéré entre deux plats de tartiflettes. Malheureusement, ça n'était pas exactement le même calibre qu'un 'blind date' habituel, visiblement.
Refermant la bouche bée qui avait défigurée son visage en voyant à la porte de qui il venait de sonner, il considéra un instant sa peste attitrée. Sérieusement, un jour, il faudrait qu'il parle aux responsables des générateurs de poisse. ça devenait urgent. Il y eut un silence, assez lourd, avant qu'il ne se souvienne du bouquet de fleur qu'il avait acheté. Génial. Connaissant son vis-à-vis, il avait encore trois secondes avant qu'elle n'éclate de rire. Chevalier Servant et dandy à la fois. Il cumulait les points. Si on ajoutait à cela le fait qu'il soit en costume trois pièces, il devait atteindre des sommets dans le jeu vidéo que devait être le cerveau de Robyn. Quoi que... Au moment où sa main eut un geste quasi désespéré, qui attira le regard de Robyn sur son bouquet blanc et rose, il réalisa qu'il n'était pas le seul à avoir fait un effort vestimentaire. A dire vrai, c'était la première fois que Jamie la voyait en robe. Et maquillée. Enfin, elle devait être maquillée tous les jours mais il n'avait jamais fait attention. Elle avait même mit du parfum. Un parfum un peu masculin d'ailleurs. Cela le fit presque sourire intérieurement.
-Euh... Bonsoir? fit-il après un silence. Apparemment toi aussi tu es victime d'un des pièges de Sam.
Il eut une sorte de moue, pas certain de trouver la situation ni désespérée ni drôle. C'était presque habituel entre eux. Pas que ça rende le tout moins étrange.
-C'est, euh... ajouta-t-il après une hésitation, en désignant les fleurs qu'il tenait toujours à la main. C'est pour toi, mais je sais pas si t'es très "fleurs" alors...
Dieu merci, il avait gardé le bracelet fleurie sur le siège passager de sa voiture. Et dieu merci, il avait laissé Mandy au garage...

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, vu mon pessimiste incroyable, je ne déteste pas noël. Bon, je supporte moyennement les élans d'amour et les gens qui se font pleins de câlins comme dans « Love Actualy ». Celui qui osera s'approcher de moi pour me prendre dans ses bras, il ne recommencera pas deux fois. Mais j'apprécie cette période de l'année. J'aime l'odeur des sapins, boire des chocolats chauds et aller faire des bonhommes de neige dans le parc. Quand il est plus de minuit et qu'il n'y a personne, bien sûre. Je fais toujours des bonhommes et des maisons en pain d'épices, j'ai pleins de clients, je suis de plus en plus riche pendant cette période et je peux m'offrir quelques extras. Mon psy m'offre des chocolats en plus, à chaque consultations. C'est chouette.

Mais j'attire la poisse. À croire que toutes les conneries de l'univers ont décidés de se jeter sur moi pour m'attirer dans les pires traquenards. Ou alors, c'est juste que l'autre droguée a encore frappée. Je la déteste.

- Sam...

J'avais laissé échappé dans un souffle le nom maudit, en regardant sans bouger mon cocker attitré devant ma porte. Que ce que j'avais fait, sérieux ? D'un côté, c'était ma faute. J'aurai dû me souvenir que ce n'est pas possible de faire confiance à cette ravagée. Sam n'est pas mon amie. Mais c'est une connaissance, et c'est déjà énorme. Elle vient souvent à la pâtisserie me commencer des gâteaux, et parfois, elle m'offre certains de ses cupcakes spéciaux. J'ai arrêté depuis que je me suis réveillée coincée dans le toboggan qui se trouve dans la cours de récréation de l'école maternelle. J'aime bien emmerder le monde, mais là, c'était un peu trop extrême, même pour moi. À part ça, Sam est cool. Elle se moque des gens sans vraiment se moquer d'eux, et elle fait des trucs bizarres avec des plantes. Un vrai cas, cette gonzesse.

