« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
J'avais repoussé ce jour depuis bien trop longtemps. La vérité était que je ne savais comment aborder Ellie. J'ignorais comment la considérer, et surtout comment elle souhaitait que je la considère. Devais-je me comporter comme une mère avec elle ? Devais-je faire comme si elle était la soeur d'Elliot ? J'avais bien du mal à envisager cette possibilité. Je n'avais eu qu'un seul enfant. Cela remettait tout en question. Et pourtant, elle existait. Elle était une personne à part entière, désormais. Je ne pouvais faire comme si elle n'avait aucune importance. Elle se montrait si froide et lointaine que je voyais pas comment m'y prendre. J'avais donc demandé conseil à Lily, je m'étais renseignée sur ses goûts. Elle m'avait conseillée de l'emmener boire un thé dans un salon en ville.
J'apparus donc devant elle une après-midi. Elle leva les yeux du livre épais qu'elle lisait. Elle me semblait si chétive, pelotonnée dans un fauteuil deux fois trop grand pour elle. Son apparence d'enfant me déstabilisa quelques instants, même si je m'y étais préparée. Elle avait l'air tellement fragile. Cela contrastait tellement avec sa part adulte qui la vieillissait. Pourtant, lorsque son regard se planta dans le mien, la maturité tout au fond de ses pupilles termina de me perturber. C'était bel et bien Ellie. Elle était vêtue d'un pantalon et d'un sweat-shirt trop larges pour elle. Ses longs cheveux noirs étaient rassemblés sur son épaule gauche, négligés. Je tiquai légèrement avant de baisser les yeux sur ma tenue : une robe beige surmontée d'une veste d'inspiration Nouvel Empire ornée d'une double rangée de boutons argentés. Mes bottes claquèrent contre le plancher tandis que je m'approchai d'Ellie. Un air méfiant se peignit sur son visage. Avait-elle peur de moi ? Cela me semblait ridicule. Je n'allais pas la manger. Je songeai qu'elle était peut-être aussi déstabilisée par moi que je l'étais par elle.
"Est-ce que ça te dirait de boire un thé au salon de la grande rue ? Ils ont une grande variété de choix et... on m'a dit que tu aimais le thé, alors..."
C'était absolument pitoyable comme entrée en matière. Je masquai mon embarras et lui tendis gentiment la main. Elle referma son livre et m'observa un court instant avant de disparaître.
"Oh. Très bien..."
Décontenancée, je me demandai si elle s'était téléportée toute seule là-bas. Le seul moyen de vérifier était de m'y rendre. Une fois dans le salon, je la trouvais déjà assise à une banquette, le nez de nouveau plongé dans son roman, presque collé contre les pages. Je réprimai un petit sourire attendri et m'approchai pour m'asseoir face à elle. Si elle avait pu rentrer dans son livre, elle l'aurait fait. Par ce biais, elle cherchait à éviter une "confrontation" avec moi. Je devais la rassurer, même si j'ignorais comment m'y prendre. Je ne voulais pas la rabaisser, la traiter comme une enfant. Etait-elle adulte ou petite, tout au fond d'elle-même ? Comment savoir ?
De plus, je ne savais pas comment amorcer la conversation entre nous. Nous n'avions que peu de choses en commun, hormis notre attachement pour Elliot -à un degré différent. Pourtant, il fallait bien commencer par quelque chose.
Je joignis les mains sur la table et penchai la tête pour lire discrètement le titre de son épais roman qu'elle avait levé pour le coller davantage contre son nez : "Autant en emporte le Vent". Oh... voilà un bon sujet de discussion !
"J'ai assisté à première du film." déclarai-je avec un sourire. "La seconde guerre mondiale venait de débuter en Europe."
Un flot de souvenirs me revint en mémoire, même si je dus me concentrer pour retrouver certains détails. C'était il y a si longtemps...
