Où m'avait-il emmené ? Il m'avait téléporté dans un endroit étrange et furieux. Nous nous trouvions au beau milieu d'une plaine entourée de montagnes. Dans le ciel brillaient quantité d'étoiles et l'air exhalait une curieuse odeur de soufre qui ne m'incommoda pas pour autant.

Ok, j'allais écouter puisqu'il avait envie de me faire la leçon, mais ce n'était pas pour autant que j'allais lui obéir. Il n'avait été mon père que 2 minutes, celle qui avait servi à ma conception. Ces vingt et une dernières années, il ne m'avait pas été d'une grande aide. Qui plus est, je ne le considérai pas comme un modèle de réussite. Il était peut-être un dieu, mais il n'avait aucun mérite. Les mortels créaient nettement plus de choses durant leur courte existence que ce type arrogant et éternel.

Je sentis subitement une douleur irradier mon index droit. J'attrapai ma main tandis qu'un cri arrachait ma gorge.

"Qu'est-ce que tu as fait ?" grognai-je, mon visage déformé par la douleur.

Je compris quelques secondes plus tard. La souffrance avait disparu. Je ne ressentais plus rien. Comme si mon index n'existait plus. Eberlué, je le fis rouler sur lui-même comme un Carambar trop mou, les yeux exorbités.

"Je... j'ai plus d'os dedans !" balbutiai-je.

La terreur, l'angoisse me saisirent. J'étais devenu handicapé. Bien souvent quand on panique, on pense à des choses totalement stupides.

"Comment je vais faire pour zapper ?? Je peux plus zapper devant la télé ! Et Tomb Raider ! Je ne pourrais plus y jouer sur l'ordi !"

Je me mordis les lèvres, tout en roulant et déroulant mon doigt dans l'espoir que cet exercice fasse repousser les phalanges et les métacarpes. Puis, je dévisageai Hadès. Ce qu'il avait fait était impardonnable. Il me punissait alors que moi je lui avais plus ou moins pardonné son absence durant toute ma vie ?

Le temps d'un battement de cils, nous étions de retour à Storybrooke, devant la boutique A vos souhaits. La neige fondit instantanément à mes pieds tandis que je le regardai, mon index ramolli serré dans ma main.

"T'es vraiment qu'un enf... un gentil petit lapin." corrigeai-je précipitamment, même si j'avais envie de le traiter de tous les noms.

Inutile de l'énerver davantage. Qui sait de quel os il pourrait me priver ? J'essayai de rester sourd à la rage qui m'habitait.

"J'ai compris la leçon, jamais plus je ne te menacerai." maugréai-je. "Mais tout de même, tu aurais pu être plus cool ! Parce que j'aurais pu te tendre un autre doigt !"

D'ailleurs, ce n'était pas l'envie qui me manquait. Je le fixai d'un oeil incendiaire, me mordant les lèvres.

"Allez, sois sympa. J'ai compris ta leçon." dis-je d'un ton sarcastique en roulant des yeux. "Rends-moi mes os."

Je ne pensais pas faire ce genre de demande un jour à quelqu'un. Je me sentais parfaitement stupide. Puis soudain, une idée me vint à l'esprit.

"Si tu ne le fais pas, je serai obligé d'aller voir Rump... Rommelpel... Rumpeltruc... enfin le type qui fait de la magie dans sa brocante à domicile. Et on m'a dit qu'il demandait toujours quelque chose en échange. A mon avis, il sait quel lien nous unit, j'ai peur que le prix qu'il m'impose te concerne directement. Je suppose que tu n'as pas peur d'un magicien de pacotille, mais il est quand même hyper puissant... Et il fait peur avec sa canne." ajoutai-je avec un moue. "Je l'ai croisé une fois et il a tapé le fleuriste parce qu'il n'avait plus de rose rouge. ça doit être un nerveux à la période de la Saint Valentin, celui-là."

Je frissonnai malgré moi, puis tendis ma main atrophiée vers lui, avec un regard exagérément sympathique. Les grands sourires ne marchaient pas avec mon père, mais je n'avais rien de mieux en stock. Il n'allait pas me laisser comme ça, tout de même ?

Il était franchement intimidant quand il "allumait" ses cheveux. Je reculai d'un pas, anxieux à l'idée de ce qu'il pourrait me faire d'autre. Je l'avais bien énervé, alors que ce n'était vraiment plus mon but premier. Je sentais que tout ce que je pouvais dire ne changerait rien à ce qui allait se passer. J'allais devoir subir son courroux une fois de plus... Je me renfrognai, baissant la tête tout en le fixant. Je résisterai jusqu'au bout...