J'aurai dû deviner que je ne pouvais pas lui faire confiance. Elle est serveuse chez Granny, sérieux ! Quand elle était venue me voir à la pâtisserie l'autre jour, ça aurait dû être clair. Pour vouloir à tout prix forcer quelqu'un à aller à un bal danser, avec des gens, faut avoir une idée derrière la tête. Je ne sais même pas pourquoi j'ai accepté. Sûrement parce que je déprimais depuis ce qu'il s'était passé à Sugar Rush. Quelque chose s'était sérieusement brisé en moi. Je n'avais même plus envie d'insulter tout le monde. J'étais malade, et ça me faisait peur. Alors aller danser avec un espèce d'inconnu qui m'apporterait bien gentiment des verres d'alcool à foison, je voyais pas trop pourquoi dire non. Vu qui était devant ma porte, je comprenais que c'était la pire idée que je puisse avoir.

Skyrunner. Devant chez moi, en costume super classe. Et avec des fleurs à la main. Pincez-moi, je rêve ! J'allais vraiment aller au bal avec Jamie ? On ne pouvait pas se voir en peinture, ça serait invivable. Merde, j'étais presque triste de savoir que j'allais devoir annuler les festivités.J'avais carrément fait des efforts. J'avais été dans un vrai magasin, où on trouve des vraies fringues pour filles. Des robes. Et pas noires. Je me sentais gênée, à me montrer comme ça devant Jamie. Il était censé ne voir que l'horrible peste Robyn, celle qui est toujours sombre comme la nuit et qui crache son venin plus vite que son ombre. Pas... ça. Pas dans cette robe rose et blanche, de la même couleur que le bouquet qu'il tenait à la main. C'était la vendeuse qui me l'avait conseillé. Elle trouvait que ça me mettait « en valeur ». J'aurai préféré quelque chose de plus sombre, mais je voulais faire des efforts, donc j'avais sagement écouté la vendeuse. Pour l'occasion, je m'étais même lâché les cheveux. Ce qui était plus rare que de voir la reine d'Angleterre. Ma tignasse brune ne quittait jamais le sommet de mon crâne. Là, je les avais brossé pour qu'ils soient bien soyeux et tout, et tout. Et encore pire. J'avais mis des talons. Pas trop hauts, mais quand même. C'était presque à se demander si j'avais été échangé par des aliens.

Ce que Jamie devait se demander. Vu sa tête, il avait l'air d'avoir du mal à se remettre. Il voulait pas repartir ? Je réussi à refermer ma bouche qui me donnait un air de poisson hors de l'eau, et je me mis à lisser nerveusement le bas de ma robe. Je me sentais aussi mal à l'aise que si j'avais ouvert la porte totalement nue.

- Bonsoir... c'est Sam alors ? Dès que je la vois, je te jure, je vais la tuer...

Je poussais un soupire et secouais la tête. Je savais pas trop si elle était pote avec Skyrunner. Pour qu'il soit mon « prétendant' » de noël, c'est qu'elle devait être un minimum proche de lui. Cette fille a beaucoup trop tendance à vouloir mettre en couple tout le monde. Et à créer des duos totalement tarés. Et pas du tout crédibles.

- Sérieux ? Tu m'offres des fleurs ? Bah... euh... merci. C'est assortie à ma robe, j'aime bien...

J'avais attrapé le bouquet qu'il avait à la main. J'aurai voulu lui dire quelque chose de bien con, mais ça ne sortait pas, pour le coup. J'étais totalement bloquée. Putain, j'étais en panne d'inspi' pour me la jouer garce, c'était grave !

- Attends... tu veux qu'on aille toujours au bal ? Vu que tu t'es offert un costume, que cette robe a bouffée mes économies et qu'on a une entrée pour le bal, ça serait con de pas y aller, t'en penses quoi ? Faut que je retrouve Sam en plus, je suis sûre qu'elle y sera...

Et je pourrais l'étrangler et cacher son corps. Elle allait me le payer. Je me penchais pour regarder derrière lui, à la recherche de sa moto de la mort. Ça me paraissait trop louche. Je l'imaginais mal avec son costume et son bouquet entrain de tenir en équilibre sur son monstre.

- T'es venu comment ? À pieds ou avec ta tueuse de la route ? Au pire, j'ai ma voiture dans le garage. C'est pas parce que je ne plus un ours musclé que je remonterais un jour sur ta moto.