Ellie me décocha un regard surpris, hésita à abandonner son ouvrage, et le referma finalement pour croiser ses bras dessus et me fixer d'un air attentif. Trop heureuse d'avoir capté son intérêt, je poursuivis d'un ton appliqué :
"Elle s'est déroulée en décembre à Atlanta. A la base, Clark Gable a refusé d'y assister car l'actrice Hattie McDaniel -qui joue Mamma- n'avait pas le droit de s'y rendre en raison des lois raciales en vigueur à l'époque. Finalement, elle l'a convaincu de s'y rendre quand même. C'était vraiment somptueux. Les cinémas d'autrefois étaient réellement magiques."
Je me souvenais encore des spots qui illuminaient l'entrée du Loew's Grand Theater, de la foule qui se massait de part et d'autre du tapis rouge. Cela allait être l'un des plus grands films de tous les temps. Rien ne m'aurait fait manqué ma place, surtout que j'avais des connaissances dans le monde du cinéma grâce à monsieur Chaplin.
"C'est dommage que l'auteure ait trouvé la mort avant de voir son roman adapté à l'écran." dit Ellie d'un ton attristé. "On ne sait pas si elle aurait apprécié. Le film est très fidèle à son oeuvre mais j'aurais aimé avoir son point de vue."
Je fronçai légèrement les sourcils, me demandant pour quelle raison elle cherchait à obtenir des réponses à des questions insignifiantes.
Puis, la serveuse arriva, nous demandant ce que nous avions choisi. Ellie commanda un thé à la cerise griotte et j'enchaînai avec un thé à la bergamote. Me penchant vers la petite -grande ?- fille, je lui demandai d'un air gourmand :
"Tu veux une pâtisserie ?"
Elle eut aussitôt un regard fuyant et répliqua, mal à l'aise :
"Non... je... Un thé m'ira très bien."
"Tu es sûre ? Tu ne veux pas un chocolat chaud, plutôt ?" enchaîna la serveuse avec un sourire.
Elle se mordit les lèvres et se tassa au fond de la banquette, tout en agrippant les rebords du livre d'un air nerveux. Nous avions commis un impair. Elle ne souhaitait pas qu'on la considère comme une enfant. Je levai les yeux sur la serveuse et déclarai pour couper court :
"J'ai envie de pains au chocolat. Amenez-en trois, s'il vous plaît. Avec les thés. Merci."
J'aurais dû m'y prendre autrement. A présent, il était trop tard. Ellie fixait la table, le visage fermé. A quoi pensait-elle ? Je tordis brièvement mes mains l'une contre l'autre avant de remettre une mèche derrière mon oreille.
Un silence de plomb s'installa entre nous. Ce n'était vraiment pas gagné.
[HJ : oui j'assume parfaitement ma schizophrénie J'y tiens à ce rp.
Ellie Sandman
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est celle qui naît sans raison. »
On devrait toujours être légèrement improbable. (Oscar Wilde)
...
Oh, l'angoisse...
Je regrettais de ne pas avoir pris le temps d'avoir mis mon bonnet car j'aurais pu cacher mon visage en dessous. C'était tout bonnement effrayant de se retrouver en tête à tête avec Aphrodite. Je ne savais pas pour quelle raison elle m'inspirait autant de crainte. En somme, elle était une personne charmante, qui s'entendait bien avec Diane et Lily. J'aurais dû être totalement détendue face à elle. Pourtant, sa présence me rendait nerveuse, car j'ignorais ce qu'elle attendait de moi. Jusqu'à maintenant, j'avais été soulagée de constater qu'elle ne cherchait pas de contact particulier avec moi. Je n'aurais su comment réagir. A présent que nous y étions, je priais pour que tout se termine très vite.
Elle essayait d'établir un contact et je me demandais pourquoi elle s'acharnait autant. Rien ne nous obligeait à nous lier l'une à l'autre. Je n'attendais pas qu'elle veuille devenir ma mère. Le fait qu'elle soit celle d'Elliot ne remettait pas cela en cause. Certes, je me considérais comme la soeur d'Elliot, mais ce n'était pas pour autant que je voulais faire partie intégrante de cette drôle de famille. Je savais que je n'aurais jamais ma place nulle part. Diane était déjà suffisamment charitable de me considérer comme sa nièce. Elle était bien la seule à le faire.