Subitement, je sentis un fourmillement parcourir mon doigt, puis de légers craquements qui me firent dresser les cheveux sur la tête se firent entendre. Ce n'était pas douloureux, c'était juste étrange, comme si quelqu'un mangeait des Corn Flakes à l'intérieur de mon index. Interdit, j'écarquillai les yeux. Je pliai et dépliai mon doigt avec un air émerveillé. Il était tellement génial, ce doigt ! Avant cet instant, jamais je ne m'étais rendu compte à quel point je l'aimais ! Je levai les yeux vers mon père et remarquai avec un tressaillement qu'il était juste devant moi. Les flammes qui dansaient dans ses cheveux me brûlaient le front. Je me fis violence pour ne pas me reculer à nouveau. Il fallait que je lui tienne tête. Après tout, je n'avais rien à me reprocher. Il fallait simplement ne pas trop l'énerver.

Ces paroles m'inquiétèrent grandement. Je suivai son regard, déglutis avec peine, et mis instinctivement une main devant mon pantalon avant de rire nerveusement. C'était une blague, n'est-ce pas ? Je lui jetai un regard insistant plein d'anxiété.

"Tu... tu ne vas pas faire ça quand même ?"

Ma voix était un peu trop aiguë. Sans doute qu'inconsciemment, je me préparai à cette transformation. Je secouai la tête avec force en me mordant les lèvres, cherchant à toute vitesse une solution pour l'empêcher d'accomplir ce geste. Je ne voulais pas devenir un eunuque, j'étais sûr que c'était même une pratique illégale en Amérique ! J'avais des droits, bon sang !

Cependant, Hadès avait une autre idée. Je n'eus pas le temps de réagir. Pourtant, j'aurais voulu pouvoir rembobiner cette scène et empêcher par tous les moyens cette chose abominable d'arriver.

Il m'enserra le visage de ses mains et m'embrassa. Comme ça, paf ! sans prévenir. Je me mis à gesticuler dans tous les sens afin de me dérober à cette étreinte mais impossible, ses mains étaient comme deux étaux contre mes joues. Les yeux écarquillés, je m'obstinai à garder mes lèvres scellées. Pitié, faites que ça s'arrête vite...

Enfin, il me relâcha. Je m'enfuyai à plusieurs mètres de lui, un air horrifié sur le visage. J'essuyai ma bouche d'un revers de main, l'air hagard, tétanisé par ce qui venait de m'arriver. Je tentai de mettre des mots sur toute cette histoire. Mon père venait de me vamper. Ou plutôt, d'abuser de ma personne. Hélas, il n'y avait aucun asile de fous capable de contenir un dieu, sinon je l'y aurais tout de suite emmené.

"Je... j'ai toujours su que la mythologie grecque, c'était juste des détraqués constamment en manque !" lâchai-je, le souffle saccadé. "J'en ai lu des bouquins sur le sujet... Zeus était un chaud lapin, Aphrodite n'en parlons pas..."

Je clignai des yeux, une main posée sur ma cage thoracique. J'étais en train de faire un arrêt cardiaque, ou alors j'allais vomir. Je ne savais pas encore quelle alternative mon corps allait choisir pour exorciser cette expérience traumatisante.

"Je ne suis pas comme toi." dis-je en redressant la tête pour le regarder sans détour. "Tu ne joueras pas avec moi. C'est trop... bizarre. Et arrête de parler d'Emma comme tu le fais !" lâchai-je brusquement avec colère. "Je n'ai pas de conseils à prendre de quelqu'un qui a envie de se taper son propre fils ! Je vais m'en aller." décidai-je.

Je commençai à marcher dans un sens, puis m'apercevant que je prenais la mauvaise direction, je fis demi-tour, faisant un écart important pour éviter de passer trop près de Hadès. Je marchai un peu en zigzag, l'esprit encore perturbé.

Au moins, j'étais totalement refroidi. Le feu ne me brûlait plus du tout, en tous cas pour le moment. Merci qui ? Merci, papa !

"Je vais devoir me brosser les dents pendant au moins toute une année..." marmonnai-je tandis que je passai à quelques mètres de lui.

Je lui lançai un coup d'oeil un peu craintif et pressai le pas. J'allais devoir faire très attention de ne plus le croiser, tout du moins si je décidai de rester à Storybrooke. Je ne pouvais en partir, même s'il m'avait dit que le feu me consumerait certainement plus vite dans celle ville plutôt qu'ailleurs. C'était une possibilité, pas une certitude. Je venais de Las Vegas, j'avais grandi dans l'atmosphère enfiévrée du jeu. Qui plus est, j'avais toujours eu de la chance aux dés, même si je n'avais jamais encore joué avec ma vie. J'espérais juste que le sort me serait favorable, cette fois-ci...