J'avais envie de croiser les bras, mais le bouquet m'en empêchait. C'était quoi cette soirée de dingue ? Enfaîte, j'étais entrain de tourner un épisode de la Quatrième Dimension, non ?

Personnage pixelisé, peste de gamine odieuse, mec ultra baraqué, hystérique lanceuse de financiers et maintenant ça. Sérieusement? Y en avait d'autre, des Robyns cachées ou c'était bon, il avait eue le droit à tout? Non parce que si un jour on lui avait dit que Robyn portait des robes roses, oh oui, il se serait bien marré. Il aurait même probablement dû s'asseoir. Sauf que là, il avait juste l'air d'un crétin, à lui offrir des fleurs assorties à sa robe. Et sans l'avoir fait exprès. Merde alors. En fait, il se sentait crétin. Profondément débile. Pas que le fait d'être en costume le dérange, il savait que, sans fausse modestie, ça lui allait plutôt bien, mais c'était surtout le fait de se retrouver comme ça face à elle. C'était ça le problème. Et au fond ça l'énervait un poil, même si ce n'était pas une colère vive. Plus un agacement froid. Depuis quand il avait besoin de l'impressionner ou plutôt depuis quand avait-il peur qu'elle le juge? Il s'en fichait bien de ce qu'elle pouvait penser, il savait très bien ce qu'elle pensait de lui! Pourtant, ça le mettait mal à l'aise. Aller comprendre. Un jour, il déposerait une réclamation au bureau des poisses légendaires.
-Euh, ben, oui, tant qu'à faire, fit-il en remettant en arrière les mèches de son crâne. J'ai pris ma soirée de libre pour... Ce bal. En fait.
Comment avoir l'air d'un ado issu du clip Dance Dance des Fall out Boy, leçon 1. Jamie se serait baffer pour une telle éloquence. Bon dieu, qu'il pouvait s'énerver parfois. Cela dit, ça valait mieux. Il s'en serait encore plus voulu d'agir naturellement, comme il l'aurait fait avec n'importe qu'elle femme avec qui il serait aller au bal. Quelque chose lui disait que jouer les Dandy Chevalier avec Robyn n'était pas une très bonne idée. L'espace d'un instant, il tenta d'imaginer lui proposer son bras pour la guider à sa voiture. Et en conclut que définitivement ce n'était pas une bonne idée du tout.
-J'ai pris ma voiture, ajouta-t-il en désignant du pouce le pick-up garé en contre-bas, tout en se retournant à moitié vers elle, comme si Robyn avait pu rater l'énorme machine maintenant qu'il la désignait. Je m'étais dis... Enfin Sam m'avait prévenu que tu... Enfin que ma cavalière serait probablement en robe. Et en talons.
L'image fugace de Robyn habillée de la sorte sur sa moto traversa sa rétine et Jamie du se retenir de sourire tellement c'était encore plus improbable qu'elle version mamouth masculinisé faisant la même chose. Sérieusement, ils devaient vraiment avoir cumuler un cotât de poisse assez extrême à eux deux. Jamie avait beau ne pas être sûr de croire au karma, si ça existait, ils allaient être récompenser d'une façon extraordinaire! C'était presque... Flippant, à bien y penser. A croire qu'on voulait à tout prit qu'ils partagent la même bretelle d'autoroute de vie.
-Du coup, non, pas de moto ce soir, sourit-il en se rappelant le cri de gamin qu'elle avait poussé la seule fois où elle avait été sur sa machine. Tu as une veste? ajouta-t-il après un instant.
Les fleurs la gênaient, à se demander si c'était la première fois qu'on lui offrait un bouquet. Quoi que vu la personne, c'était peut-être bien le cas. En tout cas, elle finit par poser le bouquet sur une sorte de table basse pour attraper son manteau. Elle avait l'air tellement mal à l'aise que Jamie en eut presque pitié pour elle. Presque. Parce qu'une part de lui trouvait ça amusant. Et une autre part, minuscule celle là, trouva ça profondément rassurant. Quelques bruits de talons plus tard, elle finit par fermer la porte, et c'est avec une distance de sécurité qu'ils descendirent côte à côté les quelques marches menant à la rue. Le pick up de Jamie était un concept à lui tout seul. D'une couleur improbable mixant le marron et le violet, cette vieille machine de 1963 lui avait valu un nombre de sermon de la part de Théodore, déterminant que son ancienneté promettait autant d'années de recul en matière de sécurité. Cela dit Jamie n'en avait rien à faire. De un, son pick up était vraiment ultra pratique quand il s'agissait de transporter des choses. De deux, c'était une machine solide, faîtes pour durer pas comme tous ces petits bolides qu'il faut remplacer au moindre choc. En plus, c'était une pure tuerie quand il s'agissait de transporter des gens sur le plateau. Une bonne stéréo, une glacière, et c'était le paradis transportable n'importe où! Et puis, Jamie adorait le design de cette voiture. De face, il avait toujours l'impression que sa voiture faisait la gueule, avec ses phares froncés et sa grille serrée.
Petit bémol cela dit, comme toute vieille voiture, l'ouverture centralisée lui faisait défaut, si bien que Jamie dût entrer en premier pour ouvrir la portière de Robyn. Cela lui donna suffisamment de temps pour attraper le bracelet fleurie qu'il avait acheté et le balancer sur le plateau par la fenêtre arrière. Pas question de lui donner des armes pour qu'elle se fiche de lui. Déjà qu'il était à peu près sûr d'en prendre pour son grade à cause de sa voiture...
-C'est pas trop haut? fit-il alors qu'elle grimpait à son tour, dans un bruit de ferraille à l'ancienne.
Les filles et leurs talons ne vont pas bon ménage avec les voitures de collections. Ce fût à cet instant qu'il se rendit aussi compte qu'il avait oublié de ranger ses multiples albums de country ailleurs que sous la radio. Et encore! La moitié était dans la boite à gant...