Que souhaitait réellement Aryana ? Je me posais la question alors que la serveuse était partie, nous laissant plongées dans un silence pesant. Les premiers jours suivant le dédoublement avec Elliot, j'avais dévoré les livres de mythologie afin d'en savoir davantage sur la "famille" divine. Il en était ressorti qu'Aphrodite était une personnalité manipulatrice dont la vengeance était des plus redoutable. Malgré tout, je me souvenais parfaitement bien de l'enfance d'Elliot, à quel point elle avait été heureuse, ce qui laissait présager qu'Aryana avait plusieurs facettes comme tout à chacun. Il n'empêche que ma nature méfiante reprenait le dessus en sa présence.
En plus, il fallut qu'elle me parle comme à une enfant. J'aurais dû l'écrire sur mon front : ce n'est pas parce que j'ai l'air d'une gamine que je vais sauter au plafond si on me parle de pâtisseries. En plus de cela, je ne mangeais presque jamais rien. La nourriture était une habitude que j'avais prise lorsque j'avais tenté de vivre une existence mortelle à Sacramento. Mais depuis mon retour à Storybrooke, il m'arrivait de passer plusieurs jours sans avaler le moindre aliment. Le thé par contre, c'était une autre histoire.
La serveuse revint quelques minutes plus tard avec un plateau chargé de deux tasses ainsi que de deux théières fumantes, et de trois pains au chocolat. Elle posa le tout avec un sourire complice à mon égard, ce qui m'arracha une légère grimace.
Je me redressai un peu au bord de la banquette et détachai mes doigts du roman, le repoussant tout en le gardant à une distance raisonnable au cas où...
Placide, j'attrapai l'une des théières et versai l'eau dans ma tasse, avant de lever les yeux vers Aryana.
"Vous en voulez ?"
Un sourire à la fois amical et surpris décrispa ses traits.
"Tu ne vas pas me tutoyer, tout de même ? On fait partie de la même famille, après tout..."
La théière trembla légèrement dans ma main alors que je versai un peu d'eau dans sa tasse. Je pris une grande inspiration et reposant l'objet sur la table, je joignis les mains et plongeai mon regard dans le sien :
"Vous... tu n'es pas obligée de faire ça." dis-je abruptement. "Je n'attends rien de spécial de... ta part."
J'avais un mal fou à la tutoyer. Pourtant, dans mes souvenirs, elle avait le visage de ma mère. Non, le visage de celle d'Elliot. C'était si compliqué... Je devais faire la part des choses, même si c'était difficile, car j'étais la seule à en être capable. La seule à comprendre pleinement ce que cela signifiait... d'être la moitié négligeable d'une personne.
"Je me souviens de toi." repris-je en sentant ma bouche devenir très sèche. "Tu es dans toutes les bribes que forment ma vie. Je me souviens sans doute mieux de toi qu'Elliot. Je vois ton sourire quand tu me faisais prendre mon bain, je peux sentir ton parfum quand tu étais penchée au-dessus de moi et que tu me racontais une histoire pour m'endormir le soir, je me rappelle ton cri apeuré lorsque je t'avais ramené un masque confectionné avec des fruits... Tout est limpide dans mon esprit. Mais je ne peux pas m'autoriser ce genre de souvenirs car ce ne sont pas les miens. Je les ai volés à Elliot."
A mesure que je parlais, je voyais son beau visage se décomposer, devenir triste, se flétrir comme une rose fanée. Elle avait de la peine. Espérait-elle vraiment devenir ma mère ? Elle l'était déjà, d'une certaine façon, d'une cruelle façon pour moi. Je ne voulais pas de cela. C'était bien trop douloureux. Je préférais emmurer ces pensées. J'avais creusé une fosse dans ma tête et à force de ténacité, j'y avais jeté pêle-mêle tous les souvenirs qui ne m'appartenaient pas vraiment. Parfois, certains d'entre eux tentaient de remonter à la surface ; je les renvoyais aussitôt par le fond.
Aryana sirota un peu de son thé à la bergamote avant de poser sa tasse et de déclarer :
"C'est tout de même fascinant..."
Elle m'observait d'un air intrigué, le regard pétillant. Mal à l'aise, je me mordis les lèvres et rentrai la tête dans les épaules.
"Tu as les yeux de Judah."
Sa réplique me donna le feu aux joues sans que je comprenne la raison. Que tentait-elle de faire ? Je baissai le regard sur ma tasse fumante sans savoir quoi dire.
"Si j'ai bien suivi ce que tu as dit, tu te considères comme une usurpatrice, un parasite qui dépendait d'Elliot." poursuivit-elle d'un ton très calme. "Or, si tu étais réellement son double, tu aurais exactement le même physique que lui, non ? Je veux bien t'accorder que les cheveux sont du même acabit, en revanche, tes yeux... ils sont bleu-vert sous ta forme adulte et là, en tant qu'enfant, c'est... saisissant. Ils sont aussi clairs et perçants que ceux de ton père."
Je frémis, me débattant avec l'envie de disparaître au plus vite. Je jetai un coup d'oeil à mon livre. Dans mon esprit se jouait une valse à mille temps, dont les pas étaient mille phrases en ébullition. Elle connait la couleur de mes yeux quand je suis adulte. Elle m'a bien regardée... Alors que je ne l'ai presque jamais vue avant aujourd'hui... Elle m'a espionnée ? Ca veut dire que je l'intéresse ? Les yeux de Judah... Les yeux de mon... père.
Alors, elle était foncièrement persuadée que je n'étais pas la quantité négligeable dans la personnalité d'Elliot ? Les yeux de mon père... Cette phrase pulsait aussi sûrement que mon coeur dans ma poitrine, me rendant presque sourde. Qu'avait-elle dit là...? Oh...
Je n'avais jamais voulu laisser la porte ouverte à ce genre de rêve insensé. Je n'étais pas de la famille. J'étais l'anomalie, l'erreur. Le double. Tous ceux qui prétendaient le contraire voulaient simplement se montrer gentils.
Elle voulut me prendre la main mais je me reculai brusquement, lui lançant un regard digne d'un chat sauvage. En grande dame, elle fit comme si elle n'avait rien remarqué, se contentant de passer quelques doigts dans ses cheveux. Je déglutis avec peine, me maudissant de me comporter comme une parfaite asociale.
Dépitée, j'attrapai un pain au chocolat et l'engloutis en deux bouchées. Le regard d'Aryana parut amusé alors qu'elle lançait une conversation sur un autre sujet. J'aurais aimé avoir autant d'éloquence qu'elle.
"Quels sont tes auteurs préférés ?" "J'aime beaucoup Oscar Wilde." fis-je, sur la défensive.
"Il avait toujours le mot pour rire." dit-elle avec un sourire rêveur. "Je me souviens d'une soirée où les messieurs ne voulaient pas de ma présence, et Oscar leur a dit que s'ils se montraient odieux avec moi, il leur ferait fumer leurs cigares par les oreilles !"
J'en restai interdite : Aryana avait connu Oscar Wilde ? Puis, je réalisai que c'était tout à fait logique. Une dame comme elle dotée de tous les talents s'était forcément entourée des hommes les plus illustres de l'Histoire. Ebahie malgré tout, je demandai :
"Que s'est-il passé ?"
"On a été 'gentiment' chassé du club." répondit-elle avec une moue. "Mais nous avons bien ri. Et fumé le cigare. Oscar était un très bon ami..."
Une ombre de nostalgie passa dans son regard. Je songeais que je n'aurais pas dû insister à ce sujet. Cela la rendait triste.
"C'est en rapport à mon tempérament qu'il a écrit 'Le meilleur moyen de résister à la tentation, c'est d'y céder'."
Nous échangeâmes un sourire. Puis je piquai de nouveau du nez vers ma tasse que je terminai.