J'aurai dû tourner sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler. Ou carrément me l'arracher. Qu'elle débile ! Il avait accepté qu'on aille ensemble. Je sais pas, au fond je pensais qu'il allait dire non, qu'il préférerait tremper ses pieds dans de l'eau salée et se les faire lécher par des chèvres. Plutôt qu'on aille au bal ensemble. Y a des jours où je suis vraiment plus conne que d'autres.

- Non non, c'est bon.

J'avais failli tomber sur les fesses à cause de mes chaussures, mais je n'allais pas le lui dire. J'avais déjà la honte sur moi, celle qu'il me voyait habillée autrement qu'en espèce de gothique sans le maquillage noir à outrance. Faîtes que sa voiture tombe en panne, qu'une faille s'ouvre, qu'on se fasse attaquer par des monstres tout droit venus de la brume...

Mais non. Bien entendu, c'est quand on en a le plus besoin que les ennuis s'en vont. Je m'asseyais sur le siège passager, en posant les mains sur le tissus qui me couvrait les cuisses, et en évitant de trop bouger. J'avais déjà été chez lui quand j'étais en mode mec, mais c'était pas pareil. Là, c'était tout petit, c'était sa voiture. Et y avait le trajet. Ce n'est qu'une fois qu'il se soit installé et qu'il démarra la voiture que je daignais enfin ouvrir la bouche.

- Chouette la voiture. Elle est de 1963, non ?

Je vis son expression de cocker aux yeux écarquillés apparaître, et je ne pu m'empêcher de lever les miens vers le plafond du tas de ferraille. Il était perturbé parce que je m'y connaissais en voiture, ou parce que pour lui, toutes les filles n'y connaissent justement rien ?

- Je suis pilote de course à l'origine, donc les bagnoles, ça m'y connaît un peu. J'ai une Impala de 1967 entrain de se faire retaper au garage.

Mais pourquoi j'avais dis ça ! Pourquoi ! Personne ne connaissait l'existence de mon bébé adoré. Je m'étais faite avoir. C'était la faute de son pick up aussi ! J'adore ce genre de vieilles voitures. Certains s'extasient devant des chiots, moi c'est devant les bagnoles. Chacun son côté sentimental.*

Je me tassais sur mon siège, en me tournant légèrement vers la fenêtre pour regarder le paysage. Heureusement que la salle de bal n'était pas trop loin. Je n'aurai pas supporté de passer des heures avec lui, coincé dans un espace si petit. C'était pas bon pour nous en plus. La dernière fois, on s'était retrouvé dans un placard, et j'avais fais croire qu'on était ensemble. D'accord, on était pas dans notre état normal, mais quand même. Sauf que cette fois, c'était quoi, mon excuse ?

- Tient tient, du country... C'est pas possible, t'as pas autre chose ? Genre du Metallica ? Quelque chose qui bouge, pas la bande original d'un film sentimental avec des cow-boys.

J'avais fini par me pencher et attraper les cd's qui traînaient. Il y en avait même dans sa boîte à gant. Un bon moyen de détourner la conversation. En plus ça allait me permettre de retrouver mes bonnes vieilles habitudes, à savoir chercher la petite bête et lui rappeler qu'on était les meilleurs ennemis du monde. Un fichu bal et une droguée n'allait pas y changer quoi que ce soit.

- T'as récupéré ça à un type de cinquante ans, non ? Interdiction de mettre de la musique alors, je ne veux pas être obligée de me jeter de cette voiture alors qu'elle roule encore. Ma robe en prendrait un sacré coup.

Mon ton s'était fait moqueur. J'étais toujours aussi mal à l'aise, mais ça faisait du bien de l'ouvrir et de retrouver ma réserve à venin, prête à être utilisée. En plus, ça devait soulager aussi Jamie. Vu sa tête quand il avait découvert que j'étais sa fameuse cavalière, il avait du flipper à mort. Notre relation était vraiment très très étrange. Fallait que j'écrive une lettre au destin pour qu'il arrête de nous fourrer sans cesse ensemble.

- C'est là ! Arrête toi ! Non enfaîte, essai de chercher une place près de l'entrée, j'ai pas envie de marcher trop longtemps avec ces chaussures... Tu crois qu'ils ont un voiturier ?

Quoi qu'ils l'auraient peut être pris pour un serveur, vu ses fringues. Bon, aucune météorite ou attaque de chauves-souries mutantes. Nada. J'étais coincée ici, pour le meilleur comme pour le pire. Nous connaissant, ça allait surtout être le pire.