"On devrait toujours être légèrement improbable." ajouta-t-elle par-dessus sa propre tasse, tout en me décochant un clin d'oeil.
crackle bones
Aryana Cloud-Sandman
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“ Vous ne pourrez jamais comprendre.
Tout ce que je fais, je le fais pour Elliot. ”
| Conte : Hercule | Dans le monde des contes, je suis : : Aphrodite
Je sentais l'atmosphère se détendre peu à peu. Ellie n'était pas facile à approcher, encore moins à apprivoiser. Loin de moi l'idée de la considérer comme un animal. Je la voyais plutôt comme une personne inaccessible. Elle ne laissait pas facilement les autres entrer dans sa vie. Il fallait redoubler d'efforts pour franchir ses barrières. Dommage pour elle, je pouvais me montrer très entêtée quand je le voulais.
Je ne lui avais pas mentie lorsque je lui avais dit qu'elle avait les yeux de Judah. Le même bleu limpide, la même pureté -ce qui ne correspondait pas du tout à Hadès, mais passons. Leur regard était bien différent, car il émanait d'Ellie une candeur doublée d'une assurance à toute épreuve. C'était là que résidait sa part d'anomalie : elle pouvait être aussi solide qu'un roc et l'instant d'après, fragile comme du verre.
Je ressentais de plus en plus le besoin de la protéger, même si elle repoussait toutes mes tentatives. Ce n'est pas bon de se croire trop forte. Elle n'était pas armée contre tous les malheurs du monde. Je tentais de rester neutre malgré son apparence chétive. Son regard farouche ne laissait place à aucun doute : elle n'avait besoin de personne. Seulement voilà : était-ce ce qu'elle voulait laisser croire ou ce qu'elle était véritablement ?
En tous les cas, j'appréciais énormément sa compagnie. Je n'osais pas trop lui montrer par peur de l'effrayer. Une idée me traversa l'esprit. Une solution pour que nous partagions enfin quelque chose de concret toutes les deux.
J'attendis qu'elle finisse de manger le second pain au chocolat -son appétit me faisait doucement sourire et lui tendis la main. Je ne refis pas l'erreur de vouloir la lui prendre, il fallait que cela vienne d'elle.
"J'aimerais t'emmener quelque part. Tu veux bien ?"
Je lui adressai un sourire plein de gentillesse auquel elle répondit évasivement. Elle finit par me prendre la main d'un air emprunté. Je ne perdis pas davantage de temps et nous téléportai directement dans une boutique de vêtements. Ma préférée. Elle s'étendait sur plusieurs étages et débordait d'habits en tous genres, de tous les styles.
"Bienvenue à New York." chuchotai-je en levant les bras vers le plafond d'un air triomphal.
Faire les boutiques entre filles, voilà une manière parfaite de détendre l'atmosphère !
Mon enthousiasme diminua d'un cran en voyant l'expression d'Ellie. Elle ne se sentait sans doute pas très à l'aise, mais j'allais tout faire pour changer cela. Je me penchai vers elle et lui dis avec un sourire ravi :
"Tu vas être tellement jolie que tu ne vas pas en revenir !"
Sans attendre, je tapai dans mes mains et aussitôt, une jolie robe blanche à volants remplaça les vêtements trop larges de la fillette. J'avais trouvé juste ce qu'il fallait pour que la robe ne fasse pas trop enfantine, mais pas trop provocante non plus. Tournant mon doigt dans l'air, un ruban de soie se noua dans les cheveux noirs d'Ellie, dégageant son visage.
"Voilà... tu es ravissante." dis-je en caressant sa frange pour la rendre plus lisse. "Je pense que nous pouvons trouver de quoi refaire ta garde-robe, suis-moi !"
Comme j'adorais ça ! J'aimais beaucoup habiller Elliot lorsqu'il était petit, mais les vêtements de garçon laissent moins de place à la fantaisie. Avec Ellie, une toute nouvelle voie s'offrait à moi. Exaltée, je me déplaçais toute légère entre les différents rayons, attrapant un pantalon, une jupe, un chemisier, des tee-shirts originaux. Je faisais défiler les cintres et gardai tout ce qui me plaisait.
Des vêtements pleins les bras, je me retournai brusquement avec un grand sourire, prête à emmener Ellie dans une cabine d'essayage... mais mon sourire s'effaça bien vite en m'apercevant qu'elle n'était pas là.
"Ellie ? Ellie !"
Elle ne m'avait pas suivie. Dépitée, je serrai les vêtements contre moi, les lèvres pincées. Avais-je fait quelque chose de mal ?
Ellie Sandman
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J'avais caché ma présence à Aphrodite, de la même façon que je m'y étais prise quand je m'étais exilée à Sacramento. Elle passa près de moi sans me percevoir, dans un froissement de tissu. Je restai pétrifiée en apercevant la montagne de vêtements qu'elle voulait me faire essayer. Non... pitié, non ! C'était pire qu'une torture !
J'étais recroquevillée derrière un rayon de manteaux, ma petite taille me permettant de me glisser entre ces derniers et le mur. Je restai ainsi quelques minutes, avant de réaliser que j'avais un comportement totalement immature. Me cacher dans un coin au lieu d'affronter les évènements la tête haute ? Je n'étais pas une enfant, il fallait que j'arrête de réagir comme tel. Je me battais suffisamment pour revendiquer mon identité.
Je poussai les manteaux et me redressai au milieu du rayon. J'époussetai ma jupe en fronçant le nez. Je n'aimais pas du tout ce style. Je ne mis pas longtemps à trouver Aryana, deux rayons plus loin. Elle ouvrit des yeux stupéfaits en voyant ma nouvelle tenue. J'avais retrouvé mes anciens vêtements, nettement plus confortables : un pantalon large et un sweat-shirt. Une expression déçue se peignit sur son visage de porcelaine. Je sentis le remords m'envahir mais relevai le menton d'un air volontaire. J'avais le droit de m'habiller comme bon me semblait. "Je n'aime pas le shopping." déclarai-je sans détour.
Je me mordis un peu les lèvres, embarrassée de lui causer de l'ennui. Elle desserra quelque peu son étreinte autour de la pile de vêtements qu'elle avait dans les bras. Puis, elle battit des cils et répliqua d'une voix douce :
"Ce n'est pas grave. Dis-moi ce que tu aimes faire. Je veux le partager avec toi."
Je déglutis avec peine, surprise qu'elle insiste autant pour faire partie de ma vie. Se forçait-elle ? Elle n'en donnait pas l'impression. Me trouvait-elle réellement intéressante ? Ou voulait-elle se donner bonne conscience en passant du temps avec moi ? Je lui avais pourtant assurée que je n'attendais rien de particulier de sa part. Je réfléchis à toute vitesse à une activité que j'affectionnais et qui pouvait se réaliser à deux. Mon cerveau était entièrement vide, ce qui arrivait rarement, mais très souvent lorsqu'on me prenait au dépourvu. Perdue, je balbutiai :
"Euh... j'aime euh... lire et écouter de la musique."
Je fermai aussitôt les yeux sur mes paroles, consternée par ma propre stupidité. J'aurais tout aussi bien pu dire que je ne voulais pas de sa compagnie, cela aurait été moins humiliant pour elle. Je sentis qu'on me prenait la main. Je soulevai les paupières pour découvrir une immense bibliothèque. Je la reconnus aussitôt pour y être venue des centaines de fois.
"Je pense qu'on va trouver de quoi te contenter, ici." déclara Aryana avec un sourire adorable.
Elle n'avait pas mal pris mes paroles. Au contraire, elle acceptait de lire avec moi. Elle me lâcha la main et se dirigea vers la première étagère pour effleurer les ouvrages du bout des doigts. Après quelques secondes, elle pivota vers moi et ajouta :
"Je te laisse choisir, en attendant je vais mettre de la musique !"
Elle tapa dans ses mains et aussitôt, une chaîne apparut sur une table, poussée à plein régime. Une chanson s'échappa des haut-parleurs, envahissant l'immense bibliothèque. J'avais l'impression que les basses accéléraient les battements de mon coeur. Aryana commença à se déhancher en rythme, tout en me souriant. Peut-être aurais-je dû lui préciser que ce n'était pas ce genre de musiques que j'écoutais...