Qu'elle connaisse l'année de naissance de son pick-up l'impressionnait, il devait le reconnaitre. Non pas parce qu'elle était une femme, ni parce qu'elle était la peste qu'elle était, mais le simple fait de pouvoir reconnaitre l'année d'une voiture à vu d'oeil était impressionnant. Même si il aimait les voitures anciennes, il n'avait pas encore développé ce talent là. Pas à l'année près disons. Alors oui, il ouvrit deux grands yeux surpris quand elle démontra l'étendue de son talent. Cela dit, son expression admirative disparue assez vite pour faire place à son habituelle 'poker face' en présence de Robyn. Qu'elle connaisse l'année de naissance de sa bagnole était une chose, qu'elle critique ses goûts musicaux en était une autre! Toute envie de faire la conversation autour de sa propre Chevrolet en instance de renaissance fût aussitôt coupé dans son élan. Est-ce qu'il critiquait son amour immodéré des fringues noires lui? Ou le rose fluo de son monde d'origine? Non! Et pourtant il aurait pû! Qu'elle critique Keith Urban était assez vexant dans le fond, surtout qu'au plus profond de lui, oui, Jamie se voyait comme un "vieux cow-boy"...
Voir la salle arrivée dans son champs de vision fût un pur soulagement, partagé visiblement par Robyn qui lui ordonna aussitôt de se garer. D'un coup de volant un peu sec (c'est qui qui conduit, oh!), il se gara dans la première place disponible, à quelque mètres à peine de l'entrée. Le maire avait fait fort. On aurait dit le bal de promo d'un film hollywoodien. Spots à volonté, tapis dégoulinant sur les marches, immense boule de houx pendant à la porte d'entrée et visible depuis la voiture, Jamie réalisa soudain ce qu'il était en train de faire. Ce qu'il s'apprêtait à faire. Merde. Il allait à un bal avec Robyn. Il allait à un BAL avec ROBYN. Nom d'une Nébuleuse du troisième cadran mais qu'est-ce qu'il avait encore fait au destin pour en arriver là? Coupant le contact, il observa d'un oeil critique les spots balayant le tapis bleu glace de l'entrée, façon promotion de film des années 40.
-Et dire qu'on prétendait madame Mills tape à l'oeil, marmonna-t-il dans sa barbe, avant de tourner les yeux vers Robyn, visiblement aussi perplexe que lui face à tout cet étalage événementiel.
Mais pourquoi il en était là? Et qu'est-ce qu'il était censé faire? Nom d'un cratère, c'était forcé comme petit jeu? Si il retrouvait Sam dans cette salle de bal... Tournant les yeux vers lui, Robyn capta son regard, qu'il s'empressa de détourner, main sur la poignée. Allez savoir lequel était le plus maladroit.... Le pick-up s'ébranla un peu, grinçant comme une vieille carcasse, avant que Jamie n'en verrouille une à une les deux portières. Il y eu un silence. Puis...
-Euh... On y va?
Sans desserrer les bras qu'elle avait croiser sur sa poitrine, Robyn partie sans un mot vers la salle, tandis que Jamie lui emboîtait le pas, mains dans les poches de son pantalon de costume, tête rentrée dans les épaules. Pourquoi il avait laissé son caban à la maison lui? Ah oui. ça lui rappelait un peu trop l'épisode mec-Robyn à son goût*. Comme il avait été clairvoyant...
Monter le tapis bleu fût une torture. Attendre derrière un couple dégoulinant d'amour bras dessus bras dessous fût terriblement gênant. Pourquoi fallait-il que le maire aie choisie de jouer à fond la carte de l'old school et de mettre un guichet avec liste à l'entrée? Quand enfin le couple se trémoussa vers l'intérieur, Jamie s'approcha de la table, tenue par la dernière personne que Jamie aurait penser voir. Et pourtant, ce n'était pas si étonnant.
-Oh bonsoir Archie, vous allez bien?
Jamie avait habité une petite période dans l'appartement au-dessus de celui du psychologue, juste avant de trouver sa résidence. Ils n'étaient pas franchement devenus proches, mais quelques bonjours cordiaux avaient fini par faire bonne mesure. Archie le salua avec chaleur, avant de saluer Robyn, un air un peu surpris sur le visage. Jamie observa l'échange avec détachement. Vu la douceur du psychologue, il n'était pas exclue que lui aussi ai eue à subir une quelconque attaque de pâtisseries volantes à cause de sa gentillesse. Quoi que... Vu la tête de Robyn, ça devait être un peu plus compliqué que ça. Elle avait presque l'air.... Mal à l'aise.
-Skyrunner, dit-il à l'attention du psychologue, coupant court à l'échange visuel silencieux, tandis qu'Archie cherchait son nom sur la liste.
Malgré lui Jamie observa Robyn, qui se lissa nerveusement une mèche de cheveux le long de son visage. Archie confirma assez vite sa présence sur la liste, et Jamie lui sourit avec gentillesse.
-Et Robyn est mon 'plus one', ajouta-t-il pour qu'Archie coche la case 'accompagné?' sur la liste, ce qu'il fit avec un sourire presque... Amusé.
Après un échange de 'bonne soirée', Jamie se tourna vers la porte, que Robyn s'empressa d'ouvrir. Tiens, tiens, c'était vraiment bizarre ça. Rentrant à son tour, il crut la voir une seconde se mordiller les lèvres, ou jurer à voix basse. Jamie s'approcha doucement d'elle, avant de la dépasser.
-Coup de froid? fit-il sans moquerie dans la voix, mais en souriant de manière entendu. Je crois que le vestiaire est par là si tu veux poser ta veste.
Faisant quelques pas vers l'avant, Jamie jeta un rapide coup d'oeil vers la salle des fêtes. Avant de s'arrêter net. Presque bouché bée face à tant de... ça.
Oh mon dieu. Mais dans quoi il s'était encore embarqué...