Comme il fallait s'y attendre, Socrate fit irruption dans la section où nous nous trouvions, sous sa forme humaine.
"Quel est ce bruit épouvantable ?" s'écria-t-il, les mains plaquées contre ses oreilles. "Je l'ai déjà dit pourtant : seule Rihanna a le droit de pousser la chansonnette entre ces murs !"
Son regard tomba sur Aryana et il cligna des yeux, stupéfait.
"Vous vous êtes perdue ? Je demande parce que je ne vous vois jamais ici. Vous connaissez encore le chemin de la bibliothèque ?" fit-il, à la fois acerbe et sincèrement consterné. "Quoi qu'il en soit, on n'est pas en boite ici, alors vous remballez tout de suite votre musique lascive, Madame Aphrodite !"
"C'est certain que Rihanna est une jeune femme des plus respectables..." fit remarquer Aryana en se retenant de rire.
Socrate lui lança un regard furibond avant de laisser échapper un petit feulement, auquel la déesse répondit par un geste rapide de la main, comme si elle le singeait lorsqu'il essayait de griffer.
"Fais patte de velours, chaton." lui recommanda-t-elle. "J'accompagne ma fille."
Je me sentis traversée par une drôle de sensation en entendant ce terme. Socrate suivit le regard d'Aryana et ses yeux se posèrent sur moi. Aussitôt, ils se firent plus doux et heureux.
"Elliiiiiiiiiiiie !" fit-il en ronronnant.
Il se changea instantanément en chat noir et vint se frotter contre mes mollets. Je souris et me penchai pour le caresser. Il appréciait ma compagnie, pour une raison qui m'échappait. Peut-être parce que je lisais beaucoup ? Il réclama tant d'attention que je le pris dans mes bras pour le gratter derrière l'oreille. Il ronronnait aussi fort qu'un mixeur en marche. Aryana nous observa d'un oeil sceptique et s'approchant de moi, elle me glissa à l'oreille :
"Méfie-toi de ce matou. Il a de sales idées en tête."
"J'ai entendu, Madame !" cracha Socrate en tournant ses yeux verts vers elle. "Je ne vous permets pas de porter des accusations infondées sur ma personne ! On me doit le respect ! Je suis le gardien de la connaissance en ces lieux !"
"Tu es le larbin qui s'occupe de dépoussiérer des livres qui n'intéressent personne."
Les poils sur l'échine de Socrate se dressèrent. Aryana lui tapota la tête d'un air goguenard. Il tenta de lui donner un coup de patte mais le regard de la déesse se fit noir, changeant du tout au tout. Alors, il se rattatina dans mes bras, cachant sa tête dans la poche ventrale de mon sweat-shirt. Visiblement, il trouva cela très amusant car il passa bientôt tout son corps à l'intérieur. Je retins un rire complice avec Aphrodite. Elle sortit son téléphone pour prendre une photo. Et voilà, j'étais immortalisée dans un cliché avec un chat "poché".
"Ne l'écoutez pas, Mademoiselle Ellie. Elle raconte toujours des méchancetés sur tout le monde !" fit-il, la voix étouffée par le sweat-shirt.
En attendant, il n'osait pas le dire en lui faisant face. Je tapotai la poche en hochant la tête, même si je me retenais toujours de rire avec Aryana.
"Eteignez cette musique, bon sang ! Les mauvaises vibrations vont abîmer les livres !" se plaignit-il.
Aryana fit disparaître la chaîne HIFI dans un soupir agacé.
S'ensuivirent des heures étranges et curieusement agréables. Je me trouvais un livre -et en commençai la lecture à voix haute, avec Socrate sur mes genoux qui fixait Aryana d'un oeil méfiant et intense. Il finit par se détendre et se rouler en boule.
Quant à la déesse, elle s'amusa à coiffer mes cheveux tandis que je lisais. Etrangement, je me sentais détendue, comme si nous avions trouvé un compromis : je pouvais faire ce qui me plaisait et elle semblait comblée par le fait de manipuler ma chevelure. Dès que je faisais une pause dans ma lecture, elle en profitait pour dire que j'avais des cheveux absolument magnifiques, avant de se souvenir que c'était évident puisque mes parents étaient gâtés niveau capilaire. Je restais silencieuse à chaque fois, trop perturbée par ce genre de réflexion. J'en étais arrivée au chapitre quatre de la Grande Histoire des Prophétesses lorsque je fermai le livre. Socrate s'étira sur mes genoux et sauta sur le sol, le dos rond, l'air encore endormi.
"Déjàààà fini ?" fit-il dans un bâillement déçu.
Je me levai de ma chaise alors qu'Aphrodite venait d'achever mon énième coiffure. J'aperçus mon reflet dans une vitre : j'arborai deux nattes enroulées sur elles-mêmes tels des macarons, rassemblés juste au-dessus de mes oreilles. Ce n'était pas trop mal. "Je ne vais pas abuser de ta gentillesse plus longtemps." répondis-je au chat qui s'était retransformé en asiatique. "Puis-je emmener cet ouvrage chez moi afin de le terminer ? J'y ferai très attention."
Il ajusta sa cravate et lissa son veston bleu marine avant de me fixer de ses prunelles en amande. Puis il déclara d'un ton ronronnant :
"Voyons Mademoiselle Ellie, je sais que je peux vous faire confiance. Vous veillez autant que moi sur les livres, vous partagez le même amour, vous..."
"Un chat qui roucoule, c'est tellement... improbable." coupa Aphrodite en croisant les bras et en haussant un sourcil railleur.
Je serrai l'épais volume contre moi et mes joues prirent une teinte un peu rose quand je compris ce que la déesse insinuait depuis le début. Oh, j'étais tellement naïve... J'enfonçai la tête dans mes épaules et disparus, totalement embarrassée.
Je me trouvais désormais dans le salon, chez Lily. Et en levant les yeux, je m'aperçus qu'Aryana m'avait suivie. Comment avait-elle deviné à quel endroit je me rendrais ? Elle devait posséder un sixième sens... Elle m'observait d'un air à la fois intrigué et doux, les bras toujours croisés.
"D'ordinaire, je déteste la bibliothèque." dit-elle.
Elle fit un pas vers moi et je serrai davantage le livre dans mes bras, sur la défensive. De quoi avais-je si peur ? Elle n'allait pas me frapper.
"Mais tu as réussi à me la faire apprécier."
Sans prévenir, elle ouvrit les bras et me serra avec chaleur et tendresse. Jamais personne ne m'avait étreint de la sorte. Avec Lily, c'était autre chose encore...
"Ca sera toujours un plaisir de passer du temps avec toi." me révéla-t-elle dans un murmure.
Pétrifiée, je me laissai faire. Je ne pouvais me débattre de toutes façons, puisque mes bras étaient bloqués, compressés par le corps d'Aryana contre le mien. Seul le livre faisait barrage entre nous. Le poids des mots... Quelle ironie !
Toute chamboulée, je ne trouvais pas les mots pour répliquer quoi que ce soit. Il semblait que j'avais tout de même une maman, en fin de compte. Ou tout du moins, une amie. Mon entourage s'agrandissait fortement ces derniers temps, cela me donnait presque le tournis. C'était bien trop pour quelqu'un d'aussi petit, d'aussi insignifiant que moi.
Je me permis de poser ma joue contre son épaule et de fermer les yeux, très brièvement. Cela faisait tellement de bien de se laisser bercer contre quelqu'un... Alors, c'était cette plénitude que l'on ressentait lorsqu'on était enfant ? J'avais eu beau chercher dans les plus anciens souvenirs d'Elliot, je n'y avais pas accès. Cela faisait partie des choses que les gens perdent en grandissant, cette sérénité absolue.
Aryana venait de me la faire ressentir et peu importe ce que cela représentait, c'était un morceau de paradis.